Ron Jarzombek est un grand malade, le genre de garçon à avoir une idée parfaitement absurde et pratiquement irréalisable le matin et à essayer de la concrétiser l'après-midi. Pour certains ça donne le lip-dub des jeunesses UMP et une honte éternelle aux yeux du monde, mais pour ce génie du Texas cela donne un ovni musical comme
PHHHP! ou les délires savoureux de
Ink Complete et
Solitarily Speaking Of Theoretical Confinement, qui demeurent encore à l'heure actuelle les albums aux expérimentations les plus osées qui soient dans un album de metal. Chaque album de Ron est l'occasion pour lui d'expérimenter de nouvelles idées loufoques et de relever des défis que lui seul ose se lancer, jusqu'à ce qu'en regardant la vidéo d'Alex Webster jouer « Frantic Disembowlment » il se décide à appeler le bassiste de Cannibal Corpse et lui propose de fonder un groupe de death technique expérimental, entièrement instrumental et explorant la voie d'un dodécaphonisme qu'il allait lui aussi engoncer dans un carcan très « Jarzombekien ». Pourtant je dois l'avouer,
The Machinations Of Dementia m'avait un peu laissé sur ma faim – tout du moins venant de la part de l'auteur du génial
Ink Complete – car le premier essai de Blotted Science ne manquait pas tant d'ambition que d'accroche. Malgré de très bons passages, la lourdeur souhaitée par ses géniteurs rendait l'ensemble indigeste sur la très longue heure passée à encaisser un déluge de structures alambiquées et de mélodies loin des traditionnelles progressions éculées que l'on peut entendre dans le death metal d'aujourd'hui. Même si le voyage avait de sacrés arguments pour convaincre, je revenais bien plus souvent vers Spastic Ink que vers son petit cousin rebelle qui manquait un peu trop de subtilité.
Mais c'est avec un bonheur non dissimulé que je peux vous annoncer que cet EP, sobrement intitulé
The Animation Of Entomology, tient toutes les promesses de son concept et va même bien au delà de ce que j'espérais voir le groupe devenir dans mes rêves les plus fous. Sans surprise on retrouve l'agencement dodécaphonique propre à Jarzombek,
qu'il vous expliquera bien mieux que je ne pourrais le faire, et qui donne la couleur si particulière de Blotted Science, puisqu'aucun riff ne reprend le même groupe de notes que son immédiat prédécesseur. Mais à ce principe qui faisait déjà de
The Machinations Of Dementia un album de death technique au riffing ultra changeant, il faut désormais ajouter une nouvelle contrainte : chaque morceau est minutieusement calqué sur une scène d'un film : Creepshow pour « Ingesting Blattaria », King Kong version Peter Jackson pour « Cretaceous Chasm », Slither pour « Vermicular Asphyxation » et Swarmed pour « A Sting Operation » et ses successeurs.
La démarche ne surprend pas quand on sait qu'il y avait déjà des exemples d'images mises en musique dans Spastic Ink, où le titre
« The Wild Hare » transposait les paroles de Panpan – oui, le lapin de Bambi – en notes (essayez donc de faire ça sans avoir l'oreille absolue...), et
« The Cereal Mouse » reprenait le rythme d'un autre dessin animé. Mais cette fois-ci Jarzombek ne s'est pas contenté de transposer quelques éléments en musique, il a tout simplement épousé l'intégralité des scènes dans leur rythme, puisqu'à chaque plan correspond un nouveau groupe de notes. La tâche en soi est effroyablement complexe, puisqu'il faut adapter la métrique du morceau au défilement des plans, qui, en toute logique, est loin de se soucier d'avoir un rythme cohérent ; tout cela se traduisant par une musique qu'il est proprement impossible d'anticiper, et dont la seule structure est d'ores et déjà une épreuve en soi pour l'auditeur qui ne saurait pas à quoi s'attendre – jetez donc un coup d'œil à
ces effrayantes partitions pour vous convaincre que le 4/4 n'est pas de la partie. Mais comme s'en tenir là aurait été un peu trop facile, il a en plus fallu que notre maniaque Texan transpose le contexte visuel en musique ! Il est ainsi aisé, en visionnant les clips, d'envisager les quelques gimmicks que Ron avait en tête au moment de composer, et c'est donc très logiquement que tous les moments d'accalmie à l'écran se traduisent par des arpèges, que les plans grouillant d'insectes sont ceux où Jarzombek se met à faire de démentielles accélérations dans les aigus, ou que les plans vus par les yeux des abeilles dans « A Sting Operation » sont systématiquement blastés à un tempo franchement soutenu. Au delà de ces fils conducteurs qui donnent la couleur de chaque titre, le vice a été poussé jusqu'à retranscrire divers mouvements à l'écran en musique, mouvements bien entendu la plupart du temps éloignés de toute considération rythmique, ce qui vous l'imaginez bien provoque quelques contre-temps que le pauvre Hannes Grossmann a du avoir toutes les peines du monde à retenir,
même s'il s'en tire au final avec brio. Ainsi les harmoniques sifflées de « Ingesting Blattaria » correspondent à l'allumage du voyant emergency power, la caisse claire sur « Cretaceous Chasm » reprend chaque coup de feu et je pourrais continuer à multiplier ainsi les exemples. Allez donc regarder les quatre vidéos qui composent l'intégralité de cet EP et admirez le travail de synchronisation faramineux qui a été fourni par maître Jarzombek, vous comprendrez vite pourquoi ces 25 minutes ont nécessité deux ans de composition.
Mais le plus grand tour de force de
The Animation Of Entomology est sans doute de parvenir à faire oublier tout le travail conceptuel et la maniaquerie du détail qui se cache derrière la musique : il m'arrive souvent de glisser le cd dans ma platine et de me laisser emporter par le raffinement des mélodies et l'entrain rythmique des compositions en oubliant complètement qu'elles n'existent que grâce à quelques scènes de films. Tout comme un bon vulgarisateur donnera l'impression d'être aussi intelligent que lui alors que la maîtrise des concepts nous échappe complètement, Ron Jarzombek arrive à rendre l'impensable évident et l'inaccessible savoureux sans qu'il n'y ait trop d'efforts à fournir pour se détacher de l'apparente complexité de l'ensemble. Attention, je ne vous dis pas que vous vous mettrez à headbanguer en rythme (enfin, sur un des rythmes) dès la deuxième écoute, surtout si vous n'appréciez pas le metal complexe et que vous n'êtes pas familier de l'œuvre du Texan, mais il n'est pas besoin de se coucher tous les soirs en lisant
La Partition Intérieure et en écoutant du Philip Glass pour apprécier Blotted Science. Les amateurs de death technique, voire de brutal death technique alambiqué à la Spawn Of Possession, se devraient de jeter une oreille à
The Animation Of Entomology, quitte à expérimenter une répulsion sans doute légitime aux yeux de ceux qui pensent que la musique devrait rester à portée de tous. Car au delà des prestations bluffantes de Jarzombek, Webster et Grossmann – leurs meilleures à ce jour pour ces deux derniers – c'est bien un nouveau pan d'un style pourtant déjà largement exploré qui se dévoile sous nos yeux. Aucun autre groupe au monde ne fait ne serait-ce que s'approcher du style de Blotted Science, et en ces temps où n'importe quel Kévin de 15 ans s'autoproclame star du web en recopiant les riffs du dernier groupe de deathcore à la mode, rien ne pouvait me faire plus de bien que d'écouter les expérimentations de musiciens qui n'ont pas usurpé leur titre de virtuose.
Fort d'une ambition démesurée et d'un concept si puissant qu'il en est devenu le fil conducteur du travail de composition, ce nouvel EP de Blotted Science fait bien plus que combler les espoirs que portent tous les projets de Jarzombek.
The Animation Of Entomology est aux côtés de
Ink Complete ce qu'il m'a été donné d'entendre d'à la fois le plus incroyablement technique et le plus étonnamment prenant dans l'univers du metal, et ce n'est pas peu dire. Loin d'être à la portée du premier venu, cette nouvelle œuvre ne se dévoilera pleinement qu'à une poignée d'amateurs éclairés de celui qui non content d'être un des meilleurs guitaristes de la planète est également un théoricien sans faille qui ne s'encombre pas de considérations aussi futiles que l'opinion de la masse. C'est pourtant là l'exemple paroxystique de ce que la théorie musicale peut concrètement apporter au petit monde étriqué du death metal, car si chaque note de cet EP a été pensée et minutieusement étudiée sans laisser de place à l'approximation ou même à l'improvisation, le résultat est d'une efficacité qui impressionne d'autant plus que l'on garde à l'esprit tout le travail abattu pour y parvenir. L'évolution musicale de Ron Jarzombek est aussi atypique que son parcours, qui, allant du techno-thrash de Watchtower et du metal expérimentalo-prog de Spastic Ink au death technique de haute volée de Blotted Science, semble s'évertuer à prendre une voie que la majorité préfère généralement emprunter à contre-sens, tant il est plus commun de voir les musiciens s'assagir avec le temps que les papis faire de la résistance dans le maquis de la brutalité. À la place des jeunots du brutal death technique je ferais attention à ne pas trop me reposer sur mes lauriers : s'il continue sur cette voie; cet homme là serait capable de composer son prochain album à un tempo moyen de 280 bpm, juste pour s'amuser.
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