Chronique
Jesu Infinity
La paix ça se mérite. Il faut avoir connu la guerre pour l'apprécier.
Justin Broadrick a connu la guerre. Une guerre interne qu'il a faite monde avec Godflesh, en lien avec une situation politique et sociale inscrite dans la fin des années 80 et son capitalisme sauvage. Il n’y avait pas d’alternative : il s’agissait d’expulser, maltraiter, puis de chercher une forme de réponse restant toujours à l’état de question. Godflesh aura été jusqu’au bout un exutoire négatif à la spiritualité parfois appelée sans jamais totalement s’étreindre. Une histoire qui s’est terminée – à l’époque – dans l’amertume et la dépression, comme cela a déjà été relaté maintes fois.
À cette guerre en a succédé une autre, celle de se réinventer au point de devenir autre chose que ce que l'on est. Jesu, dans ses premières années, avait l’air d’une transition difficile, permanente, pris entre le rejet du passé et l'envie d'un avenir qui refusait de se conjuguer au présent. Initialement proche de Godflesh, le son s’est transformé progressivement en un shoegaze doux bien que lourd, enveloppé d’une brume électronique. Justin Broadrick a déclaré à plusieurs reprises avoir toujours considéré son nouveau projet comme celui qui lui permettait de créer une musique plus pop et mélodique, salvatrice pour lui dès les origines. Cependant, les différentes tentatives de définir ce qu’est Jesu auront eu raison d’un bon nombre de fans de Godflesh, certains albums (mais surtout les EPs, terrains d’expérimentations assumés) ayant pu être vus comme du Godflesh-light, voire des trahisons en bonne et due forme.
Infinity, d’une certaine façon, sonne comme un long appel à l'armistice, une tentative d'accorder les contraires dans un titre-fleuve qui coule malgré les roches cherchant à le ralentir. Il est une tentative de définir ce qu’est et a été Jesu. On y retrouve des éléments du son lourd, lancinant et oppressant des deux premiers albums, le lien avec Godflesh étant évident (notamment dans la section centrale), mais aussi de nombreux moments plus vulnérables et sincères où les émotions de Broadrick sont mises en avant sur fond d’une instrumentation dense et vaporeuse. Un collage – une partie s’annonçant puis s’étirant et s’étiolant avant de laisser place à une autre – s’appuyant sur des fondations simples pour laisser respirer chaque partie.
Pour autant, Infinity est souvent décrit comme un album exigeant. Ne comportant qu'un seul morceau d'une durée de près de cinquante minutes, il peut donner à craindre une ambition démesurée jusqu’à son titre. Je ne reconnais pas mon expérience avec lui dans les retours que j’ai pu lire le concernant, trouvant que l’ensemble joue avec une fluidité et – surtout – une montée en puissance qui ne fait regretter ou subir aucune minute au sein de cette petite heure. Il est à la fois transitoire au sein de la discographie du projet et une réussite, faisant de cet entre-deux un état en lui-même. Ainsi, la production étrange, squelettique, les guitares sonnant creuses et fragiles, la batterie manquant cruellement de puissance, fait le pont entre l’oppression des instants graves et la joie apathique, congelée, des moments aériens. Les passages au chant clair, un chant nu et doux, contiennent des paroles particulièrement sombres. L’ensemble se situe au-delà du clair-obscur, entre asphyxie et appel d’air, voyage vécu avec distance et proximité des émotions. Une paix particulière et continue se ressent le long de ces boucles malgré leurs variations, une paix inhabitée, hospitalière mais lointaine, comme la contemplation d’un paysage au sein duquel on se sent étranger et dont on sait le caractère éphémère.
Justin dira qu'il ressortira de l’enregistrement de Infinity insatisfait, ce qui sera également le cas de beaucoup de personnes l’ayant écouté. Il est vrai que sa première partie, très minimaliste dans ses changements de mélodies, peut faire voir en lui un semi-échec. Il ne l’est pas pour moi – le son de la boite à rythme lors des passages rapides étant le seul véritable défaut que je déplore (cet effet double-pédale mal mixé). Jesu délaisse ici totalement les hivers nucléaires de sa première incarnation pour des hivers bien plus concrets et intérieurs, peut-être moins marquants mais plus humains et touchants. La mutation a laissé place à la métamorphose.
| | Ikea 18 Novembre 2025 - 448 lectures |
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