Chez les Yagans – peuple nomade ayant vécu sur des terres s'étendant entre le Chili et l'Argentine –, Tao Menizoo était une divinité malicieuse à forte personnalité sous l'autorité de laquelle étaient organisées des festivités destinées à extraire le peuple du train-train quotidien. C'est donc avec un fort sens de l'à propos que le groupe francilien dont il est question ici a choisi son patronyme. En effet, si le groupe avait déjà concocté sa propre tambouille thrash/power/indus/hardcore sur son premier album éponyme (
c'est du moins ce qui ressort de la chronique alors rédigée par mon estimé collègue Cyd), son retour en 2008 au sein de l'écurie Thundering Records / Manitou Music est résolument placé sous le signe de l'affirmation d'un style de plus en plus personnel, ainsi que sous celui de la volonté d'extraire le peuple metaleux gaulois de son gruik-gruik quotidien. Bref le groupe est décidé à finir d'enfoncer le clou qui n'avait, à l'époque, pas suffi à le faire percer sur la scène hexagonale.
Et il est vrai que, à l'image du rituel laotien du TaoMé Nizhu – qui voit l'adolescent, au terme d'une longue cérémonie d'hommages rendus à ses ancêtres devant l'autel familial, accéder enfin à l'âge adulte –, le groupe a finalement réussi à créer son univers et sa propre patte sonore, même s'il est vrai que ses influences sont encore, au détour de tel ou tel passage, aisément discernables. Ainsi cette prod' un peu sourde et ramassée, ces vocaux thrashy étranglés et cette approche assez froide d'un thrash incisif ne sont pas sans rappeler le vieux
Coroner (
exemple parmi les exemples: écoutez ce passage à 0:40 sur « Never Get Me » ). Ce côté mécanique mais groovy évoque parfois fortement Prong (
cf. le début de « Obey », « My Reign » ou encore « Mind Control Cults »). Tel plan rappelle un
Voivod planant (
à 0:25 sur « My Funeral ») tandis que tel autre refrain rappelle
S.U.P. (
cf. « So Blind »). Mais là-dessus, s'inspirant sans doute du dicton tamoul « Ta-ô méhn y zou » - qui signifie en substance que
c'est par l'emprunt qu'arrive la première pièce dans la bourse de l'apprenti négociant ambitieux -, le groupe est tout à fait honnête: la bio est ainsi pour une fois d'une justesse rare, évoquant justement 3 des groupes cités ci-dessus, ainsi que
Opeth (
mouais …),
Tool (
'connais pas assez) et
Metallica (
ah?) au rang des influences assumées.
La musique qui nous accompagne sur la bonne heure que dure « So Blind » est donc une sorte de thrash deathisant sombre, mécanique et froid – parfois même carrément hypnotique –, mais néanmoins ouvert à toutes les bonnes choses qu'il pourrait y avoir à prendre dans les styles limitrophes. L'autre genre le plus représenté ici est ainsi le hardcore, ceci étant tout particulièrement sensible au niveau des vocaux qui sont souvent scandés en mode « hard
cor-oner », la participation de trois des membres du groupe au concours de lancer de postillons concourant à évoquer occasionnellement les chœurs bad boyz-esques si caractéristiques. Mais les apports extérieurs (
pour autant que l'on considère ces éléments comme extérieurs au noyau définissant le style du groupe) ne se limitent pas pour autant au HxCx. Ainsi « Never Get Me » finit sur une bonne minute de stoner sympa, « Southern Cross » revient au thrash véloce originel, « Deathwish » nous offre un plan fleurant bon le
Devin Townsend (
à 3:04) et « Not Even God » nous propose même une promenade bucolique à dos de basse, accompagnés chemin faisant du chant de guitares qui dessinent des cercles dans le ciel au-dessus de nos têtes (
un bon tarpé et on s'y voit à 3:05). On retrouve aussi assez fréquemment des dissonances, crocs en jambes rythmiques et autres entourloupettes modernes chères au cœur de la confrérie des adorateurs de
Meshuggah (
« Thrill Of Flesh », « Obey » …). Mais c'est encore le magnifique « My Funeral » qui propose le plus magistral des mélanges symbiotiques en mixant passage death torturé (
1:20), élan
Voivodo-Floydien (
0:25), black metal (
2:50), clavier violonisant (
3:19) passage apaisant (
2:23) et ralentissement doomy (
4:03) au sein d'un morceau plus grand que la somme de ses composantes, réussissant l'exploit de créer une atmosphère funèbre non seulement crédible mais tripante. Pas étonnant dès lors d'apprendre que Tao Menizoo, prononcé avec un accent ch'ti, signifie « osmose stylistique » en langage proto-araméen.
Maintenant, il va falloir que le groupe nous sorte encore un album, l'album de plus qui palliera aux derniers défauts que « So Blind » n'a pas réussi à éradiquer. Il sera ainsi judicieux qu'il propose un ou deux tubes qui sortent vraiment du lot, « My Funeral » ou « Crushed By Illusion » ne pouvant pas encore complètement prétendre à ce rôle. Il faudra également tenter d'éviter la monotonie qui peut émaner d'une écoute longue (
une heure!) au cours de laquelle certains morceaux, sans être mauvais, finissent par perdre l'attention de l'auditeur, la faute à un manque de lumière, d'air et surtout d'originalité (
cf. les moins inspirés « Thrill Of Flesh », « My Reign », …). Il faudra enfin éviter que la guitare lead – peu prolixe il est vrai – ne soit trop régulièrement planquée au fond du mix, celle-ci ayant quand même des choses à dire ... A moins évidemment que le groupe n'ait pris exprès le patronyme de Tao Menizoo pour singer ma grand-mère quand celle-ci a enlevé son dentier et qu'elle annone « Ta gratte toto, mais dis: elle est où? ».
En tout cas, personnellement, je fonde de sérieux espoirs sur ce groupe qui a la bonne idée de ne pas suivre les modes, de proposer du matos original et qui arrive déjà fort bien à développer sa propre griffe. Avec une prod' qui respirerait un peu plus et un ou deux tubes samplerisables dans sa besace, le groupe pourrait bien finir par décrocher la timbale dès le petit prochain – en sachant que « So Blind » a déjà bien préparé le terrain en ayant fait se retourner plus d'une tête sur son passage depuis sa sortie l'année dernière. M'enfin comme le dit l'expression malgache: « Ta hommé nis' ouuuuuuuh! » (
« La prochaine, sûr, ce sera la bonne, vous verrez! »).
3 COMMENTAIRE(S)
11/05/2009 20:13
@+
Laurent
08/05/2009 17:51
08/05/2009 15:11
Les influences sont certes assez visibles (Coroner, Voivod, SUP), mais ils arrivent à faire leur propre truc donc ça ne me choque pas.
Puis bon, difficile de résister à ce petit côté à la "Grin" de Coroner.