Je suis sûr que pour vous c'est pareil. Vos albums chouchous, ceux que vous connaissez sur le bout des doigts mais qui vous enviagratisent quand même à chaque écoute, dites-moi: ces albums ont chacun leur petite histoire, non? Ils sont rattachés à tel ou tel souvenir, tel ou tel lieu. Personnellement (
Allongez-vous sur le divan, relaxez-vous et parlez-moi de votre enfance …), « Tribe » me rappelle les années prépa à Tours, ma piaule d'étudiant et l'une de ces séances nocturnes de devoirs de maths (
ou de physique, je ne sais plus trop …), le cheveu long roussi par la lampe du bureau et la minichaîne double K7 stéréo crachouillant les décibels de « Rétorsion », émission metal petite sœur de No Speed Limit sur Radio Béton. Et là, sans crier gare, entre 2 équations à double salto vrillé: coup de surin transalpin direct au tympan glaumien. Guitares affûtées et réminiscences
Atheistiennes, ambiances majestueuses et mystères intrigants, mélodies imparables et clavier from outer space: Sadist était sorti en tourbillonnant des enceintes, bouleversant critériums et calculette pour m'apprendre que non seulement le techno-death – il est vrai teinté d'une touche progressive mystico-exotique – n'était pas mort, mais qu'il était toujours porteur de grandeur, de beauté et d'élévation de l'âme (
Hare Sadist, Hare Sadist, Krishna Sadist Hare Hare …). Et que, tout comme
Nocturnus nous l'avait déjà expliqué par le passé, le clavier pouvait parfaitement avoir sa place dans le death, notamment quand c'est pour le magnifier ainsi. Vas-y, explique-leur toi Vovon, moi j'ai de soudains afflux de sang là où ça empêche de réfléchir …
N'ayant pas encore l'âge de mon désormais vénérable confrère – celui où les genoux commencent à être douloureux et où l'on pense que tout ce qui a moins de 30 piges n'est pas apte à sortir seul le soir après 22h – je dois avouer que j'ai raté la sortie de « Tribe » d'une paire d'années, et que je n'ai réellement connu Sadist qu'à partir du désastreux « Lego ». Pas de quoi me faire une bonne image des pourtant cultes italiens, qui font partie au même titre que
Atheist ou
Pestilence des quelques groupes de ce que l'on appelait alors « techno-death » du début au milieu des années 90, et qui se sont d'ailleurs fait connaître avec l'excellent « Above The Light » en 1993, renfermant déjà pour un premier album de très nombreux tubes. Trois années plus tard, « Tribe » marque l'évolution logique d'un premier essai très empreint des accents thrash encore bien présents dans le style, et se démarque habilement de son prédécesseur en s'ancrant plus dans la logique d'un death technique très progressif, mélodique et aérien. Adieu l'efficacité d'un « Breathin' Cancer » ou les vocaux presque black metal, les transalpins ont fait évoluer leur style qui évoque désormais plus une orgie entre
Atheist,
Cynic et
Nocturnus, tout en conservant des éléments caractéristiques de leur identité sonore que sont les nappes de clavier omniprésentes et les solos totalement aériens. Malgré toutes les comparaisons du monde, Sadist possède un style unique qui fait autant sa force que la puissance d'évocation de ses sublimes mélodies, et il faut écouter la quiétude reposante de l'instrumental « From Bellatrix To Betelgeuse » ou l'enchaînement tapping/solo à tomber par terre de « Den Siste Kamp » pour entrevoir la majesté de cet album. La grandeur de « Tribe » se trouve dans un équilibre d'orfèvre entre la démonstrativité et la subtilité qui n'est possible que par une utilisation parcimonieuse et admirablement juste d'une technique sans faille, s'imposant comme une évidence plutôt que comme le gros lourd aviné de toute soirée étudiante qui se respecte. Cet album est aussi ultra-mélodique qu'il est groovy – grâce entre autres à une basse fretless aussi slappée que slidée – et c'est d'ailleurs l'une des rares œuvres de techno-death qui montre un tel groove! Mais n'étant pas franchement sensible à cet aspect si atypique dans ce style, il vaut mieux laisser la parole à quelqu'un qui a bien connu l'époque des papiers-peints marron /jaune et des jeans patte-d'eph', plus à même de faire bouger son arthrite sur ces rythmes endiablés.
Sans constituer non plus l'un de ces appels au déhanchement frénétique qu'abhorre mon jeune collègue, il est vrai qu'un groove intelligemment distillé, amené notamment par une basse aussi tendue que dodue et une batterie féline, huile les rouages de cet album et lui apporte vigueur et ressort. Il n'y a qu'à écouter le duo basse/synthé à 0:29 sur « India », les péripéties groove rock qui démarrent à 2:53 sur « Spiral Of Winter Ghosts », ou encore ce flûtiau monté sur trampoline à 2:07 sur « The Reign Of Asmat » pour s'en persuader. Mais profitons plutôt d'une crise de lucidité passagère causée par un reflux soudain du sang en des artères et veines plus propices à une saine distribution de l'oxygène, pour évoquer les quelques petits bémols qui seraient susceptibles de refroidir les ardeurs de certains d'entre vous, et qui justifient le demi-point séparant « Tribe » du Valhalla métallique. C'est tout d'abord l'acidité des vocaux émis par les cordes vocales arides de Zanna qui pourra indisposer ceux qui ne tripent que sur du bon gros growl caverneux. Ici on évolue plutôt dans un registre black/thrash châtré mais teigneux … Ce qui n'a d'ailleurs pas tant d'importance que cela, Sadist retournant fréquemment dans le registre instrumental pur (
cf. la B.O. délicate et veloutée qu'est « From Bellatrix To Betelgeuse », ou encore « Der Siste Kamp » et « The Ninth Wave » où le chant sait rester à sa place). Autre grain de poussière dans l'œil et l'oreille des amateurs de metal pour biker: le rôle accordé au synthé. Il est vraiment prépondérant sur cet album, et même si les guitares font dans l'orfèvrerie fine et si la basse rebondit comme une folle, les mélodies et orchestrations au clavier sont tout particulièrement mises en avant et constituent les plus grosses productrices de frissons extatiques. Du cantique rehaussé d'une touche de pseudo hautbois à 3:00 sur « India » à l'exceptionnelle ouverture de « Tribe » typée « Découverte de la verdoyante vallée d'Eden », du trépas serein clôturant « Den siste Kamp » à la transe mystique de « The Ninth Wave », il n'y en a (
… presque! Ne t'étouffe pas Von …) que pour cet habituel parent pauvre du genre. Et nom de dieu quel méga-panard, et quelle intégration parfaite avec les autres instruments! « Tribe » est l'illustration par excellence de la façon dont il faut utiliser un clavier dans un groupe de metal: pour ajouter texture, densité et grandeur aux compos et les tirer ainsi vers le haut, vers d'autres dimensions que la violence seule ne permet pas toujours d'atteindre. Je suis sûr que même le jeune Yaourt a douté un instant de sa virilité naissante au vu (
de son absence de pilosité faciale, certes, mais aussi) du plaisir pris à l'écoute de cet instrument honni des métalleux avec du poil aux pattes …
Je ne peux sur ces points que rejoindre mon confrère glaumien et saluer une fois de plus la prise de risque de Sadist, car même si
Nocturnus s'était déjà essayé avec succès à l'utilisation de claviers sur du techno-death, il faut bien avouer qu'il n'était pas aussi omniprésent chez les américains! « Tribe » demeure néanmoins un ovni au sein de la discographie de Sadist, car si il est une évolution de « Above The Light » vers un death technique plus léger, il ne ressemble absolument pas à un « Crust » trop basiquement catchy, manquant singulièrement d'accroche, et ne tenant pas un seul instant la comparaison avec son magique prédécesseur. « Lego » quant à lui demeurera une impasse anti-musicale qui mènera à un split prématuré, heureusement suivi par une reformation et un intelligent retour aux racines du groupe avec l'album éponyme que j'ai déjà chroniqué en ces lieux en 2007. Pourtant le doute est permis quant au fait de savoir si le groupe va un jour atteindre à nouveau ce degré de qualité, non pas que la vieillesse soit nécessairement un naufrage, mais bien parce que « Tribe » demeure un album intemporel. Bien que marqué par son époque, on peut dire qu'il n'a pas pris une seule ride, et que l'on y cherche de l'énergie, de la mélodie ou simplement du groove (
en ce cas il vaut mieux retourner écouter De La Soul les gars, ça fait encore plus 90's), on ne peut être déçu à l'écoute de ce chef d'œuvre. Dommage que la deuxième moitié de cette sombre décennie marquée par un déclin soudain du techno-death n'ait pas laissée le temps à Sadist de se faire autant que ses camarades américains un nom pérenne sur la scène internationale. Et pour peu que, comme moi, vous ayez connu le groupe à l'époque de ses errements, il faut absolument que vous révisiez votre jugement sur les débuts de Sadist en jetant une oreille sur « Tribe », peut être le dernier album de la période de gloire du techno-death. Comme aurait dit l'ami Francis : « C'était mieux avant ! ».
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19/12/2011 16:01