STRAPPING YOUNG LAD ayant achevé sa course effrénée avec un
"The New Black" vigoureux mais quelque peu frustrant (au delà du fait que le groupe n'a pas tourné pour défendre cette ultime livraison), on peut, en jetant un rapide coup d'oeil dans le retro, diviser la carrière des canadiens en deux périodes bien distinctes. Bien aidés par le hiatus de six années séparant
"City" de l'album éponyme qui marquait leur retour au affaires en 2003, on rangera donc d'un côté l'excessif "Heavy As A Really Heavy Thing" et l'équivalent musical de Hiroshima (fallait voir la tronche de ceux qui ont pris
"City" de plein fouet en 1997, moi le premier!), les trois albums suivants –
je mets volontairement de côté le live "No Sleep Till Bedtime" sorti en 1998 – pâtissant quoi qu'on en dise d'une forte propension de Townsend à la dispersion, l'animal gérant de front la carrière de SYL et ses multiples efforts solo, quitte à passer du coq à l'âne en studio et à brûler la chandelle par les deux bouts.
L'amoureux sylien de la première heure que je suis a donc fortement tiqué en découvrant un "Alien" aux contours mélodiques pas si étrangers que ça pour qui a suivi en détail la carrière solo du canadien. Ce sagouin de Townsend aurait donc coupé notre tord boyaux SYL favori à la flotte DTB, rabaissant ce quatrième album studio au niveau d'un "Physicist" avec lequel il ne partage pas que le line-up? Oui et non. Oui car Devin, dont la patte inimitable ramène inévitablement ses camarades de jeu -
malgré leur impressionnant pedigree - au rang de sparring partners, ose l'impensable en intercalant un slow apaisant ("Two Weeks") entre deux parpinades plus traditionnelles. Une pointe de spleen héritée de "Ocean Machine" ou "Terria" qui fait se demander si ce barge de canadien fait encore la moindre différence entre chacun de ses projets, la brutalité de l'ensemble ne masquant pas ici d'évidentes percées émancipatrices sur "Possessions" : choeurs féminins appuyés à 1:14, claviers martiaux déjà croisés sur "Infinity" ou "Terria" rivalisant en puissance avec le mur du son érigé par la section rythmique et samples de gosses terrorisés appelant papa maman (sûrement pour faire cesser pareil vacarme), il y a ici largement de quoi faire la filiation avec un DEVIN TOWNSEND BAND empiétant quelque peu sur le territoire purement volcanique de SYL, caractérisé par les rythmiques explosives de Gene Hoglan/Byron Stroud/Jed Simon et les sautes d'humeur incontrôlables de son bouillonnant leader.
Non car la caractéristique principale de STRAPPING YOUNG LAD, l'intensité, est on ne peut plus présente et que ce quatrième full length surclasse haut la main le bien pâle "Physicist", d'assez loin l'album le plus faible du canadien avec "Accelerated Evolution". On peut encore s'en apercevoir sur "Thalamus", ce sont surtout les nombreuses couches de claviers qui prêtent à confusion ici, d'autant que lorsque Townsend le schizophrène lâche les chevaux sur ses productions les plus aériennes, la frontière entre SYL et son univers musical ô combien unique n'est plus aussi nette qu'à ses débuts, de "Ocean Machine" à "Terria" en passant par "Infinity". Voilà pour les griefs, surtout valables au premier abord car une fois passée la déception de ne pas voir la foudre frapper une deuxième fois au même endroit, "Alien" reste un très bon album de SYL, peut être le meilleur de la deuxième ère sylienne. Le démarrage foudroyant déjà, entretient le fol espoir de trouver un digne successeur à
"City", l'album éponyme ne m'ayant que moyennement convaincu lors de sa sortie deux ans plus tôt. Fini l'aridité des compositions de "SYL" et le relatif manque de flambe de titres comme “Rape Song” ou “Last Minute”: l'espace de trois titres magiques et monstrueusement jouissifs, nous voilà à nouveau projetés dans une mer de riffs démontée comme aux plus belles heures d'un "Home Nucleonics" ou "Underneath The Waves". Le couple infernal "Imperial/Skeksis" a tôt fait de nous mettre la tête à 20000 lieues sous les mers lorsque survient la tempête des cinquante ans "Shitstorm", authentique déferlante qui aurait littéralement englouti Bodhi (RIP Patrick Swayze), sa planche de surf et sa belle gueule mais aussi Johnny Utah, sa plaque du FBI et son genou en kit en détruisant tout sur son passage. Devin et ses sbires ont bouffé un lion qui lui même aurait dévoré sa portée et annoncent la couleur dès l'entame :
We have returned
Forever's invention
The two became one
Till we collide
Two worlds collide
Till we collide ... oh ...
Further ... further ... FURTHER!!!
Ce sera donc SYL meets DTB à fond les ballons et sans retour en arrière possible, les lignes de chant cajoleuses sur “Skeksis” contrastant avec les grognements, vociférations et hurlements en tous genres d'un Townsend constament au bord de la rupture d'anévrisme, même lorsque le tempo ralentit quelque peu sur une “Shine” harassante de pesanteur. Saoûlé de coups et de cris, les chantres de l'anéantissement par le son salueront la présence de nombreuses couches de claviers sur les titres les plus furibards du lot, qui participent du retour en force d'un SYL versant à nouveau dans l'hystérie la plus complète sur l'incroyable “Shitstorm”, Gene Hoglan se surpassant ici dans l'art de la démolition à la double pédale. Rebelote sur une “We Ride” sous métamphétamines qui voit s'abattre sur l'auditeur déboussolé par tant de violence gratuite une pluie diluvienne de leads avant l'avalanche finale d'une “Zen” qui porte on ne peut plus mal son nom. Alors bien sûr, "Alien" est moins bien structuré que "SYL", les titres s'enchaînent parfois au détriment de toute logique et tous ne sont pas inoubliables loin de là ("Love?" et "Thalamus" en tête de gondole) mais fort d'une énergie retrouvée et de pas mal de fulgurances, surtout sur les morceaux rapides, "Alien" mérite bien mieux qu'une écoute distraite sous prétexte de consanguinité avancée avec le DEVIN TOWNSEND BAND. Sur le podium des meilleures productions du groupe, derrière les intouchables
"City" et "Heavy As A Really Heavy Thing".
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