Bon, ne m'en voulez pas : on va prendre les choses dans le désordre. Ayant découvert Void Of Silence avec le très glauquement vôtre
Human Antithesis, album qui suivra ce
Criteria Ov 666, cette chronique risque d'avoir des allures d'effet Doppler dans ses comparaisons à rebours et ses rétro-anticipations. Par ailleurs, ce retour vers le futur du subjonctif me permet au passage d'annoncer la venue du nouveau né des italiens, le très attendu (pour ma part)
The Grave Of Civilization, que vous vérarassiez bientôt dans ces pages. Ça va vous suivez ?
On reprend. Void Of Silence ce sont deux gais lurons transalpins, Riccardo Conforti et Ivan Zara, qui pour mieux traverser l'existence se sont fixés des règles de vie simples, du genre « rigoler c'est nul », ou bien « la réverbération c'est bien ». Mais ce ne serait pas drôle si dans la foulée ils n'avaient pas décidé de plomber le moral de tout le monde, entreprise particulièrement réussie sur le présent album. Six cent soixante-sixième occurrence du nombre de la bête sur la longue liste des titres d'album de metal, en voilà un au moins qui n'aura pas usurpé sa présence aux côtés du malin. Ou plutôt au milieu des hommes contre les hommes.
Mais quid de la musique ? Le moins que je puisse dire c'est que tout ce qui constituera par la suite
Human Antithesis est déjà bien présent et totalement maîtrisé sur cet opus. La base est indéniablement doom, avec des guitares accordées au rabais, des riffs lourds et massifs, et une vitesse d'exécution réduite. Cependant on est loin de l'encéphalogramme zéro du funeral doom (n'y voir aucune attaque), et ce n'est pas cette lourdeur là qui donne à
Criteria Ov 666 l'entière teneur de son atmosphère, au demeurant fort recherchée. Void Of Silence n'écrase pas l'auditeur par le confinement, mais au contraire en le plaçant sous une voûte dont l'immensité inquiétante le pose face à ses propres limites. Cette grandeur, le groupe va parfois la chercher auprès d'une seconde couche de guitares. Tantôt Leads aériens, non pas grandioses mais empreints d'une noble amertume, tantôt arpèges spatiaux, c'est tout le tragique d'une chute commune que ces manifestations viennent exprimer ici. Les mélodies – très simples, voire peu originales – s'étirent et se délitent, se défont et se refont, comme la rencontre soudaine et fascinante de deux liquides non miscibles.
Dans sa course lente, le doom de Void Of Silence croise les horizons lointains d'un ambient qui parvient à être à la fois industriel et sacré. Les instrumentations classiques, plus nombreuses que sur son successeur, tapissent doucement ce
Criteria et lui permettent de repousser plus loin encore les frontières de son espace sonore. Vastes dimensions dans lesquelles s'imprime également une batterie mécanique, dont les brisures évoquent parfois un phrasé militaire. À cela s'ajoutent des samples et autres bruits inquiétants impeccablement intégrés dans le travail de composition, leur présence rappelant aussi la valeur malheureusement terrestre de cette détresse.
Les chœurs, là aussi plus récurrents qu'ils ne le seront sur
Human Antithesis, évoluent dans un registre particulier : celui du chant liturgique. En empruntant ainsi à la musique sacrée, le groupe développe un langage controversé qui fusionne le beau avec l'éminemment douloureux, ce qui élève avec ce qui accable. Il juxtapose enfin la noirceur humaine du péché et la grandeur dont celui-ci nous fait déchoir.
Ceux qui ont lu ma chronique de
Human Antithesis s'attendent certainement à ce que je parle du chant. C'est d'accord (je suis cool hein ?). Avant que A. A. Nemtheanga (rappelons-le chanteur réputé de Primordial), ne pose sa voix si singulière sur la musique des italiens, officiait à ce post Malfeitor Fabban, également en charge de la basse, du synthé et de quelques vocaux chez leurs concitoyens d'Aborym (groupe que n'est d'ailleurs pas sans rappeler Void Of Silence, conjuguant également noirceur et sonorités industrielles). Ma fois le chant de Fabban représente une agréable surprise à mes yeux, étant un peu plus protéiforme que celui de son successeur, même s'il use moins du chant clair. Il s'agit majoritairement d'un chant typé black metal assez comparable à celui de l'Irlandais, bien que plus glaireux. Ce côté vaguement malsain n'est pas déplacé au regard des textes qui courent plus volontiers dans les jupons de Satan, mais toujours avec amertume, dégoût ou simplement intelligence. On y retrouve sinon le même appui et la même lenteur empruntés au doom, qui donnent à chaque phrase une grande résonance.
Le chant de Fabban c'est aussi un chant clair particulier. Lorsqu'il l'emploie, les paroles deviennent indistinctes et se perdent dans une complainte lointaine et généralisée. C'est le chant d'un spectre qui donne l'impression de parvenir de l'au-delà, peut-être parce qu'en ces lieux la limite qui nous sépare de cet ailleurs est plus ténue. Mais trêve d'images lourdingues, notons plutôt la présence également récurrente de passages parlés. Faisant écho aux différents samples, ils garnissent l'album d'une certaine profondeur narrative. Celle-ci vient alimenter les références mal digérées à la guerre et à la violence, fruits pourris d'une plume amère et sans concessions.
La variété des vocaux est à l'image de la musique dont l'architecture, dans l'ensemble très fluide et progressive, reste néanmoins assez imprévisible. Sans qu'il y ait de réelles ruptures, on assiste à de subtils changements de fond, dans lesquels une instrumentation qui jusqu'alors était tapie en arrière plan, finit par surgir dans un renversement léger, jamais abrupt. Ainsi se succèdent avec un grand naturel des humeurs sensiblement différentes : haine, colère, malveillance, puis soudain tristesse et recueillement. Une orchestration peut par exemple se muer en une plage ambient plus éthérée, ou encore en un piano fragile. Cette capacité à gérer les rapports de tons, si elle n'est pas encore aussi maîtrisée et homogène que sur
Human Antithesis, à cependant le grand mérite d'être plus généreuse.
Pour cela,
Criteria Ov 666 est déjà un très bel album, et c'est bien faute d'une intervention d'Alan Nemtheanga qu'il ne parvient pas à atteindre le même impact émotionnel que son successeur. Il serait franchement bête de passer à côté pour qui, comme moi, a apprécié l'offrande suivante. La noirceur est au rendez-vous et on n'en attend pas moins du tout récent
The Grave Of Civilization. À bon entendeur…
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