Il aura fallu six longues années à Void Of Silence pour donner un héritier au sublime
Human Antithesis. Petit problème de fertilité ? Non, non, la virilité des Italiens est sauve, c'est simplement qu'un bon orgasme demande de longs préliminaires. Alors au bout de six ans de caresses attentives, les compositions de
The Grave Of Civilization devraient logiquement trouver le chemin de notre point G, même s'il faut avouer que les choses n'ont pas dû être aisées pour Ivan Zara et Riccardo Conforti qui, à chaque album, doivent se séparer d'un bon chanteur. Les prouesses nuptiales du regretté Alan Nemtheanga ayant puissamment marqué la musique du duo, son départ en plein acte a de quoi ramollir les autres du bas ventre. Mais voilà qu'arrive Brooke Johnson, bel éphèbe de son état et accessoirement vocaliste chez The Axis Of Perdition. La question se pose donc: Brooke va-t-il casser des briques ?
Quelques briques en effet, mais j'y reviendrai. L'introduction « Prelude To The Death Of Hope » offre un visage légèrement différent du Void Of Silence que l'on connaît : point de longue mise en place à base de samples oppressants, point de réminiscences industrielles, et nulle ambiance malsaine. Le morceau débute par des nappes de claviers dont le chuchotement majestueux – presque cosmique – nous murmure « attention, on décolle ». Un piano fragile égrène quelques notes, le chant liturgique qui permet de reconnaître le groupe entre mille s'immisce discrètement, un flottement laisse la tension gagner nos sens et puis… les guitares se déploient pour un constat que ne démentira pas le reste de l'album : jamais Void Of Silence ne s'est fait aussi atmosphérique. Trois minutes qui ne semblent durer qu'une poignée de secondes et déjà, avec des éléments très simples, une ambiance est callée, et une noble amertume s'empare de nous pour un voyage qui une fois encore ne se fera que la gorge serrée et le visage crispé.
Il faut attendre le second morceau pour qu'émerge le côté dangereux du groupe, avec un riff menaçant et l'apparition d'un Brooke Johnson qui semble d'abord faire pâle figure auprès de son prédécesseur. Cependant, sa voix – uniquement du chant clair – qui a clairement moins de charisme que celle de Nemtheanga parvient néanmoins à déstabiliser, étant elle aussi mal ajustée. Tout en déséquilibre, achevant chaque ligne sur le même phrasé monocorde, elle remémore la malveillance présente sur les précédents opus. Sur « Temple Of Stagnation » elle bascule dans un registre plaintif un peu crispant, qui n'est pas sans rappeler S.A.S chez Misanthrope. Des vocaux instables, presque faux, que l'on n'apprécie totalement qu'après de multiples écoutes, et qui renforcent énormément les moments d'accalmie. Sur ces derniers Brooke Johnson dévoile un chant incroyablement apaisant, presque parlé et qui, combiné à un jeu de guitare pur et minimaliste, m'évoque énormément celui de Johan Edlund chez Tiamat (3:40 sur « The Grave Of Civilization »). Protéiforme, il l'est également lorsqu'il se veut plus épique, parfois souligné de backing vocals (8:25 sur le même titre, « Apt Epitaph », « None Shall Mourn »). C'est la tendance générale de ce nouvel album : une complainte plus reposée qui permet au groupe d'exprimer avec une résignation et un calme désarmants les douloureuses conclusions d'une détresse qui plane au dessus de tous leurs ouvrages (un « I envy the dead » achève le titre éponyme et un « Truth be told, I like the solitude now I am alone » conclu l'album : tragique garanti).
On retrouve globalement des plans déjà présents de manière implicite sur
Human Antithesis, mais la production, plus claire, plus propre, et les leads plus omniprésents dégagent un sentiment bien différent. Le titre « None Shall Mourn » dont la guitare introductive transperce la brume avec l'acuité d'un laser bleu annonce ce que l'on croyait impossible de la part d'un groupe tel que Void Of Silence : un infime note d'espoir. C'est la bouleversante concession faite par les plus tristes des troubadours, qui dans la tourmente nous proposent l'espace d'un instant de relever la tête et de pleurer sur leur épaule. Sur
The Grave Of Civilization le groupe commence doucement à délaisser la colère, la haine et la folie. Reste une tristesse délirante de lucidité et, plus troublant encore, dénuée de regrets. C'est aussi une musique plus essentielle qui abandonne les sonorités industrielles. Sur le dernier titre « Empty Echo », un instrument étrange se manifeste : une flûte dont les accents folks renvoient au contraire aux origines, où dès le commencement l'homme contient sa propre chute. Ce rappel, s'il est musicalement une piste très intéressante pour le futur des italiens, est en tout cas une des clefs de cet album et de la musique du groupe depuis ses débuts.
Voilà, je m'étais promis de ne pas m'emporter à nouveau en chroniquant du Void Of Silence, mais même mon intro plus que douteuse n'y aura rien fait. La musique proposée ici force l'esprit et soumet le coeur. A tous ceux qui aiment se flageller et qui se complaisent dans la mélancolie je conseille vivement cet album, à l'heure qu'il est une des meilleures sorties de l'année.
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