Early Graves - Goner
Chronique
Early Graves Goner
Bon. Je vais présumer que tu es quelqu’un d’initié au genre, assez pour bailler d’ennui dès que tu lis « Cursed », « Southern Lord », « urgence », « raw », « intense » (désolé pour ta mâchoire) et la ribambelle de superlatifs communément employés pour désigner la vague crust qui ne croule plus sur nous mais nous pèse, si bien qu’on ne ressent plus sa houle de violence mais un ras-le-bol proche de l’asphyxie.
Early Graves, tu l’auras deviné (parce que, cher interlocuteur imaginaire, tu ne connais pas Early Graves), se situe dans ces eaux-là. Il y baigne des pieds à la tête depuis 2008 et son premier album We, The Guillotine, soit un peu avant la déferlante mais sans avoir eu le temps de gagner la notoriété nécessaire pour qu’on lui accorde plus d’attention qu’à un autre situé dans le même giron. Deux ans plus tard paraît Goner, où la formation de San Francisco semble rester on-ne-peut-plus typique : production analogique qui dégueule sur les côtés ; voix d’ours énervé ; guitares à tremolos, cassures, accords énervés ; batterie à blasts, D-beat, mid- et up-tempos énervés ; basse inaudible (mais certainement énervée) ; expurgation des passages post-hardcore et noisy de son prédécesseur ; textes un peu satanistes, un peu agressifs, un peu comme tout le monde ; sortie en vinyle via le label de Greg Anderson ; confection d’une mixtape pour CVLT Nation… De l’habituel en somme.
…
Tu la sens, la blase ? Tu la sens, l’incapacité à dire pourquoi malgré ses airs de gendre idéal du crust moderne ce disque défonce tout ce qui s’est fait dans le domaine voire ravi sa couronne au créateur de III – Architects Of Troubled Sleep ? Early Graves n’est pas différent de ses contemporains et pourtant devient plus précieux qu’eux réunis, plus important qu’une surcharge/bourre/course pétrie d’influences, plus marquant que les adjectifs extrêmes que tu pourras trouver et qui euphémisent n’importe quelle seconde prise au hasard sur Goner. Il enlève à ce type de hardcore ce qu’il a attrapé de protocolaire pour devenir aussi limpide qu’une claque sur ta gueule en posant en loi ce que les meilleurs ont seulement esquissé : la mandale exponentielle. Les riffs augmentent constamment en brutalité et les premières mesures du premier titre te soufflent déjà comme un magasin de ventilateurs aux potards mis sur « Tempête ». Ce qui fait qu’il ne parait avoir d’abord aucun temps fort (peu varié et court – l’une des rares œuvres où ces mots sont qualités) puis finit par progressivement s’imposer en un unique jet découpé en dix titres laissant labouré d’exemples donnant à la métaphore « la tête contre un mur » un sens concret et renouvelé à chaque écoute (qu’il a entrainé par paquet depuis sa sortie et desquelles je ne reviens toujours pas, simplement). C’est alors abruti que tu ressors de ses vingt-cinq minutes, détruit par cette chose continuellement raide le constituant, une chose qui n’est pas que dynamique bestiale, pas que sauvagerie bœuf, pas que sincérité brute, qui dépasse la synthèse blackenedgrindcrustcorethrashydeathmetal pour atteindre le but rêvé : transformer le corps en cervicale sans baisse ou ménagement puisque la finalité n’est ni le beau, ni le bon, ni le bien. L’objectif est de briser.
Cette chose-là est trop totale pour être déconstruite, trop précise pour être formulée. Vu que cette chronique tombe dans les stéréotypes qu’elle souhaitait éviter et se révèle impuissante à expliquer ce qui place Goner au dessus, ce qui le pose en aboutissement d’une partie des musiques extrêmes actuelles, sans doute m’autoriseras-tu un dernier cliché navrant en le qualifiant d’indescriptible. Aller, ça pourrait être pire ! J’aurais pu jouer sur les sentiments en évoquant le statut « culte » qu’il a acquis depuis le drame ayant suivi sa sortie (à la place, je te laisse te renseigner). Il n’en a pas besoin mais peut-être un meilleur transcripteur a réussi ou réussira à dépatouiller ce que je suis incapable d’exprimer par des descriptions ou citations de cas similaires. Après tout, des groupes qui n’ont en apparence rien de particulier et retournent un style, il y en a eu d’autres qu’Early Graves. J’imagine.
| lkea 19 Mai 2012 - 2872 lectures |
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