Il y a à peine plus d’un an
« Sui Caedere » nous emmenait sur un chemin anfractueux, traversant un monde désolé où seul le chant des corbeaux venait apporter une trace de vie accompagnant cette marche funeste. Nous pensions alors avoir atteint le point de non-retour, il n’en était rien. Malheur à ceux qui n’ont pas fui, car cette fois-ci Eye Of Solitude nous entraine vers le dernier voyage. Celui qui nous emmène là où tout finit, là où les âmes damnées errent sans fin sous le poids de leurs péchés, au centre de la Terre.
« Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate »
Masochistement attendu avec une impatience quasi malsaine par votre serviteur, ce troisième opus des Britanniques bien que similaire sur le fond, nous offre une forme accentuant encore s’il en était réellement besoin le côté dense et monolithique de leur art. A peine plus de court de quelques minutes que son prédécesseur (ce qui nous fait tout de même un voyage éprouvant de 66 minutes) l’opus se découpe en six actes s’étalant de neuf à quatorze minutes. Âmes timorées vous pouvez encore rebrousser chemin. Largement inspiré de la Divine Comédie de Dante comme le laisse entrevoir une nouvelle fois le magnifique artwork de Giannis Nakos (qui sait, lui, se renouveler) dépeignant Charon, premier gardien des Enfers, traversant l’Achéron afin de récupérer sur ses berges les âmes condamnées à l’éternel tourment, « Canto III » poursuit globalement le périple musical initié par le prometteur « The Ghost » puis transcendé par le magistral
« Sui Caedere ». Le doom death puissant du quintette n’a guère bougé (Daniel demeure de toute façon l’unique compositeur à bord) malgré les changements de line-up opérés depuis un an avec l’arrivée de deux membres de Sidious (Chris Davies à la basse et Mark Antoniades à la guitare) et celle d’Adriano Ferraro derrière les fûts, tous trois déjà présents pour l’enregistrement de
« The Deceit ». Même si Eye Of Solitude manie toujours le break atmosphérique avec brio, n’espérez pas apercevoir la lumière ici, la seule lueur que vous percevrez sera celle du feu de Lucifer. Dès « Between Two Worlds (Occularis Infernum) » vous ploierez sous le poids de tous vos péchés jusqu’à l’issue fatale. Les passages atmosphériques, s’ils sont légion (chaque titre en bénéficie) et aussi beaux soient-ils, n’apaiseront que trompeusement vos souffrances et si le chant clair magnifique de « Where The Descent Began » pourra vous redonner du baume au cœur l’espace d’un instant, les lamentations de « He Who Willingly Suffers » et « The Pathway Had Been Lost » vous renverront instantanément 666 pieds sous Terre. Profitons-en pour tout de suite se laisser aller au traditionnel panégyrique sur la prestation vocale de Daniel encore une fois absolument fabuleuse, immense, impressionnante, bref je me répète mais il est pour moi le meilleur vocaliste de métal extrême actuel, qui plus est aussi à l’aise avec sa voix claire cristalline superbe (bon sang ce passage à 2’49 sur « Where The Descent Began », à vous foutre des frissons !) qu’avec son growl affreusement profond et ténébreux voire un chant limite black (« Between Two Worlds (Occularis Infernum) » à 5'20). Bref c’est un régal ! S’il participe en grande partie à l’aspect brutal d’Eye Of Solitude (c’est d’ailleurs cela qui m’avait d’emblée plu chez eux), il est toutefois aidé par une section rythmique qui appuie ici encore plus là où ça fait mal. « Canto III » réserve en effet sa dose de blasts afin de ne pas usurper le terme ‘’death’’ dans le style pratiqué et ils ne tardent pas trop à arriver (« Between Two Worlds (Occularis Infernum) » à 5’53). Ces passages sont de vrais ilots de brutalité dans l’océan de lourdeur oppressante que représente « Canto III », là encore un vrai régal.
Car hormis ces passages coups de poing, Eye Of Solitude vous trainera à terre, groggy et assommé par l’atmosphère suffocante qui se dégage de ce troisième album. Le travail sur les ambiances et atmosphères est une fois de plus remarquable avec ces longues intros enivrantes, ces nappes de clavier discrètes enveloppant des guitares aux tremolos cinglants. Si les mélodies revêtent moins souvent l’aspect ‘’gothique’’ que l’on pouvait parfois trouver sur
« Sui Caedere » (ici surtout sur « I Sat In Silence »), elles n’en demeurent pas moins omniprésentes, structurant la trame musicale de « Canto III ». Un titre se démarque toutefois du lot, non pas en terme de qualité mais de composition. Il s’agit de « The Pathway Had Been Lost » dont les accents plus rock (voire post-machin ?), tout en se fondant parfaitement dans la masse, viendront apporter une petite touche décalée, presque douce. Pas de méprise néanmoins, le titre gardera globalement une ambiance loin d’évoquer le jardin d’enfants du coin.
Eye Of Solitude confirme donc ici avec brio tous les espoirs que l’on avait pu placer en eux après un
« Sui Caedere » fabuleux qui ne restera donc pas comme un coup d’éclat isolé dans la discographie des Anglais que l’on espère aussi longue que leurs albums. C’est donc en rampant que vous terminerez l’écoute de « Canto III », à la fois abasourdi par tant de lourdeur et de brutalité, impressionné par tant de maîtrise et totalement conquis par ce qui s’impose d’emblée et sans conteste possible comme l’une des sorties les plus importantes de cette année 2013. Un futur classique assurément.
Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi ritrovai per una selva oscura,
ché la diritta via era smarrita.
PS : à noter que la version digipack contient un CD bonus regroupant les deux EPs « Awoken By Crows » et
« The Deceit », ainsi que la video du titre « Awoken By Crows ».
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