Kauan - Sorni Nai
Chronique
Kauan Sorni Nai
Durant la nuit du 1er au 2 Décembre 1959, neuf randonneurs soviétiques trouvèrent la mort de façon inexpliquée dans le nord de l'Oural. Cette tragédie est nommée « L'affaire du col Dyatlov », et reste encore mystérieuse à l'heure actuelle. Les rumeurs et spéculations autour de celle-ci ont alimentées de nombreuses œuvres artistiques, parmi lesquelles Sorni Nai, nouveau disque de la formation russo-ukrainienne Kauan. C'est donc un concept album que les cinq musiciens ont façonné, composé d'un seul titre long de cinquante-deux minutes, découpé en sept parties.
Kauan est avant tout un groupe de post-rock, et il a des histoires à conter au travers de cette offrande. La toile de fond hivernale développée grâce à l'apport conséquent du violon et des claviers permet de solidifier les fondations et d'octroyer une véritable cohérence à l'ensemble, qui se révèle aussi bien homogène que varié. Chaque instrument est soigneusement placé pour parfaire l'opus, et intervient au moment opportun dans ce récit de voyage. Sorni Nai pourrait donc apparaître comme une œuvre douce et inoffensive, propice au songe et à la rêverie mais c'est bien mal connaître la formation qui souhaite tenir son concept jusqu'au bout. Les perturbations seront nombreuses sur le chemin qui conduira les randonneurs vers une mort certaine et ces obstacles se retranscrivent avant tout par l'intervention de guitares saturées aux teintes doom et d'un chant extrême. Ces deux fauteurs de trouble se montrent par ailleurs de plus en plus présents au fur et à mesure de la traversée, annonçant à l'auditoire petit à petit la tragique fin des protagonistes. La trame est de cette façon respectée, et la musique plonge dans cette épopée aux côtés des randonneurs au destin funeste.
Anton Belov se fait, de cette façon, davantage narrateur que chanteur et ses interventions ne prennent jamais réellement le devant de la scène. Sa voix claire accompagne somptueusement les moments les plus mélodiques, parfois soutenue par sa comparse Alina, dont la présence est d'ailleurs accrue par rapport aux albums précédents. L'utilisation de sa voix est elle aussi intéressante, se positionnant avant tout comme un instrument, aux côtés de la section rythmique, des claviers et du violon. L'apport vocal apporte un réel plus à Sorni Nai, tant les chants ont un rôle à jouer dans cette longue et unique pièce, comme dévoilant des étapes du récit. Ne comprenant pas un mot de finnois (oui, un groupe ukrainien / russe qui chante en finnois, étrange n'est-ce pas?), je ne suis pas apte à vous dévoiler le contenu de la narration, mais celle-ci laisse libre court à l'auditeur d'imaginer par lui-même quels événements se sont déroulés cette nuit là.
Kauan n'est pas là pour apporter une réponse sur l'affaire du col Dyatlov, ou donner sa version des faits. La musique parle d'elle-même, et nous place parmi le groupe des randonneurs. C'est à ceux qui écoutent l'opus de s'imaginer quelles péripéties les neuf skieurs ont pu vivre. Les mouvements dans la musique, les déchaînements, les accalmies sont là pour apporter des rebondissements et diversifier le propos mais l'aspect contemplatif, lui, reste présent du début à la fin. C'est bien là qu'est la force de Sorni Nai : l'album raconte une histoire, mais laisse chacun dans le mystère le plus complet. Tout comme cette tragédie n'a encore aucune explication, chaque personne se laissant transporter dans l’œuvre vivra un voyage et des dénouements différents.
Découper cet opus, en extraire une piste en particulier comme étant plus marquante que les autres m'est impossible, tant Sorni Nai forme un bloc cohérent. Mais une fois de plus, Kauan parvient à séduire grâce à la richesse de sa musique, à sa finesse et à son sens de la composition justement mesurée. L'album est exigeant, et il m'a fallu de nombreuses tentatives pour m'imprégner parfaitement de ces ambiances froides et peu accueillantes. Une fois dedans, vous n'aurez cependant plus envie d'en ressortir. Et, surtout, envie de continuer ce périple le plus longtemps possible, avant de ne pouvoir échapper à cette fin tragique.
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