Forgotten Woods - As The Wolves Gather
Chronique
Forgotten Woods As The Wolves Gather (Rééd.)
(+ Sjel Av Natten)
Mayhem, Burzum, Darkthrone, Emperor,... Lorsque le thème de la seconde vague Black Metal est abordé – et donc par extension la scène norvégienne – Forgotten Woods n'est pas forcément le premier nom qui vient à l'esprit. Il faut dire que le nombre de réalisations cultes ne manque pas tout comme les événements survenus au cours de ces années – trustant malheureusement tout l'espace. De plus, les musiciens – pourtant bien jeunes lors de la création du groupe – n'étaient pas du genre à suivre la masse ou en adopter les codes (les corpsepaints et autres ont vite été remisés à la cave). Un détachement et une maturation précoces qui vont se répercuter au fil du temps sur la musique délivrée par la formation. Cette évolution naturelle conduira à la réalisation d'un premier album davantage personnel et novateur et dont les sorties suivantes – plus particulièrement le second long format The Curse of Mankind – ne feront que renforcer son style ainsi que son influence (notamment sur une certaine fange du Black Metal Dépressif, Lifelover en tête).
La réédition de As the Wolves Gather parue cette année via le label italien Aeternitas Tenebrarum Musicae Fundamentum, outre le fait d'officialiser la rupture avec No Colours Records, est donc un bon moyen de mettre un coup de projecteur sur Forgotten Woods. Une entité qui, tapie dans une relative obscurité et sans faire d'esclandre, a su tracer sa propre voie et marquer au passage durablement quelques esprits durant sa première période d'activité s'étalant de 1993 à 1996. Et, pour ne rien gâcher, les choses n'ont pas été faites à moitié avec un livret plutôt bien agrémenté, le choix de garder l'artwork original (merci !) ainsi que les titres du très bon EP Sjel Av Natten en bonus. Du costaud !
En effet, le groupe a l'art et la manière de distiller moultes émotions à travers une musique riche puisant ses racines dans divers courants musicaux. En découlent des compositions complexes et des plus prenantes avec notamment une basse parfaitement audible, voire en avant dans le mixage, donnant davantage de profondeur au propos. Et, dès le touchant et indémodable « Eclipsed » s'ouvre votre ballade crépusculaire dans les contrées hostiles norvégiennes. Le froid vous saisit peu à peu avec ce chant très écorché et sur le fil, dont la réverbération ne fait qu'accroître son emprise, un son bien raw ainsi que des lignes de guitares à la fois très mélodiques et mélancoliques. Une marque de fabrique reconnaissable entre mille et un contraste formidablement mené d'une main de maître par Forgotten Woods. Ce contraste semble d'ailleurs assez fragile, à l'image de la nature humaine : inconstante, périssable et à la merci des éléments. Pourtant As The Wolves Gather est d'une grande fluidité et les influences s'entrechoquent les unes aux autres – souvent au sein d'une même piste – avec un naturel déconcertant. Les sonorités black abrasives à la Bathory (cf. le morceau titre) se frottent à des passages plus aériens ; les plaintes de Thomas Torkelsen viennent se greffer à des parties plus rock et moins oppressantes (comme sur « Dimension Of The Blackest Dark ») et ainsi de suite. Douceur et bestialité. L'histoire se déroule sans accrocs, les nuances et petits effets (comme les samples) ressortant au fil de l'écoute – chaque morceau délivrant différentes tonalités et sensations.
Le noir prédomine ici et vous ensevelira à coups de riffs cafardeux surgissant de nulle part mais aussi de sonorités âpres à souhait. Toutefois, ce premier album de la formation rutile – à l'image des deux interludes instrumentaux d'une grande élégance – grâce, en particulier, à des ambiances soyeuses. La lumière crépusculaire qui guide vos pas revêt, au gré des minutes, un éclat particulier – à la fois irréel, réconfortant et beau. De même, vous vous complaisez dans ce spleen et cette misanthropie ambiants. Toujours ce clair-obscur qui découle du travail d'écriture des Norvégiens, qui est l'un de ses atouts majeurs au côté de sa force à toujours tenir en haleine. Car Forgotten Woods ne desserre jamais son étreinte avec un ensemble des plus accrocheurs. Que ce soit ces mélodies, certes sombres mais vous touchant en plein cœur, les passages poignants limite épiques à vous coller des frissons (« In My Darkest Visions »), les influences rock apportant davantage de percussion à certains morceaux ou encore les parties plus acrimonieuses et obsédantes (le très bon « Through Dark And Forgotten Valleys »). Sans tomber dans le poussif ni dans le pathos et sans même que le rythme s'emballe outre mesure, le groupe arrive à égrainer ce qu'il faut de malaise et de tension pour vous remuer les tripes, le tout agrémenté d'un puissant pouvoir addictif. « Une main de fer dans un gant de velours » en somme.
Et, cette singularité va se renforcer sur les trois titres de l'EP Sjel Av Natten – se plaçant dans la droite lignée de As The Wolves Gather et créant parfaitement le lien avec The Curse of Mankind – qui viennent prolonger votre escapade nocturne. La maturité des Norvégiens s'expose davantage avec des morceaux qui gagnent en longueur ainsi qu'un gros travail effectué sur les sonorités, toujours plus aventureuses, denses et modernes (pour l'époque). Toutefois, le froid se fait plus mordant ici avant un ensemble plus rythmé ainsi que des accélérations franches (notamment sur « Sjel Av Natten »). Car après quelques passages bien entraînants voire tubesques de « Sjel Av Natten », l'atmosphère va rapidement se charger. Un déluge de neige qui perturbe votre marche à travers un paysage inhospitalier, accompagnée par le petit bijou de noirceur qu'est « En Natt Med Storm Og Ravners Skrik » (proche de Ulver, période Bergtatt - Et Eeventyr i 5 Capitler. Je pourrais passer ce titre en boucle tant ce dernier renferme tout ce que j'aime dans le black : des mélodies à tomber, une bonne dose de mélancolie, le chant déchirant de Thomas Torkelsen mais aussi des chœurs sublimes. Le ton se durcit toujours un peu davantage, Forgotten Woods jetant ses dernières pièges et montant crescendo avec un aspect viscéral et lancinant plus tenace.
Votre agonie sera longue et douce. Mais vous vous prendrez à aimer ça et en redemanderez encore et encore malgré les 1 heure 19 que dure cette réalisation. Et, si ce n'est pas encore fait, je vous invite donc à plonger dans l'univers du groupe – et à ne jamais revenir. Cette réédition sera un beau point de départ pour votre immersion. Et, si jamais la magie opère, je ne peux que vous recommandez de vous jeter sur le second album qui représente, à mes yeux, la quintessence même du groupe.
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