Cinquième album pour Sargeist, et pas une seule fausse note à relever pour l’instant sur l’ensemble de la discographie. L’infatigable Shatraug, le finlandais aux deux milliards de projets, n’a pas montré un seul signe de faiblesse durant l’entière carrière de son projet né en 1999. Ni même vraiment ailleurs, en fait. A titre personnel, j’aime bien voir Sargeist comme le second versant d’une montagne dont les pentes seraient d’un côté Sargeist, et de l’autre Horna. D’un côté, la déferlante de mélodies emphatiques et émotionnelles portées par une noirceur sublime, de l’autre le rituel monolithique, occulte et terrifiant, insondable et toujours profondément hostile. Deux projets très différents, donc, mais toujours réunis par cette approche bien particulière du black metal finlandais que Shatraug a largement participé à définir. On pourrait même parler d’homme providentiel en regardant ce que le bonhomme a fait pour Behexen ; après deux albums qui plongeaient le groupe dans les abysses du passable puis du médiocre, Shatraug se pointe à la composition le temps d’un album et vient aider le groupe à revenir en grande pompe en sortant
The Poisonous Path, un album exceptionnel. Il n’y a pas à dire, le gars Shatraug, ce n’est pas n’importe qui.
Unbound se pointe quatre ans après son excellents prédécesseur. Shatraug s’est entouré de nouveaux musiciens, mais garde bien évidemment la mainmise totale sur la composition. Sargeist, c’est son bébé, enfin un de ses bébés. Shatraug-Niggurath, le Bouc aux milles chevreaux ! On apprécie tout de suite l’artwork qui présente une belle idée bien morbide et sinistre comme on les aime, mais qui manque tout de même d’un petit truc que je ne saurais désigner précisément dans le traitement pour être aussi prenante que ce que l’on aurait pu rêver … On notera au passage que le mastering a été fait par Henri Sorvali, que l’on connait pour son travail chez Finntroll et Moonsorrow dans un registre plus sérieux. Après la crasse total de
Feeding the Crawling Shadows, Sargeist retourne à un son un peu plus clair qui se rapproche un peu dans l’idée de ce que l’on pouvait trouver sur
Let the Devil In. Les guitares sont vibrantes, la batterie est réverbérée juste ce qu’il faut pour garder ce côté claquant tout en affichant cette touche un peu mystique et la basse gronde en fond de mix pour cimenter le tout, tout à fait audible et discernable. Tout est en place au poil, à portée d’oreille, on a plus qu’à y mettre les mélodies de Shatraug et à remuer le chaudron.
Les mélodies, sur cet album, il y en a un paquet. Un gros fagot de riffs possédés et possédants qui sentent plus la Finlande que n’importe quel saucisson de renne. Le Seigneur Shatraug est généreux, et envoie du riff bien de chez lui sans tarir. Pas d’intro, on commence tout de suite sur « Psychosis Incarnate » qui débarque à fond de train servie sur blast copieux. On est en terrain connu de chez connu, mais on y a son pied à terre et ses charentaises depuis un bon bout de temps déjà, et on adore aller s’y paumer quand on a besoin de se rappeler ce que c’est au fait le black metal. On avait tendance à oublier depuis les derniers albums de Behemoth et le feuilleton Batushka.
Comme toujours, Sargeist alterne entre élans morbides déchirés qui soulèvent l’émotion, et atmosphères plus lancinantes et sinistres un peu plus loin. Les deux premières pistes sont respectivement le reflet de ces deux effluves, et d’autres pistes comme « The Bosom of Wisdom and Madness » sont la parfaite synthèse des deux ensemble. Cette dernière est d’ailleurs assez remarquable pour la performance du nouveau chanteur Profundus. Il ne possède pas le coffre impressionnant de ce cher Hoath Torog présent sur le dernier album, mais compense par une variété d’intonations et de ton plus large, allant des déclamations enfiévrées aux hurlements de damnés en passant par la grosse voix caverneuse et menaçante. Convaincant, adapté et ensorcelé.
De
Feeding the Crawling Shadows, Sargeist a gardé son format. Dix pistes courtes (la plus longue fait six minutes), bien ramassées et dynamiques. On y retrouve tout ce qui fait l’endémicité de cette scène nationale, avec les pistes portées sur des mid-tempi peinés et douloureux comme sur « Hunting Eyes », les accords batailleurs et enlevés comme sur « Death’s Empath », ou bien sûr les inénarrables mélodies ensorcelantes comme sur la piste éponyme. La belle diversité présente sur
Unbound fait vraiment plaisir ! Et malgré cette variation, l’album garde une vraie cohérence de ton et de style bien immersive. Je n’aime pas beaucoup ce mot dans le contexte du black metal, mais Sargeist a indéniablement quelque chose de « romantique ». D’habitude, si vous accolez « romantique » à « black metal », moi je me barre. Mais dans le cas de Sargeist, c’est superbe. On oublie tout le kitsch et le surfait du romantisme cucul de groupes comme Craddle of Filth (désolé Sakrifiss) ou celui, insupportable, du (post) black atmosphérique moderne qui suinte la guimauve et le mièvre. Là, on parle plus de quelque chose qui se rapprocherait des romans de Clark Ashton Smith. Une nostalgie sombre et puissante, qui fait divaguer la conscience dans des atavismes intérieurs que l’on s’ignorait. Sargeist, c’est un vagabondage dans les forêts et les vallées d’Averoigne, le pays des sorciers et des monastères interdits.
Bon, si on veut être complétement honnête, on peut trouver un petit défaut à
Unbound, et ce défaut serait la longueur. 47 minutes, ça fait un poil longuet je trouve. Alors attention, c’est longuet mais pas réellement chiant, on n’en vient jamais à bailler, mais disons que l’attention peut se diluer sur le troisième tiers de l’album. Les choses se passent toujours très agréablement, mais pour peu qu’on soit un peu fatigué, on peut en arriver à perdre de la concentration. Je pense que deux pistes auraient pu sauter sur ce dernier tiers, avant le très bon final « Grail of the Pilgrim ». Je n’ai pas de piste en tête en particulier, mais deux d’entre elles auraient gagné à se trouver sur une autre sortie, à mon avis, histoire qu’on garde la force de frappe totale du disque. L’album aurait pris en impact, et le matériel inutilisé se serait retrouvé sur un EP ou une compilation qui aurait permis une meilleure mise en valeur. Après bon, je vous dis ça, mais si ça se trouve je suis le seul à penser ça. Indépendamment, tout est bon, que les choses soient dites et redites.
Bon, et bien voilà !
Unbound est un nouvel excellent album pour Sargeist, une nouvelle œuvre à ajouter au monument de Shatraug, et un très bon cru pour nous. Je ne doute pas que tout le monde ici aura déjà écouté l’album sorti il y a un petit moment déjà. Surtout que le black metal finlandais a la cote en ce moment, et, une fois n’est pas coutume, cette attention est largement méritée. Tout le monde est content.
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