Avec à la clef un contrat à un million de dollars, on peut dire qu’Helmet a habilement négocié son arrivée sur Interscope. Un deal des plus confortables qui va évidemment changer la donne et offrir un petit peu plus de latitudes aux New-Yorkais, notamment pour leur passage en studio. Pourtant, le groupe n’a pas spécialement la folie des grandeurs puisque pour ce deuxième album enregistré entre décembre 1991 et février 1992, Helmet va se rendre pour la deuxième fois consécutive aux Fun City Studios de monsieur Wharton Tiers afin de coucher sur bande l’essentiel de ces dix nouvelles compositions. Je dis bien "l’essentiel" puisque le titre "In The Meantime" aura été enregistré quant à lui à Chicago sous la houlette du producteur Steve Albini (Big Black, Pixies, Boss Hog, The Jesus Lizard, Tad, Nirvana...). Une collaboration néanmoins lissée par le (re)mixage d’Andy Wallace (Slayer, White Zombie, Rollins Band, Nirvana, Sepultura...) qui, il faut bien l’avouer, a su apporter à ce disque ce petit truc qui encore aujourd’hui fait toute la différence. D’ailleurs, pour la petite histoire, sachez que piqué au vif par ce remixage jugé cavalier, Steve Albini imposera à Nirvana une clause contractuelle interdisant à Andy Wallace (avec qui Nirvana avait donc déjà collaboré) de remixer quoi que ce soit qu’il ait pu réaliser dans le cadre de l’enregistrement de
In Utero. Ah ces égos démesurés…
Intitulé
Meantime, le deuxième album d’Helmet est celui qui a rencontré le plus gros succès commercial avec plus de 500000 exemplaires vendus rien qu’aux États-Unis. Des chiffres qui semblent astronomiques pour un groupe de ce calibre mais qui étaient relativement monnaie courante au début des années 90, même pour des groupes issus de l’underground. Pour illustrer ce nouveau longue-durée, Page Hamilton et ses petits copains ont utilisé une photographie de l’artiste américain David Plowden intitulée "Puddler In Blast Furnace Cast House, Steel Mill, East Chicago, Indiana (1979)". Une oeuvre en noir et blanc que les New-Yorkais se sont néanmoins appropriés pour l’occasion en offrant à leurs auditeurs deux versions doublement iconiques, l’une rouge avec un logo bleu et blanc, l’autre bleue avec le logo rouge et blanc.
Alors effectivement, comme évoqué un tout petit peu plus haut, la première chose qui frappe à l’écoute de
Meantime (et qui d’ailleurs à chaque nouvelle écoute s’avère être encore aujourd’hui une véritable source de satisfaction) c’est bel et bien cette production incroyablement dynamique qui en 2023 n’a pas pris une seule ride. Avec cette basse vibrante aux rondeurs affolantes, ces guitares abrasives et tranchantes et cette batterie réduite à son strict minimum avec notamment une caisse-claire naturelle qui claque juste comme il faut,
Meantime s’impose sans mal face à son prédécesseur bien plus modeste, timide et foutraque sur la question. Un sérieux pas en avant pour Helmet dont l’identité sonore arrivée ici à maturation façonnera par cette force brute et métallique et cette abrasivité incontestable le paysage alternatif des années 90 (de la Noise au Hardcore en passant par le Metal).
Mais cette production n’est bien entendu pas le seul bond qualitatif réalisé par Helmet puisque ces dix titres sont également parmi les meilleurs jamais composés par le groupe new-yorkais (avec ceux de []Betty sur lequel on reviendra prochainement). Ainsi, à la différence d’un
Strap It On excellent mais encore un petit peu vert,
Meantime ne souffre d’aucune véritable faiblesse, les quelques moments bancals voir anecdotiques de son prédécesseur n’étant ici plus de la partie. Ce deuxième album est donc ainsi l’expression bruyante, rageuse et implacable d’un groupe désormais en pleine possession de ses moyens. Un groupe qui en l’espace de deux ans seulement est passé du statut de jeune espoir prometteur à celui de chef de file (parmi d’autres comme Sonic Youth, Unsane, The Jesus Lizzard, Dazzling Killmen, Zeni Geva...) d’une scène Noise particulièrement bouillonnante.
Suite logique du déjà très bon
Strap It On,
Meantime va donc réitérer cette formule usitée sur son prédécesseur dans une version néanmoins améliorée et certifiée sans erreurs de jeunesse. De ce riffing syncopé devenu la marque de fabrique des New-Yorkais ("In The Meantime", "Ironhead", "Turned Out", "He Feels Bad", "Better", "You Borrowed"...) à ce groove insolent absolument irrésistible ("In The Meantime", "Give It", "He Feels Bad", "You Borrowed", "Role Model"...) en passant bien évidemment par ces quelques inclinaisons mélodiques presque Pop (on appréciera toujours autant la versatilité du chant de Page Hamilton sur des titres tels que "Give It", "Unsung" ou "Better"), ces solos toujours un brin foutraques (mais mieux maitrisés) et bruyants (les dernières secondes de "In The Meantime", "Ironhead" à 2:16, "Give It" à 2:21, "Turned Out" à 2:23, "He Feels Bad" à 2:49, "FBLA II" à 2:13...) et d’une manière plus générale cette énergie brute et abrasive, ce deuxième album est l’une des meilleures choses que les années 90 nous ait donné (et pourtant, vous savez aussi bien que moi qu’il y en a eu un paquet).
Les cadres de chez Interscope sont-ils rentrés dans leurs frais ? Difficile à dire même si avec plus de 500000 exemplaires écoulés rien qu’au pays de l’oncle Sam il y a de fortes chances que ce soit le cas. Cependant, une chose est sûre,
Meantime marque un tournant de taille dans la carrière des New-Yorkais qui grâce à ce deuxième album aussi nerveux que coriace réussiront à s’imposer comme l’une des référence en matière de Noise / Hardcore et plus globalement de musiques dites alternatives. Si à titre personnel
Betty aura toujours ma préférence (bien que celle-ci soit finalement très ténue) pour des raisons liées à ma propre découverte du groupe en 1994 (merci encore à Best Of Trash et le film The Crow),
Meantime n’en demeure pas moins et cela à bien des égards l’un des meilleurs albums du genre. Un classique sur lequel faire l’impasse n’est clairement pas une option.
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