Bien que le film The Crow ne soit pas considéré comme un chef d’oeuvre (et ce à juste titre), il bénéficie encore aujourd’hui d’un véritable capital sympathie auprès du public. À cela plusieurs raisons, la première est qu’il est le dernier film dans lequel apparait Brandon Lee (fils de Bruce Lee) malheureusement décédé des suites d’une blessure par arme à feu survenue en plein tournage. Une tragédie qui forcément fait quelque peu écho au sort réservé au personnage d’Eric Draven qu’il incarne dans le film. La seconde parce que ce dernier est également porteur d’un spleen émotionnel et visuel (un petit peu à la manière des premiers Batman) qui évidemment n’a pas manqué de séduire une partie de la jeunesse alternative des années 90. La troisième, davantage en lien avec cette chronique, est sa bande originale particulièrement chouette réunissant entre autres The Cure, Nine Inch Nails, Rage Against The Machine, Pantera, Stone Temple Pilots, The Rollins Band, The Jesus And Mary Chain, Violent Femmes et bien entendu Helmet.
Alors pourquoi évoquer The Crow pour vous parler aujourd’hui de
Betty, troisième album des New-Yorkais ? Eh bien parce que si comme moi vous avez grandi dans les années 90, vous n’avez probablement pas pu échapper au matraquage du clip de "Milquetoast" (orthographié "Milktoast" sur la bande originale) dans l’émission Best Of Trash diffusée chaque jeudi soir sur M6. Un clip qui en aura probablement marqué plus d’un et dont la majorité des plans sont directement issus du long métrage d’Alex Proyas.
C’est à l’automne 1993 qu’Helmet prend la direction des studios pour débuter l’enregistrement de ce troisième album. Produit par Todd Ray aka T-Ray (Cypress Hill, Artifacts, Therapy?, Non Phixion, Funkdoobiest...),
Betty marque l’arrivée de Rob Echeverria (ex-Rest In Pieces, futur Biohazard) dans les rangs de la formation en lieu et place de l’Australien Peter Mengede qui s’en ira fonder Handsome en compagnie d’autres musiciens tout aussi talentueux (je devrais y revenir un de ces quatre). Malgré un curriculum vitae essentiellement tourné vers le Rap, Todd Ray signe avec l’aide du groupe une production qui encore aujourd’hui n’a pas prise une seule ride. Sèche et revêche, elle participe grandement à la nervosité et à l’abrasivité des compositions d’Helmet que le groupe nous sert une fois de plus avec ce naturel rafraichissant et cette dynamique qu’on lui connait.
Jugé néanmoins décevant par une partie du public de la première heure,
Betty ne fera pas l’unanimité à sa sortie. Pourquoi cela ? Eh bien parce que Page Hamilton y amorce ici un virage plus mélodique et moins brut qui forcément n’est pas du goût des amateurs de Noise qui en règle générale se montrent tout de même un brin snobinards au sujet de "leur" musique de prédilection... À l’inverse, l’adolescent de quinze ans que j’étais à l’époque n’a pas manqué de tomber sous le charme de ces guitares rugueuses, de cette batterie dépouillée, de ces lignes de chants tantôt hargneuses, tantôt mélodiques et bien entendu de cette basse au groove aussi délicieux que redoutable. Bref, vous l’aurez compris, ne comptez pas sur moi pour dire du mal de ce troisième album qui avec
Meantime continue encore aujourd’hui de se tirer la bourre pour le titre de meilleur album d’Helmet.
Alors effectivement, le tempo a très légèrement diminué, les mélodies ont pris le pas sur le caractère plus foutraque, tarabiscoté et teigneux ("Biscuits For Smut", "Speechless", "Overrated") et d’une manière générale il est vrai que les compositions de
Betty semblent en effet plus "faciles" avec des élans et autres accroches presque "Pop" notamment dans l’utilisation de certains refrains et autres séquences certes catchy ("Wilma’s Rainbow", "Tic", "Street Crab", "Clean", "Speechless", "Overrated"...) mais définitivement plus mélodiques qu’auparavant. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que ce troisième album doit être dénigré. Au contraire, à quelques expérimentations près qui permettent également de mettre la lumière sur les premiers amours de Page Hamilton ("Beautiful Love" qui n’est autre qu’une reprise d’un célèbre morceau de Jazz composé au début des années 1930 et "Sam Hell" aux couleurs Blues évidentes) et au passage de laisser libre court à certaines bizarreries ("The Silver Hawaiian"),
Betty enchaine pourtant les bourre-pifs Noise de qualité. Ainsi de "Wilma’s Rainbow" à "I Know" en passant par "Milquetoast", "Tic", "Rollo", "Street Crab", "Clean", "Vaccination", "Speechless" et "Overrated", on ne peut pas dire qu’il y ait quoi que ce soit à jeter sur ce troisième album. Peut-être est-ce l’affecte que je porte à celui-ci en sachant qu’il s’agit du premier album d’Helmet que j’ai découvert mais je le trouve encore aujourd’hui absolument redoutable d’efficacité. On va ainsi retrouver ici tout ce qui faisait déjà le charme de son prédécesseur : de ces riffs tranchants, nerveux et chaloupés au caractère un brin répétitif à ces quelques solos bordéliques en passant par cette batterie aux frappes bien raides, cette basse ultra-saturée au groove débordant sans oublier évidemment ces atmosphères qui puent les trottoirs humides new-yorkais, on tient ici l’essentiel de ce qui fait toute la particularité d’Helmet.
Alors oui, peut-être que la formation à perdu un petit peu de sa nervosité et de sa rugosité (bien que l’on soit vraiment dans l’ordre du chipotage), peut-être que le propos du groupe se fait désormais plus mélodique mais au final peu importe car on ne peut pas dire à l’écoute de
Betty qu’il s’agisse de tares préjudiciables à l’appréciation de ce troisième album... Au contraire, celui-ci prouve que le groupe est encore capable d’évoluer et cela dans le bon sens en gardant effectivement le meilleur de
Meantime et en y apportant un poil de mélodie supplémentaire histoire de mieux nous attraper l’oreille. Bref, vingt-neuf plus tard,
Betty est encore l’un des meilleurs albums sortis par Helmet et une leçon de Noise / Post-Hardcore qui servira de maitre-étalon à toute une jeune génération prête à marcher plus ou moins directement dans les pas des New-Yorkais. Bref, un autre indispensable des années 90.
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