On en a parlé lorsque j'ai commencé à traiter la discographie d'
ANIMALS AS LEADERS : 2011 a été pour moi l'année de la découverte du Djent. Mais pas que pour moi en fait : les années '10 du siècle en cours ont marqué un véritable essor de ce genre. C'est une bulle qui a explosé, et une bulle chargée de tout un tas de groupes qui, peu à peu, se sont fait connaître grâce aux réseaux d'échanges confidentiels, tels que les forums.
Cette bulle où il y avait
CHIMP SPANNER ou PERIPHERY notamment, j'aime à penser qu'elle a été percée par un groupe mastodonte avec un son si particulier qu'on dira volontiers qu'il a été « toujours imité, jamais égalé », si on reprend cette phrase des grandes heures de l'époque Skyblog (on est raccord : années 2000, tout ça).
Un groupe qui, étrangement, n'a rien qui va de soi, qui a toujours été ultra complexe, à contre-courant, devenu cependant une référence absolue qui rameute énormément de mondes en festival. Un groupe hautement technique, jusqu'au-boutiste et pourtant très populaire Une anomalie, en somme.
Vous avez cliqué, vous le savez : on va parler de MESHUGGAH.
C'est simple, quand j'étais tombé dessus, j'avais été happé par les structures complexes et surprenantes. Plus que le son de guitare très typé mis en avant dans
ObZen ainsi que ses breakdowns qui te font imploser instantanément, c'est vraiment la rythmique, changeante et discordante parfois, qui m'a fait dire : « Ah ouais, ils portent bien leur nom. »
Venu de Suède, le groupe, lancé en 1989, propose quelques démos avant de produire leur premier album. Des démos qui, déjà, offrent un son novateur : rappelons-nous que la transition 80's-90's, c'est la fin du Thrash, l'émergence du Groove qui fait la part belle au mid-tempo et aux riffs qui rentrent en tête, la seconde vague du Black, l'expansion du Death.
Là, c'est... La « folie », si on prend l'étymologie de leur nom. Les guitares sont accordées assez bas, pour faire ressortir des graves entêtants, la basse y est mise en avant avec un son que je trouve assez gluant tout en étant offensif (l'influence du Thrash n'y est pas pour rien sur l’agressivité) et surtout, cette batterie bon sang ! C'est quoi ces plans déstructurés, c'est quoi le projet derrière tout ça ?
C'est sur cette base que sort en 1991 leur premier longue-durée : « Contradictions Collapse ».
Et je le dis tout de suite, je ne serai pas objectif sur cet album. Mais avant que je donne mon avis, décortiquons. Il est de bon ton de dire que Meshuggah est un groupe qui « voit le futur », et des albums comme
Destroy, Erase, Improve,
Chaosphere ou
ObZen ont prouvé qu'en effet, au niveau du son ils ont eu une longueur d'avance ! Dans le cas de « Contradictions Collapse », je ne dirais pas ça : ils ont vu un monde parallèle.
Imaginez un monde où
METALLICA n'aurait pas répondu à l'appel des sirènes du Rock qui remplit les stades, où le Groove Metal, qui veut mettre en avant ses riffs mémorables en quête de chape massive, s'accompagne d'une rythmique expérimentale et où les ténors du Thrash se seraient mis en tête d'être à la fois violents, froids et mécaniques avant que
FEAR FACTORY mette en avant ce son clinique.
Chaque morceau aura un pied dans le Thrash technique tout en ayant un son singulier, basé sur des pistes qui vont se compléter. Autant dire que, là, il n'y a rien d'évident, on est sur une musique de niche qui est légèrement expérimentale ! D'ailleurs, la longueur des pistes ne trompe pas sur la marchandise : on est sur une moyenne de 6 minutes par morceau, autant dire qu'on est sur du Prog avec pas mal de développement à chaque fois. Prêt.e.s ?
Non, vous ne le serez pas. Si vous connaissez le groupe mais que vous n'avez pas encore écouté ce disque, vous serez surpris. Lorsque se lance « Paralysing Ignorance », tu te laisses prendre par cette intro calme, mais après, paye ta rythmique qui fait mal, ce riff binaire de guitare qui n'avait pas encore son drop super grave, et, surtout, cette basse, PURÉE. Elle racle comme il faut. Et la caisse claire qui est tonitruante, c'est énervé, il y a de l'écho, ça gratte au plus profond de la foule, et ça accélère : ces premiers instants marquent un Technical Thrash qui fait super mal, d'autant que l'accélération s'écroule sur un matraquage hyper appuyé et un chant qui est porté par des cris en back vocals. C'est la masse de l'urgence, une course avec plusieurs mégatonnes sur le dos, une planète en extinction qui est prise de combustions spontanées, dans des fournaises incroyables.
Et ça s'accompagne de breaks lourds au possible, jusqu'à un solo qui t'enseigne que c'est pas que la guitare lead qui doit assurer, tout l'ensemble se doit d'être au service de la montée. « Explosif » est le mot pour définir ce premier titre.
L'ensemble poursuivra jusqu'à te prouver que le groupe produit, avant tout, une composition particulière. On prendra « Greed », morceau grandiloquent par excellence. Il t'en met plein les oreilles ! Intro grandiose, break à gros riffs, puis allez, prends-toi des parpaings de groove ! Et ne mens pas : je sais que tu gigotes sur ta chaise en écoutant ce morceau, sautillant au possible ! Y a pas à en dire davantage, c'est un délice de progression ! Tu auras aussi « Erroneous Manipulation » et son côté vicieux, qui démarre sur des riffs accrocheurs, puis ça part dans plusieurs directions, et ça joue de la polyrythmie sans que tu ne t'en rendes compte. Et tu reviens tranquillou sur quelque chose de plus direct, pour mieux te conduire dans des surprises rarement osées dans le Thrash..
Vous commencez à saisir ici tout le sel de cet album, qui se sent dans « Abneagating Cecity ». Quand tu arrives à 2:30, tu rentres dans deux minutes intenses : ça hurle, puis ça te pète les genoux, et ça continue à te malmener jusqu'à arriver à un véritable sommet de Metal Prog. On sent là les prémices des éléments syncopés et mécaniques de leurs sorties futures. Cette touche « Origin story » se retrouve également dans « Qualms of Reality »... Ah mais ce départ, sous un autre mix, ça t'impose un Djent qui massacre. Mais pas là, parce que c'était pas encore le propos de l'époque ! Ça en laissera plus d'un sur le carreau, surtout ceux qui ont connu le groupe par leurs dernières skeuds. Mais là, j'ai pour moi l'essence absolue du disque : rythmée, agressive et changeante, qui te donne envie de headbang alors que tout est syncopé, parce que ça groove un max, surtout à partir de 2:30. Vas-y, écoute, et ne viens pas me dire que c'est pas foutraquement bon. C'est même plus que ça, parce qu'à 4:40, voilà que le morceau se relance avec une rare agressivité, et une double-pédale totalement en désaccord : c'est inimitable !
« Alors quoi, l'album n'a pas un petit mauvais côté ? » T'as bien « We'll Never See the Day » qui peut paraître en-dessous, un peu moyenne dans son traitement, un peu ronflante et répétitive.
Mais non, parce que le développement, parce que la gestion des montées-descentes, parce que cette batterie qui n'en finit pas de te fiche du groove par cargaison. C'est juste indécent la technicité et la complexité à partir de 2:45 !
Même un titre sans chant comme « Choirs of Devastation » parvient à surprendre. Eh oui, un morceau quasi-instrumental, avec un solo de gratte qui évoque Metallica ! Je trouve que dans la discographie de Meshuggah, ce morceau dénote totalement. Peut-être que je me trompe, mais c'est un titre finalement très Heavy que j'ai redécouvert pour les besoins de la chronique. Un peu hors-propos vu le reste (d'ailleurs, c'est le titre le plus court), mais quand même un bon titre.
D'autant que, finalement, ce ton différent faisant honneur à l'année 1991 n'amène aucune sortie de route pour qui aime l'écriture de la hargne et de la précipitation d'une foule qui court à sa perte. Ce monde en déclin, il se dévoile dans deux titres magistraux.
« Internal Evidence », en premier, c'est une basse qui te titille les synapses, pour que tu sois mieux servi avec du riffing très rythmé et une batterie groove pourtant trébuchante, digne de ce que tu peux avoir chez CONFESSOR (et si tu ne connais pas leur
album « Condemned » et que tu aimes le Technical Thrash, FONCE !). Et pourtant, le mix clair te permet de tout compter, et ça te prend le crâne, cette clarté du son qui fait que t'es là, à tenir les temps, à voir où ça butte, à sentir où ça surprend. Oui, ça surprend, et tu te surprends à décortiquer sans le vouloir. C'est une musique à coffre transparent, tu sais, comme les Game Boy qui laissaient voir l'électronique derrière. Dans cet album plus que dans le reste de leur discographie, je trouve la mécanique et la science de Meshuggah les plus directs. Et cette proximité fait que j'embarquerai toujours dans leur voyage Thrashisant dans le son, mais moderne et Prog dans la composition. C'est un album entre-deux, mais qui ne vacille pas entre les deux eaux comme on pourrait penser : il embrasse totalement les deux facettes, comme sur les solos de ce titre. C'est pas « je suis un coup à l'ancienne, un coup moderne ». C'est entièrement dans l'embrasure, il suffit d'écouter les développements dans les parties instrumentales, et comment la rythmique valdingue chaque mesure pour conduire à ces moments où t'as les choeurs qui ajoutent cette poigne qui me fait penser au Crossover ou au Hardcore. 1991, bon sang ! Tellement en avance en terme d'écriture.
Et, enfin, en deuxième, tu as « Cadeverous Mastication » : morceau magistral d'efficacité, qui parvient jusqu'à une phase déjà bien violente de ramassage de dents à 1:46, mais qui remet le couvert avec une instrumentale de 2:07 à 3:35 qui touche au génie rythmique. Le tout vers un finale presque mélancolique avec cette mélodie fluide, et ce fondu en fin, manière de dire : « Tu peux fermer les yeux maintenant, la journée a été assez longue, n'est-ce pas ? »
Non, vraiment, Contradictions Collapse reste mon favori ultime du groupe, et un album qui est dans mon top tous genres confondus. Parce que l'époque, parce que le son, parce que le mélange des genres, parce que l'audace, parce que l'ambiance, l'urgence, la masse, les frappes, les coups, les alarmes, le poing brandi, les cris, le chaos : le monde devenu comète, qui fonce tout droit vers un fracas inévitable.
Les + :
- 1991, bon sang ! Il éclipse énormément de sorties Thrash de l'année, si on est regardant sur la technique.
- la polyrythmie qui empêche tout sentiment de lassitude
- le mix au service de l'urgence et de la précipitation : chaque morceau est à l'image de la jaquette, un monde en proie aux bombes, dans la confusion et le vacarme
- ce son de batterie qui martèle, cette basse fracassante, et ces duos de guitares, comme sur la partie instrumentale de « Erroneous Manipulation »
- le seul album de Meshuggah avec ce son Thrash bien typique de l'époque
- des riffs monumentaux au groove maîtrisé : le début d'Abneagating Cecity, notamment
- l'écriture résolument Prog, qui va dans plusieurs embranchements rythmiques, aux transitions à base de breaks et contre-coups. Voilà qui fait super mal !
- Meshuggah faisait des solos dans la majorité des morceaux, eh oui ! Et ils ajoutent clairement un truc dans la gestion et la progression des morceaux.
Les - :
- le chanteur principal peut peiner à convaincre
- ce son Thrash n'est sans doute pas ce que recherchent les amateurs de Djent ou de Metal Prog actuel
- un album qui, s'il contient l'ADN du groupe, n'en reste pas moins assez difficile d'accès, car le Technical Thrash reste un genre de niche
- comme tout Meshuggah, il réclame plusieurs écoutes pour pleinement comprendre ce qui se passe dans nos oreilles ; mais un effort supplémentaire est ici nécessaire, car ils jouaient avec une autre grammaire musicale
16 COMMENTAIRE(S)
27/01/2019 00:27
Sinon, j'ai écouté et j'ai beaucoup aimé ! Comme quoi !
Ah ça fait plaisir !
C'est très différent de la suite, je pense que c'est pour ça que tu as apprécié Contradictions Collapse
26/01/2019 17:18
Sinon, j'ai écouté et j'ai beaucoup aimé ! Comme quoi !
25/01/2019 18:40
Riffing syncopé, rythmique froide et clinique, binarité dans les compos.
Animals as Leaders, Periphery, Chimp Spanner, et Meshuggah, du coup
25/01/2019 17:50
25/01/2019 17:46
Death n'a rien donné de merdique :o
NON, je refuse
25/01/2019 14:57
25/01/2019 14:12
tu ne peux pas reprocher à un groupe "relativement" respectable d'avoir influencé un courant merdique.
... Sinon il va falloir balancer des brouettes de merde sur At the gates :/
C'est vrai cela dit ça ne joue pas non plus en leur faveur ! Et je ne m'empêche pas non plus de balancer des brouettes de merde sur At The Gates que je déteste aussi copieusement ^^! Mais c'est surtout parce que musicalement, je n'accroche pas du tout aux deux groupes.
25/01/2019 14:06
tu ne peux pas reprocher à un groupe "relativement" respectable d'avoir influencé un courant merdique.
... Sinon il va falloir balancer des brouettes de merde sur At the gates :/
25/01/2019 13:02
En revanche, si est adepte du Meshuggah clinique plus contemporain, l'adaptation est difficile.
Etant moi-même gros amateurs du Metal des 80's - 90's, cet album, je le trouve tout bonnement délicieux !
25/01/2019 11:47
C'est vrai que j'ai tendance à l'oublier, pour la simple raison que j'ai tendance à oublier l'existence de ce... truc, mais il y a pire que ce que les fâcheux ont fait de Neurosis : ce que les fâcheux ont fait de Meshuggah.
25/01/2019 11:44
25/01/2019 10:08
Aaaaah voilà, on peut compter sur les amis pour savoir vous parler. Tentative prochaine.
25/01/2019 10:06
25/01/2019 09:29
Je l'avais surtout pris pour parfaire ma connaissance du groupe, et si c'est surtout l'EP None (présent sur les rééditions, souvent minus le morceauAaztec Two-Step) qui m'a le plus impressionné (que d'évolution entre ces skeuds!) faut avouer que ce Contradictions Collapse possède quelques solides arguments à convaincre les plus sceptiques (comme moi), sur les bienfaits du Thrash sur nos bonnes vieille cervicales.
24/01/2019 23:10
Je ne peux qu'être de ton avis, car j'ai découvert Meshuggah avant la hype monstrueuse, et je pense que j'aurais pensé comme toi si je n'avais pas trouvé ça en 2011.
Mais cet album, il a une touche Thrash technique, il n'a rien à voir avec le reste !
D'ailleurs, sincèrement Destroy.Erase.Improve reste pour moi une gros boulet dans la tronche en terme de son. ObZen est également assez furieux, et n'a pas volé son titre d'album culte et incroyable.
Avec ces trois disques, je pense que tu peux te faire une bonne idée du groupe
24/01/2019 23:01