Winter - Into Darkness
Chronique
Winter Into Darkness
L’hiver, voilà une saison qu’apprécient souvent les métalleux, avec des images qui viennent assez facilement de contrées ou de forêts enneigées, de nuits interminables, de royaumes légendaires comme le fameux Blashyrkh - Mighty Ravendark -, de s’ébaudir au cœur de cette saison ou bien encore, c’est un autre versant de cette saison, de s’apitoyer sur son sort pour seulement deux hivers. Pour les païens de cette scène, c’est aussi le moment de célébrer le solstice, la renaissance du soleil, les festivités de Yule ou les saturnales, ou bien encore de crier fièrement Sol Invictus en haut d’une colline. Pour d’autres, enfin, c’est plutôt une allégorie d’un hiver post catastrophe nucléaire, où la vie n’est qu’un dur et sempiternel combat, une épreuve quotidienne dans un monde sans espoir et en ruines, sans rayons du soleil pour venir vous apporter un peu de confort et sans aucune once d’espérance, si ce n’est que de survivre une nuit supplémentaire. C’est le parti pris qu’avaient choisi les Américains de Winter et dont leur album Into Darkness en constitue la parfaite bande son.
Quatre années seulement, voilà, en tout et pour tout, la durée de vie initiale de Winter, - même s’il y eut une éphémère reformation durant la précédente décennie -, trio américain qui se forma en mille neuf cent quatre vingt huit pour se séparer quatre années plus tard et qui tient son nom d’une chanson d’Amebix, pas des moindres d’ailleurs, et le choix apparaît comme étant loin d’être anodin. Les hommes de New York ont laissé pour seule carte de visite une démo éponyme, sortie en mille neuf cent quatre vingt neuf et rééditée cinq années plus tard sous le nom d’Eternal Frost, et surtout un unique album, le présent Into Darkness. Et pourtant, ces deux réalisations sont loin d’être demeurées lettres mortes, apportant leur lourde contribution à cet édifice encore informe et en pleine émergence qu’était alors le doom death metal, au même titre que Paradise Lost. Même si à l’époque cet album a été très mal reçu dans les sphères métalliques car ne correspondant à aucune hype du moment, le trio ayant été mieux accueilli dans les scènes crust et hardcore, jouant régulièrement dans des squats. Dans tous les cas, le caractère culte de ce groupe et de cet album sont loin d’être usurpés.
Sur ces quarante six minutes, Winter déploie un doom death metal sans concessions, qui rappellera parfois ce que proposait à cette époque Paradise Lost, sans les accélérations purement death metal de ces derniers. En effet, les américains privilégient volontiers les tempi foncièrement lents, voire même très lents, parfois en dessous des quarante pulsations par minute, accentuant même cette constante par rapport à leur démo. Toutefois, le trio ne rechignait guère à proposer quelques relatives accélérations, le cas échéant, dans une veine mid tempo, comme ce peut être le cas sur Servant Of The Warsmen et sur la première partie de Destiny. Le tout est appuyé par une lourdeur conséquente du propos: avec des riffs aussi rudimentaires qu’efficaces, le trio se fait particulièrement écrasant. Il est d’ailleurs à souligner que la production dépouillée et crasseuse dont bénéficia le groupe leur rend particulièrement justice en appuyant ce côté écrasant et en même temps très rustre, avec une bonne réverbération, notamment sur la batterie, qui viennent renforcer ces aspects. Dans tous les cas, la musique de Winter se veut avant toute chose aussi froide que rampante, avec un côté parfois hirsute et alerte, mais qui retombe le plus souvent dans une forme d’apathie et de peurs.
C’est justement dans ce riffing pour le moins primaire et dans ce côté souvent très rustre de leur musique que l’on ressent l’énorme influence de Hellhammer chez les Américains. A tel point que l’on pourrait présenter trivialement Winter comme étant une version hyper ralentie des Helvètes. Cela étant dit, sans être un clone sous sédatifs, le trio reprend avec brio l’héritage de la formation culte, mais avec une démarche jusqu’au-boutiste, en mettant l’accent sur la lourdeur et sur la lenteur de sa musique. Mais pour le reste, l’essence est quasiment la même, et le son de guitare se rapproche assez souvent de celui de Tom G. Warrior. Cela n’enlève donc rien à la qualité des riffs de Stephen Flam, qui ne faiblit nullement au niveau de l’inspiration sur cet album. Surtout, ce qui fascine chez ce dernier c’est cette faculté à laminer tout sur son passage avec parfois des riffs ne comprenant à peine trois notes. Évidemment, c’est très rudimentaire dans le ressenti, parfois très décharné, mais c’est bien ces éléments qui font le charme et tout l’intérêt de cet album. De toute manière, il faut bien l’avouer, ce disque pue la mort, ou en tout cas la fin de tout espoir, il suffit de lire les titres de chaque composition pour savoir de quoi il en retourne ici.
Il en résulte ainsi un doom death metal assez primaire dans sa formulation et parfois proche d’un death metal ralenti comme en proposa quelques temps auparavant Autopsy, et comparable un peu à diseMBOWELMENT, mais sans les attaques furieuses des Australiens. Nullement minimaliste, la musique proposée par Winter était particulièrement froide, poisseuse et surtout très oppressante. C’est même le sentiment qui se dégage le plus à l’écoute de ces sept titres, depuis la bien nommée introduction Oppression Freedom / Oppression, un modèle du genre que cette introduction, jusqu’au final Into Darkness. Si les compositions s’étirent souvent en longueur, notamment Goden, Destiny, Eternal Frost et Into Darkness, elles sont loin d’être rébarbatives, comprenant assez fréquemment quelques furtifs soubresauts rythmiques, qui mettent bien en relief la pesanteur émanant de cet opus. D’ailleurs, le jeu de batterie de Joe Goncalves est un modèle du genre: il a compris qu’il pouvait faire quelque chose d’à la fois suffocant dans ses patterns, notamment quand le rythme est ralenti à l’extrême, je pense à la partie centrale de Destiny, que dans les moments plus véloces où il sait faire preuve de puissance. Néanmoins, en dépit du caractère austère et cru qui prédominent à l’écoute de cet opus, les américains ont su agrémenter leur musique de quelques effets bien trouvés.
A ce sujet, l’on notera surtout toutes les harmonisations et les soli de Stephen Flam, au rendu tantôt irréel, tantôt frissonnant, l’utilisation de divers effets de chorus, de reverb et de flanger, dont il abusait n’y étant pas étranger. L’on retrouve moult interventions de ses leads aux sonorités parfois quelques peu disharmoniques sur l’entièreté de cet opus et qui ne font que renforcer l’aspect glauque qui émane de la musique de Winter. Mêmes les très rares interventions de claviers vont dans ce sens, reprenant souvent des sonorités d’orgues comme ce peut être le cas sur Goden - nom du nouveau projet de Stephen Flam soit dit en passant. De toute manière, il n’y a rien de beau et de mélodique sur cet album, nous ne sommes pas dans l’école du misérabilisme ici, mais plutôt dans celle d’une résignation urbaine et post-apocalyptique. C’est plus à un énorme bloc anthracite qui vous écrase de manière lente et sadique auquel l’on doit penser, avec en sus, l’impression d’avoir du mal à respirer tant l’atmosphère est saturée de particules polluantes et nocives. Les growls du bassiste John Alman s’intègrent parfaitement à ce tableau, ce dernier éructant des textes ayant pour trame des thématiques apocalyptiques, cadrant parfaitement avec l’ambiance déclinée sur cet opus, et qui ne sont pas si éloignées de celle d’un Neurosis.
Que dire de plus au sujet de ce Into Darkness, au titre ô combien adéquat, si ce n’est qu’il possède toujours cette même aura plus de trente ans après sa publication. Il est surtout une probante démonstration de doom death metal dans ce qu’il a de plus oppressant, de plus tellurique et de plus glacial. Le tour de force des américains est même assez remarquable, car avec des moyens assez limités, ils sont parvenus à produire une œuvre difficilement égalable. Dans tous les cas, ce disque qui suinte de tous ses pores une ambiance de fin du monde n’est sans doute pas à prendre à la légère et demandera sans doute un certain effort avant de s’assimiler, d’autant que le style du groupe n’est sans doute pas aussi facile d’accès que pouvait l’être certains groupes contemporains évoluant dans le même style. Cet unique album de Winter, en dehors de son indéniable caractère historique, est surtout une excellente réalisation, à découvrir ou à redécouvrir, et qui devrait sans doute plaire à tous ceux ayant apprécié les réalisations de leurs dignes héritiers que sont Evoken, Ataraxie, Indesinence ou bien encore Serpentine Path. Dans tous les cas, il n’a pas usurpé son statut de disque culte et reste encore pertinent en ces temps d’effondrement, de collapsologie et de monde d’après.
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