Mosaic - Old Man's Wyntar
Chronique
Mosaic Old Man's Wyntar
Moi, l’année, c’est simple. Il y a une partie vivable, et une partie insupportable. Dans la bonne moitié, on a l’automne, pas mal, j’aime bien, et surtout l’hiver que j’adore (je suis tellement black metal). Ensuite, ça se gâte. Le printemps, au début, ça passe, on a un peu de pluie, il ne fait pas encore chaud… Jusqu’à ce qu’on arrive fin Mai, et là, c’est le début de l’enfer. De Juin jusqu’à fin Septembre, c’est l’odieux été, qui dure un tiers de l’année en France depuis déjà une bonne décennie, merci le réchauffement climatique. L’été, c’est l’horreur. En fait, je le passe planqué, à rêver de l’hiver.
Et ça tombe bien, parce que l’hiver, on vient de mettre le pied dedans. C’est le moment de sortir de derrière les boiseries un album que je n’écoute qu’exclusivement pendant cette saison, et jamais en-dehors. Pas une seule note ne s’en échappe. Trois mois de givre, et à l’année prochaine. Fort heureusement, l’hiver revient chaque année. Contrairement à l’été, qui paraît toujours jeune et gorgé de vie, on se représente volontiers l’hiver comme un vieillard branlant et ridé, mais incroyablement tenace. Il accumule siècle sur siècle, et ne se lasse jamais de revenir blanchir le monde. Aussi, Mosaic, dont je vous parlais il y a quelques mois, a décidé de dédier un long recueil de chansons à cette saison. Old Man’s Wyntar était à l’origine un EP de trois quarts d’heure, augmenté trois ans après sa sortie initiale d’autant de chansons supplémentaires à l’occasion d’une nouvelle sortie chez Invictus Productions. Une heure et dix-sept minutes abandonnées à hiver.
Old Man’s Wyntar est sacré à mes yeux. C’est l’hiver même, ensorcelant, inlassable, menaçant et charmeur tout à la fois. Dès « Incipit : Geherre », l’atmosphère est irrésistible. Ces notes de guitare tremblantes, hantées, qui s’inscrivent au sein d’un paysage sonore révélé petit à petit, ces voix lointaines, incantatoires, murmurantes, ces éléments ambient… Sans exagération aucune, il s’agit là de l’une des introductions parmi les plus magiques que je connaisse. « Onset on Wyntar », qui prend place dès après, continue sur cette même lancée, délivrant douze minutes de black metal atmosphérique d’une formidable puissance, accompagnées tout le long des vocalises très spéciales de Martin Falkenstein, l’âme du projet. Veuillez me croire quand je vous dis que vous n’avez jamais entendu quelque chose de réellement approchant.
Ce n’est pas si compliqué à décrire pourtant, sur le papier. Prenez du néofolk à la Sturmpercht, du Burzum et du Paysage d’Hiver, et on y est. Une fois tous les éléments jetés dans le chaudron, vous n’avez plus qu’à y ajouter cette poudre magique qui semble faire défaut à nombre de groupes, appelée « personnalité ». Chez Mosaic, la personnalité, ce sont ces guitares très expressives, cette abstraction des codes qui permet de mettre du chant clair si on en a envie, des intermèdes folk/ambient là où ça sonne bien, des influences presque théâtrales dans la construction des pistes et cette façon de réellement mettre en scène la musique. Mais surtout, c’est cet élément beaucoup plus intuitif, moins identifiable et plus diffus, qui donne au tout une cohérence et une puissance d’évocation supérieure. L’un des sommets de l’album se situe sur la longue et incroyable « White Gloom », qui atteint les onze minutes au garrot sans sourciller. Vous entendez ce début à la Evilfeast, ces hurlements perdus quelque part dans les congères, ces guitares féériques et mélancoliques qui suivent les mouvements des frimas ? Il est là l’hiver, tout entier. Il y a tout à la fois ce sentiment âprement humain de la saison froide mortifère, conjugué à l’impartialité glacée de cet élément du cycle ancestral qui choit sur nos têtes tous les neuf mois. Impassible, indifférent. Le tout est entremêlé avec une grâce, une élégance et une force émotionnelle terrifiante. Et cette mélodie répétée en boucle à partir du second tiers du voyage… Sublime.
Par la suite, Mosaic se fait plus ambient, plus directement planant. « Black Glimmer » commence sur ce rythme balancé, entre chien et loup… Non mais sérieusement, vous sentez la finesse de ces ambiances ? Vous percevez le soin apporté au mixage, dans ces multiples et infinis bruissements disséminés partout ? C’est à chacune de ces petites stalactites et stalagmites que l’hiver s‘infiltre partout en vous. Votre chalet prend la glace par tous les interstices.
La fin du récital immaculé arrive avec la monumentale « Silver Night », qui déploie vingt-deux minutes en avalanche graduelle et paroxysmique. Chants féminins attendrissants, déchaînement du blizzard, appels désespérés, exultation du froid… Comme une condensation exacerbée de l’album tout entier, porté par des guitares cruelles et étourdissantes.
Vous avez trois mois pour écouter cet album. Pas une journée de plus. Quand le 21 Mars sera passé, vous attendrez avec moi le prochain solstice de Décembre. Il ne fait aucun sens de l’écouter en-dehors de l’hiver. Il en vient, il le chante, et il y retourne aussi sec. Tel est le sortilège conçu par cet être de la région de Thuringe. Le vieil hiver est revenu, avec tous ses hurlements, ses épreuves et ses hallucinations. Il vous cueillera ici-même, ou s’en repartira poudrer d’autres oreilles.
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