Si Monolithe s’inscrit clairement dans une lignée doom metal, il n’en reste pas moins un groupe explorateur à la frontière des genres. Exigeante de part son format, sa musique est de l’ordre des œuvres qui ne se livrent pas dès la première écoute… mais qui se révèlent aux plus chevronnés. Elle se dompte (ou elle nous dompte, allez savoir). Avec Epsilon Aurigae, le groupe enchérit sa fresque spatiale d’un album supplémentaire. Et pas des moindres puisque ce « Monolithe V », en plus d’être le plus accessible, se révèle peut être le plus réussi de la saga. L’occasion donc de faire le point avec Sylvain Bégot, tête pensante de ce projet made in France. Si les questions constituent évidemment le fil rouge de l’interview, elles se révèleront davantage le support d’une discussion entre deux passionnés de musique.
Monolithe vient de sortir son dernier album, Epsilon Aurigae, et visuellement déjà, je trouve qu’il y a quelque chose qui change. L’artiste est resté le même, mais avec Epsilon Aurigae, il rompt cet « effet de série » instauré depuis Monolithe III et IV, et avec les rééditions de Monolithe Zero, I et II de Debemur Morti. Si le graphisme reste imprégné de cette aura particulière qui te permet de dire « OK, c’est Monolithe », il me semble marquer une césure avec le reste de la série : moins abstrait, des couleurs moins vives, la suppression des bordures blanches « cadrant » le visuel... et surtout la disparition du monolithe à la Kubrick qui était sur toutes les pochettes sauf celle de Zero. Avais-tu une envie particulière pour cet artwork ? Un « cahier des charges » ? Ou bien as-tu laissé carte blanche à Robert Hoyem?
En fait c’est un peu des deux. Déjà, il y le choix de travailler avec la même personne. Ce choix correspond à une volonté de ne pas trop s’éloigner de ce qui avait déjà été fait dans le passé afin de garder une cohérence sur l’ensemble de la discographie de
Monolithe. Il est donc ainsi très probable que l’on continue à travailler avec lui dans le futur. Ensuite, c’est vrai qu’il y avait besoin de marquer une sorte de rupture. Si tu veux, les quatre premiers disques de
Monolithe correspondent à un concept qui s’est terminé avec le
IV. Il y avait donc une volonté de renouveau. Et celle-ci passe par les détails : tu l’as remarqué, il n’y a plus la bande blanche. Ça c’est une demande spécifique de ma part. Pour le reste c’est aussi lié à la manière dont
Robert Hoyem fonctionne. Nous avons commencé à travailler avec lui en 2012 avec
Monolithe III et la consigne était simple : il ne devait pas mettre de personnage et réaliser une œuvre en rapport avec l’espace. Les monolithes, c’est lui qui les a rajoutés. Et leur suppression pour
Epsilon Aurigae, c’est aussi de son fait.
Il travaille de son côté. Quand une ébauche est prête, il me la montre en m’indiquant ce qu’il peut faire évoluer. Je lui donne mon avis sur les couleurs par exemple. Ensuite, à partir de nos échanges, c’est l’artiste qui parle. A la toute fin, il propose une pochette terminée qui est plus ou moins à prendre ou à laisser. Mais en général ça se passe bien ! Il n’est jamais arrivé qu’il me dise « voilà la pochette » et que je lui réponde « non ça ne va pas ».
Donc pour Epsilon Aurigae, et avant qu’il ne commence, tu lui as bien expliqué qu’un cycle Monolithe était terminé, et qu’un nouveau commençait…
Oui absolument, c’est ça. Et en l’occurrence,
Epsilon Aurigae a un album jumeau. Il a donc travaillé sur les deux en même temps.
Il y aura une sorte de symétrie entre les pochettes ?
Je ne dirais pas une symétrie mais plutôt une sorte de complémentarité. Les deux albums sont complémentaires… mais là j’empiète sûrement sur tes questions suivantes ! Pour t’expliquer grosso modo,
Epsilon Aurigae et Zeta Reticulli forment un seul et même double album qui est juste séparé en deux. C’est donc une seule entité à deux facettes.
Avant de parler plus en détail de Epsilon Aurigae j’aimerais prendre un peu de recul sur la saga. Et comme tu nous dis qu’il y a aujourd’hui une césure avec les anciens albums, c’est intéressant de porter un regard sur le cycle aujourd’hui terminé. Je trouve que Monolithe se démarque de pas mal d’autres groupes. D’abord il y a sa persistance au fil des années : tu arrives à ne pas fléchir et continuer à alimenter la saga. Et puis il y a ce concept liant le fond et la forme. On a parlé des artworks de Robert Hoyem, formant une continuité entre les œuvres, mais il y a surtout ce postulat de base qui consiste à être monolithique AUSSI dans le format des chansons, en proposant des titres uniques d’environ 50 minutes. C’est ambitieux mais ça marche carrément bien. Comment t’est venue cette idée ?
En fait pour pouvoir t’expliquer cela, il faut que je te raconte la genèse du groupe. A l’époque où j’ai commencé à composer ce qui allait devenir le premier album de
Monolithe, je jouais dans une autre formation qui s’appelait
Anthemon. Ce groupe avait des influences doom dans sa musique, mais était aussi un peu gothique et « metal généraliste ». Sur l’un de nos premiers EP, on avait un morceau assez doom que j’aimais bien et je voulais proposer un truc dans ce style là pour l’album d’
Anthemon. Mais il s’avère que ça ne s’est pas passé comme prévu : j’ai composé le premier quart d’heure de
Monolithe I, et une fois ce premier jet fini je me suis dis … « mais qu’est ce que je vais faire de ce truc là ! ». Parce que ça ne correspondait pas à
Anthemon ! Ça n’était pas vraiment le style : c’était beaucoup trop doom. Et le morceau de 15 minutes, sorte de lente progression avec divers changements d’atmosphères, n’avait finalement ni queue ni tête en l’état. C’est à dire qu’il ne sonnait pas fini.
A ce moment là, je me suis dis que j’allais créer un projet annexe, que je poursuivrais ce morceau jusqu’à sentir que j’étais arrivé au bout… et puis on verrait ! Au fur et à mesure de l’avancée, toutes les idées de ce que serait ce projet annexe sont venues ensembles. J’ai constaté en composant que le morceau allait être très long : pourquoi ne pas l’appeler
Monolithe ? Je voulais d’abord
Monolith, en anglais, mais un groupe des années 70 s’appelait déjà comme cela. Donc j’ai rajouté le « e » pour le franciser. Le concept de dire que cette chanson serait le prologue d’une plus grande histoire est venu petit à petit. L’entité
Monolithe s’est donc formée en parallèle de ce premier opus :
Monolithe I a guidé ce qu’allait être le projet dans le futur.
Monolithe a-t-il pris le pas sur ce projet ou bien menais-tu les deux en parallèle ? Et d’ailleurs est-ce que Anthemon existe toujours?
Non, plus depuis 2007. Dans un premier temps, je menais les deux en parallèle, mais ils étaient très différents.
Monolithe était un projet purement studio tandis que
Anthemon était un vrai groupe avec des membres qui répétaient régulièrement, faisaient des concerts etc. Il me prenait donc plus de temps que
Monolithe qui était alors une sorte de récréation. Ce dernier est devenu mon projet principal à partir de 2012. D’abord c’était le seul groupe qui me restait… et puis c’était plus naturel pour moi de m’exprimer dans ce registre-là.
Et jusque-là, jusqu’en 2012, tu étais tout seul aux manettes ?
La particularité de
Monolithe, c’est d’être un one-man-band, dans le sens où je compose tout, je prends les décisions etc. Mais il y a toujours eu des membres autour de moi et ce, depuis le début. Il s’agit de
Richard, le chanteur et de
Benoît, l’autre guitariste. Mais leur investissement était relativement faible. Même s’il arrivait à Benoit de proposer une autre façon de jouer un truc, c’est moi qui prenais la décision. Ainsi 98% du boulot était fait par moi. Et pour la partie purement artistique aujourd’hui, c’est toujours le cas.
Il y a dans Monolithe une volonté de « captiver » voir « d’écraser » l’auditeur. Un jour j’ai lu un super commentaire qui à mon sens résume tout : « à l’écoute, c’est l’auditeur qui devient le monolithe ». C’est vrai qu’une forme de transe peut s’instaurer à l’écoute. C’est le genre de truc qui peut arriver quand on assiste à quelque chose qui s’étend dans le temps. On est dedans… mais on peut aussi dériver sans sortir de la musique. En fait, il y a une sorte d’hypnose appuyée par ce côté lent.
Oui je vois ce que tu veux dire. Après, il y a des gens qui me disent la même chose que toi… et d’autres me disent autre chose ! C’est comme toute œuvre artistique : à un moment donné, l’œuvre ne nous appartient plus vraiment. Chacun ressent à sa manière la musique. Tu vois, le soir, j’ai parfois un peu de mal à m’endormir. Et il y a un truc qui marche bien, c’est d’écouter de la musique très violente. Si tu prends du black metal par exemple, avec plein de
blastbeat, tu retrouves un côté très hypnotisant dedans. Par répétition, monochromie. Et du coup moi je suis transporté ! Surtout que je suis déjà en position pour m’assoupir.
C’est un truc vrai pour le black metal mais j’imagine que ça marche moins bien avec le death technique…
Oui c’est peut être un peu moins vrai quand il y a plein de cassures… mais quand tu as une certaine régularité, c’est berçant et reposant. Un de mes meilleurs potes écoute toujours le deuxième album de
Emperor pour s’endormir. Lui, c’est tous les soirs ! Les jours où ça marche bien, il ne passe même pas l’intro… les jours où il dort mal il arrive jusqu’au troisième ou quatrième morceau et il s’endort.
J’imagine bien la tête des rêves ensuite… Et toi tu écoutes quoi pour t’endormir ?
Ca dépend. En ce moment je suis sur… je ne sais jamais prononcer le nom de ce groupe polonais :
Mgła. Ils ont sorti un très bon album cette année.
J’avoue ne pas l’avoir écouté. Je les ai vus en concert au Glazart et j’ai plutôt été très déçu… Misþyrming me transportant beaucoup plus. Après il faut que j’écoute l’album.
Pour le coup, ça n’est pas très violent. Mais c’est quand même une musique qui te met sur des rails. Qui transporte. Donc ça fonctionne bien !
Monolithe étant thématiquement lié à 2001, L’odyssée de l’espace (j’imagine que tu es un fan de Kubrick), il me semble que, et peut être involontairement, le projet peut faire écho à la musique de Ligeti, par l’utilisation de disharmonies, de guitares stridentes et d’ambiances spatiales angoissantes ?
Oui, j’aime bien la musique contemporaine et j’aime bien
Ligeti en particulier. Je l’ai d’ailleurs découvert avec le film.
2001, L’odyssée de l’espace, c’est un peu mon film culte : il n’a pas vraiment vieilli et il aborde des questions essentielles…
Ce film, il m’apparaît un peu comme un morceau de Monolithe en fait… C’est d’ailleurs assez amusant ce parallèle : se retrouver devant un gros pavé – car ce film est un gros pavé – et devoir avoir le courage de se dire « allez vas-y, lance toi ! ».
Oui c’est ça : ce n’est pas un film de divertissement, c’est une œuvre d’art. Il faut absolument le regarder à un moment où tu es tranquille. C’est vraiment un film captivant, faisant réfléchir et qui ne prend justement pas le spectateur pour un con. Et puis il aborde des sujets qui m’intéressent comme la possibilité d’une vie extraterrestre, l’origine de l’humanité, l’espace… c’est fascinant !
Et pour revenir à
Ligeti, c’est à travers lui que je me suis intéressé à la musique contemporaine. Dans
Monolithe, je n’hésite pas à utiliser ces influences là, ce qui n’est d’ailleurs pas fréquent dans le metal. Ça peut du coup donner un aspect assez particulier à la musique. Et puis, j’ai de l’affection pour
Ligeti depuis que je suis allé voir un de ses concerts au Chatelet quand j’étais étudiant… et qu’il était présent ! Il n’était d’ailleurs pas assis très loin de moi et je me suis dis « c’est une super expérience » ! Je n’ai pas osé lui parler… mais il était là. Il y a des gens qui l’ont remarqué et qui l’ont applaudi. D’autres ont sifflé. Sûrement parce qu’ils étaient venus sans connaître la musique et se sont dit « c’est quoi cette merde ? » :
Ligeti utilise des éternuements, des gens qui crient… Toute une palette sonore qui est inhabituelle.
Connais-tu également Messiaen ? Il y a une super œuvre appelée Quatuor pour la fin du temps qu’il a écrite en détention dans un camp de Görlitz, en 1940, en s’appuyant sur les instrumentistes dont il savait pouvoir disposer sur place : clarinette, violon et violoncelle. Lui était pianiste. L’œuvre a été composée sans l’aide d’instruments, uniquement grâce à l’audition intérieure. Peu avant la libération, ils interprétèrent ce quatuor devant les prisonniers, avec des instruments abimés : la clarinette avait une clé en moins, le violoncelle seulement 3 cordes…
En fait je suis assez friand de ce genre de trucs. Il y a aussi
Stockhausen avec les hélicoptères… et plus facile d’accès, j’aime bien les compositeurs comme
Arvo Pärt, qui font des choses assez lugubres mais également très belles : tu sens que la musique contemporaine est passée par là. Il ne se contente pas de faire de la musique grand public : il explore.
Mais je n’ai pas répondu à une de tes questions. En lisant des chroniques ou des commentaires, je trouve qu’il y a parfois des incompréhensions. Effectivement il y a des choses dissonantes dans
Monolithe, notamment au niveau des lead guitares… mais finalement pas tant que ça. Ceux qui écoutent du metal ont l’habitude des harmonies à la tierce ou à la quinte alors que moi j’utilise d’autres types d’harmonies, qu’on trouve plutôt dans le jazz ou dans la musique contemporaine, mais qui ne sont pas des dissonances. Du coup, ça peut être bizarre pour les gens qui ne sont pas habitués. J’aime bien utiliser le contrepoint aussi. Toi, tu connais, tu es musicien, mais à la base ce n’est pas forcément utilisé dans le metal, comme le heavy metal, qui emploie surtout l’harmonie. Il n’y a pas de contrepoint ou très peu.
Je suis une éponge dans la vie quotidienne : j’entends des trucs, des choses qui peuvent ne rien à voir avec le metal ou la musique que je fais… et si je trouve cela intéressant, je peux le ré-exploiter.
Récemment, on a réussi à traduire les ondes électromagnétiques produites dans certains coins de l’univers en son. Je ne sais pas si tu as déjà entendu ? C’est assez incroyable en fait, car cela s’apparente totalement à de la musique drone. En prenant du recul, tu te dis que les musiciens expérimentent, cherchent des sonorités et créent des ambiances… mais cela existe déjà dans la nature !
Oui, je connais et je vois très bien de quoi tu veux parler. Et pour te dire la vérité, j’ai déjà même utilisé des
samples de ce truc là dans
Monolithe… J’ai écouté le machin et j’ai trouvé ça génial ! Tu sais qu’il existe même des traductions des planètes du système solaire ? Il me semble que c’est Jupiter que j’ai écouté, car c’est une planète qui émet énormément d’électromagnétisme. En fait cela donne un truc hyper bizarre, renvoyant beaucoup à la musique contemporaine : c’est complètement atonal, il n’y a pas structures.
On pourrait rapprocher le concept fond/forme de Monolithe à une autre épopée spatiale, un peu similaire quoique black metal, proposant d’une part une continuité visuelle, mais aussi une continuité de chansons dans une chronologie. C’est celle de Darkspace. Tu connais ?
Oui. En vérité je les ais connus sur le tas : je crois que c’est une chronique de
Monolithe III, en 2012, qui faisait mention de
Darkspace en disant que les deux groupes avaient un parcours ressemblant mais dans des styles différents. Je me suis dis « tiens c’est qui
Darkspace ? ». Je suis allé voir et j’ai adoré ce que j’ai entendu. Du coup depuis je les suis un peu. Et je suis plutôt d’accord avec ce parallèle que l’on peut faire entre eux et
Monolithe. C’est un groupe très intéressant porté par une approche radicale de ce qu’ils font.
C’est jusque-boutiste en fait. C’est un peu comme Wagner qui désirait maitriser tous les maillons de la chaine de création : l’écriture de la musique, la construction de Bayreuth pour interpréter sa tétralogie, le décor, les costumes… C’est ce côté « œuvre d’art totale ». Dans Monolithe il y a un peu cette idée…
Bah merci ! Par contre je ne pense pas que l’on ait un jour les moyens de s’offrir un lieu d’interprétation de ce que l’on fait… ah ah !
Venons en maintenant à Epsilon Aurigae, le nouvel album de Monolithe. On l’a dit, l’album tranche par son visuel, mais également par sa production plus nette. La voix me paraît plus en avant et surtout les guitares apparaissent moins « gémissantes », avec moins d’aigus. As-tu envisagé cet album différemment d’un point de vue enregistrement, mixage et mastering ? On a le sentiment d’une transition également de ce point de vue là.
Il y a une différence de production mais elle n’est pas 100% volontaire, c’est à dire qu’à chaque album nous faisons avec les moyens (technologie, matériel…) que l’on a à ce moment là. Pour moi, le vrai tournant de la production est plutôt entre
Monolithe III et
Monolithe IV. Pourquoi ? Parce que jusqu’à
Monolithe III, on faisait ce que font tous les groupes de metal : on enregistrait, on mixait et puis ensuite en mastering, on compressait à mort. On perdait alors toute la dynamique pour avoir un son fort. Il s’avère qu’au moment de
Monolithe III, un américain - qui est depuis un ami - m’a contacté et m’a convaincu qu’il ne sert à rien d’avoir un son fort si dès qu’on entend l’album sur une bonne chaine hi-fi, le son n’est pas bon. Cela, j’ai pu le vérifier de moi même, avec mes propres albums.
Entre
Monolithe III et
Monolithe IV on a travaillé avec
Andrew du
Hybride Studio. Je lui ai alors annoncé que je ne voulais plus faire des albums comme avant : je voulais faire des albums plus aéré, plus dynamique. C’est donc ce que l’on a fait avec
Monolithe IV. Et pour
Epsilon Aurigae, on a encore accentué le truc. Parallèlement, le matériel a aussi évolué. Les guitares, par exemples, ont été endorsées par
Two Notes, qui fait du matériel permettant de simuler les baffles d’ampli de guitares. Donc on a utilisé ce matériel là, un peu meilleur. Le son brut qu’on a donné à
Andrew est donc sans doute mieux qu’avant… il a ainsi pu faire un mix forcément un peu différent !
C’est vrai que dans leur évolution, tu vois souvent des groupes qui affinent leur son… Ce qui est normal en soit. Et plutôt agréable ! Mais inversement, il y a aussi des fans qui préfèrent pourtant les premiers albums plus à l’arrache, plus roots, avec un son un peu crade… Il peut y avoir quelque chose dans cette « saleté » : une forme de poésie.
En l’occurrence, j’ai deux ou trois personnes qui m’ont dit : « nous ce qu’on aime c’est la prod de
Monolithe I » ! L’album a une production qui est très «
raw », très brute, avec les guitares qui frétillent. A l’époque l’enregistrement s’est fait sans aucun budget, dans une chambre à coucher : nous n’avions rien. ! Toutes les saturations ont été réalisées avec un nouveau logiciel : Amplitube. Ce n’était pas encore vraiment au point ! Le son obtenu était donc un peu l’équivalent des premiers son necro des groupes de black, enregistrés avec un quatre piste etc. Du coup, c’est vrai que le son a un cachet.
D’un point de vue composition aussi, cet album me semble également plus aéré, dans le sens de « moins oppressant ». La lourdeur est toujours présente mais l’on respire davantage. Les rythmes sont plus élancés, plus hargneux… Dans l’ensemble, je dirais qu’il se passe plus de chose à la minute. Que Monolithe s’est « densifié ».
Ce n’est pas forcément volontaire. Déjà avant
Epsilon Aurigae, je m’étais interdit de me dire « ce truc là n’est pas assez lent et lourd, ce n’est pas du doom donc je ne le prends pas ». Cela sera sûrement encore plus perceptible sur
Zeta Reticulli. Le doom n’est qu’une base mais ensuite la musique est complètement libre d’aller où elle veut : je ne veux pas de frontières. Après, naturellement, j’ai tendance à rester dans ce genre-là mais d’une manière plus ouverte, enrichie par d’autres influences… Je ne refuse pas une partie, comme le font certains groupes, sous prétexte qu’on n’est pas sur du 40 bpm avec un riff toutes les trois minutes. J’ai largement dépassé le stade où je veux faire un « genre » de musique. Je veux d’abord faire de LA musique. Le genre se définit dans un second temps.
Il est possible que ce soit plus présent dans cet album du fait que la saga précédente est terminée. On partait sur quelque chose de nouveau donc en terme de tempo notamment – et c’est vrai que la limite principale du doom c’est le tempo - il y a moins de limitation. En ce qui concerne la densification c’est peut être aussi lié au fait que les morceaux sont beaucoup plus courts. Pour raconter l’histoire, comme des petits courts métrages, il y a parfois besoin de plus de vocabulaire. On peut voir ça comme ça.
Justement à propos d’histoires… qu’est ce que tu essayes de raconter avec ces trois chansons maintenant que le premier cycle, qui s’accordait à compter une histoire de l’humanité, est terminé ?
La première saga s’appelle «
The Great Clockmaker’s » pour reprendre le terme de
Voltaire « le grand horloger ». Elle parle d’évolution, d’un point de vue science-fiction. L’humanité est vue comme l’élément d’un grand corps, comme un globule blanc, un microbe et est censée guérir l’univers qui est un être pensant, doué de raison, qui crée la vie de manière automatique et sans s’en rendre compte. Pour guérir. Car son mal être est justement l’absence de sens. L’univers étant tellement vaste et tellement différent de l’être humain que sa pensée, ses desseins et son schéma mental ne pourraient, un peu comme un Dieu, ne pas être compris par nous. Sauf que cet univers je ne le considère jamais comme un dieu. D’ailleurs je ne crois pas qu’il existe. Ça c’est le premier concept, les quatre premiers albums de
Monolithe.
Epsilon Aurigae et
Zeta Reticulli seraient ensuite plus ou moins une sorte de «
spin-off » à la série. Un truc qui se passe dans le même univers mais qui ne raconte pas forcément vraiment une histoire : ce sont plutôt des témoignages. Tous, sans exception, parlent d’un thème en lien avec l’unicité
Synoecist, par exemple, est un titre que j’ai inventé à partir du terme synœcisme qui désigne dans l’antiquité le fait que les villages se rassemblaient entre eux pour unir leur force. Ce qui amène d’ailleurs la naissance des premières villes. Le fait de transformer ça en
Synoecist, ça sous-entend qu’il y a un être qui fait cela, un être gigantesque, dont on ne connaît pas les proportions, qui avale l’univers en rassemblant tout en un seul point.
L’instrumental Tma-0 elle celle qui, je trouve, renvoie le plus aux anciens albums…
Tu as entièrement raison. D’abord, la première partie du morceau est très doom. Ensuite, le reste renvoie aux influences de
2001, L’odyssée de l’espace puisque Tma-0 c’est le nom du Monolithe trouvé sur la terre. Tu n’as pas vu le film mais pour t’expliquer un peu l’histoire, Tma signifie «
Tycho Magnetic Anomaly ». Le premier Monolithe est trouvé sur la lune, dans le cratère de
Tycho, grâce à une anomalie magnétique à cet endroit. Il est donc appelé Tma-1. Plus tard, le Monolithe sur terre est trouvé mais se révèle plus ancien que celui sur la lune. Plutôt que l’appeler Tma-2, il est appelé Tma-0.
Et Everlasting Sentry ?
Dans
2001, L’odyssée de l’espace comme dans notre saga, les Monolithes sont des espèces de sentinelles : des machines très évoluées qui observent l’évolution de la vie dans l’espace. Dans
Everlasting Sentry ça parle d’un Monolithe qui est là aux confins de l’espace et qui tient la garde, qui fait son rôle de sentinelle éternelle… mais qui est toujours seul.
Tu peux nous en dire plus sur Zeta Reticulli ?
Zeta Reticulli est construit exactement de la même manière qu’
Epsilon Aurgae : trois titres de 15 minutes avec un titre central qui sera instrumental. Les deux albums sont liés aussi dans la forme ! Il sortira en juin. Et si Epsilon veut dire cinq en grec (je continue quand même à compter, mais avec un titre différent), Zeta est le chiffre sept… mais c’est aussi la sixième lettre de l’alphabet grec. Je l’utilise donc en six ! C’est donc
Monolithe V et
Monolithe VI.
D’ailleurs, les 15 minutes révèlent un Monolithe beaucoup plus abordable. Moi même, pourtant habitué aux titres fleuves, j’admets avoir apprécié ce format court. Honnêtement, cela rend l’exercice d’écoute plus aisé. Et l’impression de faire face à un mastodonte s’efface. Qu’est ce qui t’as poussé à faire ce choix ?
Il y a plusieurs raisons. La première c’est que je ne voulais plus faire de morceaux uniques : au bout d’un moment, ça devient lourd pour tout le monde… Ça devient lourd pour moi parce que je me dis « bon allez je dois encore me taper un morceau de 50 minutes à faire », ça devient lourd pour le public qui se dit «
Monolithe revient encore avec son titre unique », « il l’a déjà fait quatre fois, encore une cinquième », « combien de fois il va le faire, vingt fois ? »… Il y a une envie de changement.
Ensuite, pourquoi 15 minutes par morceaux. On plutôt d’abord, pourquoi 45 minutes au total ? Pour moi, il y a un nombre d’or sur la durée d’un album, c’est 45 minutes. C’est un peu con mais c’est comme cela que je fonctionne : quand j’étais gamin on n’avait pas les mp3 mais plutôt les cassettes audio. Et une face de cassette, c’était 45 minutes. Si un album durait plus longtemps, ça me faisait chier parce qu’il fallait utiliser une autre face de cassette et gâcher le reste. Il ne faut pas oublier qu’il fallait également payer les cassettes vierges. Depuis ce temps, ça m’est resté dans la tête. Je voulais donc faire un album de 45 minutes. Pourquoi 15 minutes ? Parce que je n’allais pas passer du jour au lendemain à des morceaux de 3 minutes ! Ça ne m’intéresse pas, j’ai besoin d’instaurer de la profondeur et ce temps me le permet. Et puis tout collait bien : 3x15 = 45 minutes. En plus dans quinze tu as le chiffre cinq. Comme Epsilon ça veut dire cinq, tu peux aussi lire 1-5 / 1-5 / 1-5.
Du coup les chansons de Zeta Reticulli vont faire 16 minutes ?
C’est une très bonne question. Non, elles vont faire 15 minutes également. Là c’est un peu tiré par les cheveux, je le reconnais, mais tu peux aussi te dire 1+5=6…
J’avais lu quelque part que Monolithe se clôturerait avec Monolithe V. Du coup ça n’est plus vraiment d’actualité, non ?
Au tout début de
Monolithe, mon ambition était d’en faire dix. C’était vraiment beaucoup donc en cours de route je suis passé à cinq. Si on considère le
Monolithe Zero, tu as le compte. Etant donné que c’était une compilation, je ne voulais pas lui donner un chiffre comme les autres. D’ailleurs il y a aussi un clin d’œil à
Kubrick en l’appelant
zero, comme Tma-0, pour parler de quelque chose d’antérieur.
Et quelle est ton ambition pour la suite ? Tu continues sur ce format ?
Non, je ne pense pas. Je pense que ces deux albums sont une « duologie ». Pour la suite j’ai déjà quelques petites idées mais cela sera différent. A ce stade, je n’en suis d’ailleurs qu’à la réflexion sur le papier…
J’aimerais maintenant parler un peu du groupe. Monolithe est donc une sorte de one-man-band avec des personnes qui gravitent autour de toi. Comme ce passe aujourd’hui le processus de création et surtout, quelle est la place de chaque musicien dans le groupe ?
Aujourd’hui
Monolithe a plutôt deux visages : un visage studio et un visage live, puisqu’on va jouer en live en 2016. Le groupe, de sept musiciens, a donc avant tout été construit pour jouer en live. Cela dit, pour jouer sur les albums studio, j’ai naturellement fait appel aux musiciens du groupe live. Même s’ils ne jouent pas tous dessus : cinq des sept sont sur l’album et un ne fait qu’une apparition en tant que guest.
Matthieu, le claviériste n’a pas du tout participé.
Pour le studio, je reste le chef de projet donc tout est fait en me concertant. Mais les musiciens ont quand même une petite « patte » d’interprétation : ils peuvent parfois me proposer de légères adaptations que j’accepte ou non. Pour la partie live, je suis arrivé avec les partitions des morceaux « réarrangés » pour les concerts. Depuis septembre on répète ensemble et toutes les décisions qui concernent
Monolithe « live », sont prises collectivement. Je resterai toujours la personne qui tranche en cas de désaccords ou de discussions qui n’en finissent pas, mais tout le monde apporte quelque chose : que ça soit sur le merchandising, sur les dates, sur la setlist… C’est un peu les avantages de la démocratie sans ses inconvénients… comme une monarchie constitutionnelle ! Je considère tout simplement qu’à partir du moment où les musiciens sont investis dans le projet, qu’ils prennent du temps pour
Monolithe, c’est naturel qu’ils aient quelque chose à dire et que j’écoute. Y’a un esprit de groupe qui se crée et c’est très bien !
Monolithe s’apprête donc enfin à fouler le devant de la scène, pour la première fois depuis sa création. Comment appréhendes-tu la chose ?
Pour te dire tout franchement, c’est quelque chose qui ne m’intéressait pas au début. D’un point de vue purement artistique, la musique en live est souvent moins riche que sur un album pour lequel tu es libre de multiplier les pistes, les couches… alors qu’en live tu es limité par le nombre de musiciens, par l’espace sonore disponible. Ainsi on a été obligé de réarranger la plupart des morceaux. Je pensais donc à la base que la musique de
Monolithe ne s’adaptait pas au live… j’admets m’être trompé car depuis que le set tourne bien je me rends compte que ça va quand même être assez impressionnant !
Je ne suis pas monté sur scène depuis… 2005. Avec
Anthemon. Ça ne me manquait pas mais ça ne me déplait pas d’en refaire non plus. En fait, je vois plus le live comme un truc amusant à faire… et éventuellement comme une autre étape pour la notoriété du groupe : quand on va jouer au
Metaldays en Slovénie par exemple, il y aura du monde et on va enfin être mis sous les yeux de gens qui ne nous connaissent pas.
Après, l’objectif du groupe n’est pas d’être le groupe le plus connu de la planète. C’est d’abord de faire des albums dont je suis content. Jouer en live c’est une sorte de « bonus ». Peut-être qu’on va le faire pendant un an, deux ans et puis après on se dira « fini les concerts »… ou on en gardera de temps en temps… tu vois ce que je veux dire ? Le but n’est pas de se dire « allez, allez, on tourne, on tourne ! ». Ça ne nous intéresse pas.
Il y a beaucoup de passages instrumentaux dans Monolithe. Ou de passages lancinants, presque répétitifs et hypnotiques, fonctionnant grâce à leur étalement sur la durée. Comment allez-vous procéder ? Une sorte de medley géant ? Ou bien allez-vous vous concentrer sur Epsilon Aurigae ?
Le but c’est d’essayer de jouer des bouts de l’ensemble de la discographie… mais je ne peux pas t’en dire plus parce que je veux un peu garder la surprise !
Interview réalisée le 27 janvier 2016-02-26
Merci à Sylvain pour sa disponibilité et son enthousiasme musical !
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