In Theatrum Denonium 2022
Live report
In Theatrum Denonium 2022 Aluk Todolo + Hats Barn + Seth + Taake
Le 05 Mars 2022 à Denain, France (Théâtre municipal)
Enfin ! Plus de deux ans après mon tout dernier concert (Mayhem à la Machine du Moulin Rouge fin 2019), les affaires finissent par reprendre. Et pas n’importe comment, s’il vous plaît. Un festival sur une journée, bénéficiant d’une salle de grand luxe, pour une affiche réjouissante. In Theatrum Denonium s’est taillé une respectable réputation de festival metal extrême de choix au fil des années. Pour cette sixième édition consécutive, si l’on omet l’interruption involontaire due à la pandémie qui, souhaitons-le, semble lentement passer derrière nous, les nordistes carbonifères de Denain ont dégainé les grands moyens. Au programme, les brumeux Aluk Todolo, puis Hats Barn remplaçant au pied levé les suisses de Bölzer forcé d’annuler leur venue suite à une blessure du batteur, suivis par Seth pour soutenir le retour en grande pompe du groupe depuis son dernier album au succès impressionnant, et Taake enfin, histoire de mettre tout le monde d’accord avec un pilier du Black norvégien. Joli programme, encore augmenté de trois mini-concerts du groupe Path of Memory, formé de Monsieur Borgne en personne et de ses deux compères qui assureront les transitions entre les prestations principales dans la salle dédiée au merch.
Belle foule que voilà assemblée devant le théâtre de Denain. Arrivés en avance avec le compère Maxime, rapidement passé par ces pages mais surtout fondateur du feu Heidnir Webzine et patron de la progéniture directe dudit site nommée Castellum Scriptoris (nous sommes si fiers), nous observons les extravagances vestimentaires de nos coreligionnaires venus assister à la grand-messe denaisienne. Toujours amusant de noter le contraste entre ces petites villes tranquilles dans lesquelles prennent parfois place les festivals et les tenues bigarrées des pèlerins de passage. La salle ouvre enfin ses portes aux alentours de 17h, nous permettant de découvrir l’intérieur du théâtre. « Me permettant », devrais-je dire, puisque de nombreux habitués du festival sont déjà familiarisés avec les lieux. De suite, le coup de tampon rituel reçu sur le dos de la main, nous montons à l’étage pour assister au premier show de Path of Memory. Petite table avec encens et bougies, une caisse claire, une demi-caisse branchée et une folk, Bornyhake qui alterne entre chant, percussions et guitare, des bouteilles de spiritueux qui circulent de moustache à moustache… Le groupe revendique des influences goth et dark folk. Quelque chose comme Fields of the Nephilim (amen), Sisters of Mercy, et surtout King Dude (respire Angélique). On sent les musiciens tendus, ce qui peut se comprendre étant donné l’immédiate proximité avec le public. La voix tremble un peu en début de set, mais très vite les choses se délient. La raideur de jeu s’estompe, les cordes vocales s’affermissent, le rituel prend. Les pistes sont construites sous forme de litanies, de mantras peut-être, très répétitives et minimalistes. Deux accords alternés pour l’hypnose, quelques fioritures, des percussions solennelles, et un chant grave très plaisant. Le tout durera une grosse vingtaine de minutes pour quatre ou cinq morceaux. Très sympathique entrée en matière, que la petite assemblée paraît apprécier. Quelques petites remarques néanmoins, puisqu’il faut bien ralôter un peu. Les chansons tendent à se ressembler un peu trop entre elles, les paroles du titre en français sont définitivement moyennes (pour rester correct), et la ressemblance avec King Dude se fait parfois un peu trop flagrante. Un peu de variété, de l’audace et de la personnalité en sus, et on tient un projet fin prêt pour devenir passionnant.
Les choses sérieuses commencent. Le trio Aluk Todolo prend place. Un batteur, un guitariste et un bassiste avec de faux airs de Cédric Villani. Pas de fantaisies, on envoie de suite. Le groupe, dont le logo tournoie au plafond de la salle sur la fresque en médaillon, construit son set sur des pistes particulièrement longues, foncièrement progressives et lancinantes. Le batteur impressionne de constance et de justesse, malgré un jeu de scène particulièrement démonstratif et mouvementé. Le discret bassiste ajoute des murs aux fondations, marquant les structures mélodiques de base sur les piliers percussifs solidement plantés. Enfin, le guitariste se charge vous décorer la baraque façon Valérie Damidot sous LSD. Le talentueux cordiste est en roue libre totale. Nul doute qu’une part de son jeu est improvisée, même si l’on perçoit la très grande osmose qui permet aux musiciens de s’accorder parfaitement les uns aux autres. Les bonhommes se connaissent, maîtrisent leur art, et nous le font sentir. Concentrés, mais pas raides. Le son peine quelque peu à nous restituer toute la subtilité de ce kraut-rock blackisé en début de parcours, mais s’affine avec le temps. Aussi, après une première piste pas toujours facile à suivre, la robe sonore permet de mieux profiter du second morceau. Au total, le groupe jouera trois gros quarts d’heure, pour un set au degré d’immersion pas toujours égal mais définitivement intéressant. Il manquera toutefois un petit rien de clarté dans la musique du groupe, quelque chose de plus « efficace » aurait parfois permis de maintenir l’attention à flot lorsque les longueurs des compositions égarent tout à fait l’auditeur. En guise de point d’orgue, le guitariste ira planter sa guitare devant son ampli en fin de set, et jouera avec le larsen de son instrument en se saisissant de son rack d’effets pour jouer directement avec les potards de ses pédales. Grand moment proprement stupéfiant, sorcellerie électrique captivante qui me semble révéler, enfin, le plein potentiel psychédélique du trio par ailleurs très minimaliste dans son décorum. Une grosse ampoule à filament se balance en plein milieu de la scène tout au long du show, scintillant plus ou moins intensément selon le flux sonore. On passera en revanche sur la simulation d’auto-strangulation réalisée par le guitariste, pas forcément nécessaire… Mais au-delà de ces petits à-côtés formels, je suis ressorti de la salle assez impressionné par la performance offerte. Un groupe qui avait définitivement sa place à l’affiche du festival.
Une bière, et retour dans la salle, d’ailleurs divisée en une petite fosse et de longues rangées de sièges très confortables, permettant d’assister aux prestations de très agréable manière si vous souhaitez reposer vos jambes. En gros pantouflard que je suis, j’ai apprécié cette configuration, même si la très large scène permet de se placer facilement juste sous le nez des musiciens, où je passerai la majorité de la soirée. Hats Barn prend ainsi la suite d’Aluk Todolo pour un set particulièrement primaire. Pour ceux qui ne connaissent pas le groupe, il s’agit de black metal classique au possible, assez proche d’un Urgehal dans l’idée. Punk et sans dorures, brutal, amoral et haineux en Diable. On colle des têtes de moutons écorchées et des os sur le devant de la scène, on plante les bannières marquées du sceau du groupe… Vous voyez d’ici le style. Les musiciens débarquent couverts de l’attirail classique du black metal de cet accabit, avec ossements en sautoirs, corpse paint sur torse nu ou tignasse hermétique rabattue sur le visage, et bien sûr grande cape pour Psycho, le chanteur à la solide réputation de mec qui ne déconne pas dans la scène nordiste. Visiblement très investi dans son groupe, celui-ci donne tout, et ce dans tous les domaines. Tenue de scène, mimiques de névrotique, calice de sang répandu sur le visage et les gouttes finales pour faire trinquer les premiers rangs… Je n’ai pas aimé. Pas question de faire des simagrées, pas le genre de la maison. Le groupe est sincère et ne fait pas semblant, mais le son ne m’a pas permis de distinguer un seul riff (et ce n’est pas faute d’avoir tenté de bouger), le jeu de scène fait too much (les petites étincelles…), les entre-pistes GG Allinesques… Pas aimé, je dis. J’apprécie plutôt le groupe sur album, pourtant. Dommage. Tant pis. Saluons tout de même la reprise de Trelldom en fin de set, qui a le mérite d’être originale et bien jouée.
Pause à nouveau, et nous passons sur les deux têtes d’affiche de la soirée. Seth est très attendu ce soir, la chose se palpe dans les l’air au gré des discussions préalables au concert. Et en effet, beaucoup de spectateurs resteront scotchés à la scène pour ne surtout pas perdre leur place au cours de l’entracte. Seth se la joue, comme toujours, très cinématographique. Le backdrop splendide à l’effigie du dernier album donne le ton. Nous sommes en pleine cathédrale gothique (n’est-ce pas ?), où les musiciens tiennent le rôle de diacres rassemblés autour de Saint-Vincent, prêtre encapuchonné célébrant la fin des Temps bénis. Grosse, grosse classe, il faut l’admettre. Pompeux, baroque, ronflant, mais puissant. A l’image du show, et le mot prend ici toute son importance. Seth ne propose pas seulement un concert, il donne dans le spectacle son et lumière, presque chorégraphié sans toutefois monter jusqu’au stade d’un Bathushka. Le son monte de plusieurs crans, les trémolos se distinguent sans effort et les mélodies très efficaces du groupe passent tout de suite dans le crâne. Pas naïfs, les gars ouvrent leur cérémonie sur des morceaux du dernier album qui a su séduire tant de blackeux. Succès immédiat, l’auditoire est manifestement captivé. La présence du groupe sur scène n’y est pas pour rien, l’on sent la formation rôdée et à l’aise dans son exercice sans jamais verser dans le formalisme. Passé les « tubes » de début de partie, le groupe explore sa longue discographie, enchaînant même les trois parties de l’Hymne au Vampire (Les blessures de l’âme sont éterneeeelles). Je me trouve particulièrement surpris de constater à quel point la musique du groupe passe bien en live. Dynamique, prenant, le show de Seth captive sans efforts et entraîne dans son univers démoniaco-gothique bien kitsch sur les bords mais tellement jouissif. Saint-Vincent possède une voix singulière et vraiment marquante, grave, grondante, jamais écorchée mais plutôt déclamatoire, maîtrisée et menaçante qui sied parfaitement à la musique jouée. J’insiste, mais le set de Seth (oui) dégage quelque chose de grandiose, labellisé Philippe de Villiers black metal, tant ironiquement que sincèrement. Et là encore, même devant un show que j’ai beaucoup apprécié, il faut bien que je pinaille un peu. Le petit rituel avec mademoiselle, bon… Je comprends l’idée, mais je ne peux m’empêcher de trouver la chose carrément grotesque. Voilà. Mais vraiment, ce reproche ne revêt à peu près aucune importance, d’autant plus que le groupe ne s’arrête pas de jouer lors de sa tenue, et ne perd donc pas de temps exclusivement pour cette mise en scène. Restons-en sur l’excellente impression légitimement laissée par le concert.
Salle évacuée pour permettre à Taake de préparer la salle à sa convenance après une arrivée en France retardée par les affres du trafic aérien. Nous entrons finalement pour la dernière fois devant la scène vers 22h45, d’ailleurs très dépouillée, pour ne pas dire uniquement peuplée par les musiciens (à se demander pourquoi le groupe demandait l’évacuation de la salle, finalement…). Les trois cordistes corpse-paintés et le batteur ne disent mot et lancent le set sur l’arrivée d’Hoest dans sa grande cape marquée du drapeau norvégien. Frisson instantanée pour le passionné de Black Metal que je suis, et grand fan du groupe qui plus est, tout juste revenu de Bergen par-dessus le marché. Ne coupons pas les cheveux en quatre, Taake était la raison principale de ma présence à Denain. « Nordbundet » ouvre la danse dans l’élégance, et donne le ton d’entrée de jeu pour toute la soirée finissante. De un, le groupe jouera principalement des morceaux de Noregs Vaapen en les émaillant de quelques pistes issues de Kong Vinter et de Hordaland. De deux, Hoest est bourré, rôti, pinté à mort. Résultat ? Un concert incroyablement intense, marqué par les excès et les frasques délirantes, presque dangereuses du chanteur. En vrac : deux micros cassés à force de les frapper sur les retours et sur son propre crâne bien saignant en fin de set, au moins une douzaine de blessures évitées par miracle dans le public parce que Monsieur Hoest joue de son câble comme d’un fouet et le fait siffler à quelques centimètres à peine des têtes du premier rang, une démarche titubante constante, une quantité impressionnante de vin et de bière bue entre les couplets, des câlins répétés à des amis et une heureuse élue éparpillés dans la fosse, des chansons entières chantées prostrés sur les retours ou même directement dans le public lorsqu’il s’agit de contempler son guitariste assurer le fameux solo de banjo sur « Myr »… Hoest est punk en Diable, bouscule régulièrement ses musiciens et manque plusieurs fois de débrancher leurs instruments, arrachant son tee shirt pour passer les deux tiers du concert à nous faire miroiter ses pittoresque tatouages, le tout sans jamais faillir au chant, qui reste constant et impressionnant de conviction. Les instrumentistes sont irréprochables, aussi calmes et froids que leur chanteur est excessif et imprévisible, mais rien n’empêche jamais Taake de gérer son affaire. Le concert s’achève sur un gros regret toutefois de mon côté, ayant attendu jusqu’à la fin « Nattestid I » qui ne viendra jamais, remplacé par sa version acoustique au moment où les musiciens se retirent.
Extraordinaire moment offert par Taake, à la hauteur de sa réputation et prouvant que les groupes d’époque de cette scène ne sont pas tous devenus de grosses machines de salle trop calibrées. Hoest croit en ce qu’il fait, et rien ne l’empêche d’honorer son public, quel que soit son état. Nous reprendrons la voiture avec Max en se faisant la juste réflexion suivante : « on a vu de bons groupes, mais quand ce sont des norvégiens sur scène, tout de suite, c’est autre chose ! ».
Belle soirée que cet In Theatrum Denonium VI. Je n’en garderai que de bons souvenirs, et il ne me semble même pas utile de préciser que j’encourage tous les curieux à s’y rendre. 25 euros pour une telle affiche et une salle splendide, c’est un cadeau. Merci à Nord Forge, merci aux groupes, et rendez-vous sans aucun doute l’an prochain.
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