Voilà un autre
comeback que l'on espérait plus, mais qui saura se faire apprécier ! Un beau cadeau d'anniversaire à l'odeur bien rance, qui passe juste après avoir soufflé vingt-cinq bougies, plantées dans l'adipocire. Vingt-cinq ans, ça commence à faire... Surtout qu'il s'en est écoulé près d'une quinzaine depuis le dernier longue-durée de Lymphatic Phlegm,
"Show-Off Cadavers", qui avait su s'imposer comme une vraie référence du genre. Annoncé le jour même par Black Hole Production, historique écurie du duo brésilien, sans s’embarrasser de promotion,
"Roughly Excised" entre dans les chaumières et les esgourdes par la petite porte. Les légendes du Goregrind sont de retour : vont-elles finir d'asseoir leur position parmi les darons de la tripaille, ou prendre quelques risques ?
L'emballage est, en tout cas, tout aussi soigné que leur précédent méfait. Y'a pas, même si l'exercice du collage a eu le temps d'être usé depuis les deux premiers albums de Carcass, il fait toujours son petit effet. Et sert à merveille le propos ! Il faut dire que les abats ont eu le temps de macérer, la faute à un hachoir qui s'est enrayé : les premiers enregistrements datent de 2015... Rodrigo Alcantara et André Luiz ont attendu que la première couche sèche pendant trois ans pour laquer le tout, confiant finalement l'ouvrage aux bons soins du Lutemkrat Studio et de Jarkko Haapala (Torsofuck, Polite Force) au cours de l'année 2019, respectivement pour le
mix et le
mastering. Un laps de temps conséquent dont souffre un poil ce nouvel opus, mais nous y reviendrons, car si attaquable soit-il, il comporte malgré tout de sacrés instants de grâce.
La raison est simple : le boulot a été bien fait. Difficile de se planter complètement quand c'est le chirurgien en chef qui opère. C'est bien simple,
"Roughly Excised" est à prendre comme une synthèse de la riche discographie de Lymphatic Phlegm, résumant deux décennies, une démo, deux EPs, autant de
full-lengths, et 19 (!) splits en une petite demie-heure, à la lueur des néons du bloc opératoire. On y retrouve un peu du bulldozer auditif qu'est
"Pathogenesis Infest Phlegmsepsia", beaucoup du riffing unique et malsain de
"Show-Off Cadavers - The Anatomy Of Self Display", avec quelques primeurs, notamment cette production :
enfin un son à la hauteur des compositions... Il était temps de muscler le jeu ! D'autant que Lymphatic Phlegm n'a plus peur d'être ambitieux. Les titres sont bien plus long qu'à l'accoutumée, plus construits, et cette nouvelle boîte à rythmes, certes loin d'être parfaite mais autrement plus convaincante que le marteau piqueur ou les
samples Fisher Price, vient solidement maintenir l'ensemble. Globalement,
"Roughly Excised" est plus violent, plus frontal que son grand-frère, mais n'oublie pas ce qui fait tout le sel de la formation : ce sens du riff.
Le son a beau être différent, c'est la patte, reconnaissable entre mille, qui nous frappe dès le deuxième titre. Ces guitares encore luisantes de formol, s'extirpant du mur compact formé par les frappes et la basse (qu'on entend enfin, c'est pas dommage) pour dispenser leurs mélodies taillées au scalpel. Cliniques, précises, qu'on imagine comme la mise en musique des travaux de Vésale ou Gunther von Hagens, inconfortables, et pourtant si savoureuses. Dansantes, en fait, hautement appréciable quand le couple
"Goregrind & Boîte à rythmes" se contente souvent de donner dans la plus complète débilité. De ce point de vue, on retrouve toute la finesse de Lymphatic Phlegm : pari remporté, donc.
Pour autant, après quelques écoutes, on pourrait trouver quelques ventres mous, disséminés çà et là tout au long des 16 titres que comporte
"Rougly Excised". Si les deux précédents albums de Lymphatic Phlegm étaient parfaitement attaquables sur la forme, la faute à une production pas toujours heureuse, le fond, lui, était pratiquement intouchable - facile de pardonner le contenant, quand le contenu en vaut la peine. Pour ce petit dernier, c'est un peu l'inverse qui se produit... Attention, ne me faites pas dire que le disque est mauvais, loin s'en faut ! Simplement, il comporte moins d'instants mémorables que ses grands frères. Est-ce parce qu'ils m'ont tant marqué, comme beaucoup d'autres ? Ou parce que j'attendais peut-être un peu trop de cette sortie surprise ? Un peu des deux, probablement. Les visuels, le son, les titres sont ambitieux, mais j'ai parfois la désagréable impression, entre deux fulgurances, que nos deux compères se sont contentés du minimum. Fort heureusement pour nous, ces instants de pilotage automatique, ces samples un peu longuets, restent rare,
"Roughly Excised" excellant quand Lymphatic Phlegm s'en donne la peine.
Quoiqu'il en soit, les amateurs ne bouderont pas leur plaisir face à ce retour inattendu. Lymphatic Phlegm, qu'on le veuille ou non, restera à jamais l'un des Grands du Goregrind. Une belle évolution, des débuts grésillants, quasiment inaudibles, jusqu'aux cîmes du genre, une formule affinée vingt-cinq années durant, que l'on prend plaisir à retrouver cette année. En espérant ne pas devoir attendre mes 40 balais pour savourer une nouvelle fournée !
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