Vertige - Aux solitaires !
Chronique
Vertige Aux solitaires !
Je passe commande sur le label Transcendance une à deux fois par an. Je prends tout ce qu’il propose. Je sais que c’est inutile d’écouter en avance, ce sera toujours bon. Et cela n’est pas valable que pour les groupes que Marie Brouillard produit (DRACHE, HOPELESSNESS, LYKTA…), mais également pour ceux qu’elle propose dans sa distribution. C’est simple, je n’ai même plus souvenir d’une éventuelle déception depuis la fondation de la maison en 2017.
Je m’attendais donc à être une nouvelle fois convaincu par la nouvelle entité née de l’esprit de l’artiste : VERTIGE. Une nouvelle entité qui est en réalité la prolongation du touchant J’AI SI FROID… qui nous avait ravis de 3 albums, en 2015, 2017 et 2019. Les deux premiers d’entre eux avaient pris la forme d’une collaboration avec l’ancien partenaire Dunkel de SALE FREUX, et le troisième avait marqué le début du travail en solitaire, comme pour le projet BROUILLARD. Une page avait commencé à être tournée, elle a désormais été arrachée, et VERTIGE remplace J’AI SI FROID… Enfin… soyons juste, ce n’est pas qu’un changement de nom. Une autre aura plane véritablement au-dessus de ce nouveau né, et elle est due à de nouveaux éléments apportés en partie à la musique et principalement au chant. Ce sont des éléments qui transcendent cette fois-ci l’art de Marie, tout simplement parce qu’elle a pris le parti de se livrer encore plus que jamais. Et c’est ce qui rend cet album si exceptionnel… il sent le vécu à plein nez et il nous barbouille le cœur des expériences et des états d’âme de sa génitrice, tout en trouvant écho dans les épreuves de chacun.
Avant tout, cela se manifeste dans les paroles et à plusieurs reprises elles nous prennent à partie en nous demandant si nous ressentons nous aussi le mal-être en société, le plaisir ou le besoin de la solitude, l’envie de s’éloigner de la « modernité »… L’auditeur se sent tout de suite concerné par les tourmentes de VERTIGE et a l’impression que l’on parle de lui quand il entend :
« Comment vivre pleinement sans avoir aucun regret ? »
« Qu’est-ce que je vais laisser ici ? Quels souvenirs vais-je emmener avec moi ? »
« La solitude, c’est la liberté »,
« Mais si tu veux t’encorder avec moi, poser tes crampons dans les traces de mes pas, tenter de vivre une belle aventure, donne ta main, et enfile tes chaussures ! Qu’est-ce qu’on risque à côtoyer les grands précipices ? Des flots d’adrénaline, des poils qui se hérissent ? »
Les textes sont tous magnifiques, que ce soient ceux imaginés par l’artiste ou ceux tirés d’un poème. Le texte de « Les solitaires » est ainsi emprunté à Renée Vivien, la poétesse anglaise qui s’exprimait en français et qui est morte tragiquement à 32 ans en 1909, des suites d’une pneumonie et de ses soucis avec l’alcool et l’anorexie...
Mais de bonnes paroles ne servent pas à grand-chose sans une bonne interprétation, et là aussi Marie s’est complètement mise à nue. Son chant était connu, et il a déjà bluffé beaucoup de « mâles » qui pensaient que les femmes ne savaient pas hurler et growler. Elle a une voix à la fois torturée et déchirante quand elle crie au son du black metal, mais elle nous fait ici profiter aussi de sa voix parlée. Une voix qui semble désabusée sur « La peur des regrets », au moment de nous expliquer qu’elle ne supporte plus le contact des humains. Mais c’est aussi une voix qui ne peut plus se maitriser et qui se lance dans un plaidoyer pour la survie sur « Les grands précipices ». D’abord déclamée avec contrôle et calme, la voix évolue et pleure toute la misère, toute la peine, tout le désespoir qui sont restés trop longtemps et trop violemment contenus à l’intérieur. Beaucoup d’émotions sur ce morceau, mais les autres compositions n’en manquent pas. Une nouvelle fois grâce à la voix de Marie, claire et utilisée en tant que chœurs au début de « La peur des regrets », sur lequel les frissons sont garantis. Même constat un peu plus loin, et encore plus fort, à partir de la 8ème minute de « Aux incompris des incomplets »…
Cet album est donc déjà magistral grâce aux vocaux et à ce qu’ils clament, mais évidemment la musique est au niveau et elle permet de rajouter un cran de tension aux propos de VERTIGE. Beaucoup de moments sont dramatiques dans ce black metal atmosphérique désespéré : les passages acoustiques, les mélodies langoureuses, l’apparition d’un cor… Même s’ils sont rares, ils marquent forcément l’esprit, et viennent parachever le sublime des ambiances. Voici des compositions fortes qui sont vouées à parler au cœur, à trouver un écho chez tous ceux qui ressentent un décalage entre ce qu’ils devraient être et ce que le monde des hommes essaie de leur imposer. On pensait déjà tout savoir de Marie à travers BROUILLARD et J’AI SI FROID…, elle nous en apprend encore plus, tout en nous en faisant aussi découvrir sur nous-mêmes…
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