Je me méfie de la nostalgie, « cette pauvre imbécile » qui confond « l’amour et la géographie » disait Serge Reggiani. Elle a tendance à rendre souhaitable une vie dans un jadis et un ailleurs tous deux imaginaires, un romantisme qui se veut vérité là où il est une émotion. Inutile de prendre des exemples : on sait les monstruosités qui peuvent se cacher derrière ce sentiment faussement réconfortant.
Et pour s’en rappeler,
Bitter River est tout indiqué. Ceux qui ont déjà rencontré la formation de San Francisco – ou lu mes chroniques de
Sin Eater et
Ruby Red – connaissent le talent pour faire voir l’horreur derrière une apparente douceur du projet mené par Kris Force – seul membre constant au sein de cette géométrie variable, ici épaulée de Leila Abdul-Rauf (Cardinal Wyrm, Vastum, Hammers of Misfortune) et Jackie Perez-Gratz (Giant Squid, Ludicra, Grayceon, Asunder). Cette période se classe parmi les plus belles d’Amber Asylum, forte de sa signature sur le label Profound Lore, qui aura vu naître le magnifique
Still Point ainsi que celui-ci.
Un album peut-être un peu moins marquant que son trouble prédécesseur mais qui a pour lui d’être à la fois une des plus humaines et des plus douloureuses œuvres des Ricaines. Amber Asylum joue davantage des attentes ici qu’ailleurs, par son néoclassique qui plonge dans un médiévalisme qu’elle a toujours su éviter dans ses clichés. « Winter Winds » ou « Thee Apothecary » embrassent des atmosphères moyenâgeuses, chevaleresques mêmes, décelables au sein de l’intérieur du livret et ses plans que l’on croirait provenir d’une cartographie d’autrefois. Les voix célestes de Leila et Kris se déploient sans ambages, pleinement mélodieuses et altières, conteuses d’histoires un brin mélancoliques mais possédant surtout une patine d’un autre temps (jusqu’à une instrumentation dépouillée).
Il y a d’autres moments où Amber Asylum se laisse aller à une peinture à l’aquarelle, délavée et larmoyante, notamment lors de longues plages où les cordes s’étirent et s’accumulent (« Fear and Doubt in The Frozen Dawn »). Pour autant, si malaise il y a, il est d’un genre particulier : formellement beau (et même sublime par instants),
Bitter River s’écoule bien comme une eau pleine d’amertume, rendant son passé paradisiaque inatteignable. Une opacité étrange ressort de cette clarté qui illumine au point d’aveugler, donne à voir des traces de ce qui a été mais a disparu, voire n’a jamais existé. L’asile, comme ce qu’il peut définir d’abri et d’aliénation, se retrouve pleinement dans cette ambiance qui paraît consoler et finit par meurtrir. Les dernières pistes révèlent alors la torture qui se vivait auparavant dans un jardin des délices masquant les supplices : « Nocturne » étale, « Haze Reprise » répète, transformant les mirages en visions moqueuses.
Il est parlant de voir des Ricaines jouaient avec autant de sadisme une musique historiquement européenne. Amber Asylum feint un émoi qu’elle prétend vouloir partager, avant d’en montrer toute la vacuité, toute l’aigreur pouvant en provenir.
Bitter River est sans doute l’album où le talent de composition de la formation est le plus lisible, celle-ci y interprétant quelques-unes de ses plus belles chansons (le morceau-titre, « Winter Winds » ou « Mountain Haze »). Il est aussi celui où elle abandonne un peu de son étrangeté pour adapter un discours percutant – car usant des sentiments plus que de la raison – sur ce spleen dont tant aiment s’affubler, lui enlevant au cœur toute séduction. Un disque à conseiller à celles et ceux tentés par cette musique mais cherchant par où commencer, en raison de sa fluidité et sa facilité d’approche (malgré une fin particulièrement répétitive). Mais qu’on ne se laisse pas avoir : le bonheur inaccessible dépeint ici n’apportera que des joies macabres.
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