Prenez un jeune fraîchement arrivé à l'âge où l'alcool et les films dans lesquels on voit distinctement le haut des cuisses deviennent accessibles légalement. Exposez le sur un intervalle de temps relativement court au cocktail
« Purgatory Afterglow »,
« Tales from the 1000 lakes »,
« Wolfheart » et « Amok » … Et en à peine le temps qu'il n'en faut à un poignet expert pour livrer son offrande séminale sur l'autel du dieu Kleenex, vous en aurez fait un fan à vie de death mélodique. Testé et approuvé. C'est d'autant plus vrai pour le vieux croûton qui vous tient ces propos que les deux dernières cartes du carré d'as ci-avant évoqué sont pour lui fortement liées, Century Media ayant effectué, à l'époque de la sortie de ce 3e album de Sentenced, une opération « 2 CDs achetés, un 3e offert ». C'est ainsi consécutivement à l'achat conjoint du premier vrai album de
Moonspell et du
« Victory » de
Unleashed (
pas vraiment la réussite du siècle celui-là …) que le jeune cglaume se vit remettre « Identity?! Songs Of Hatred », compilation contenant un peu trop de metal hardcore (
déjà à cette époque?), mais aussi le « S.Y.L. » de
Strapping Yound Lad et le légendaire « Nepenthe » de Sentenced, morceau qui provoqua chez lui un coup de foudre musical immédiat et ravageur.
Car en effet, « Amok » c'est l'assurance de presque trois quarts d'heure d'un death mélodique racé du meilleur cru, empruntant ses folles envolées de guitares twins au heavy, son âpreté et sa combativité au rock'n'roll le plus roots et sa puissance de feu au bon vieux death metal des familles. L'accroche et l'impact de cette galette sur l'amateur de violence finement ciselée sont comparables à ceux de l'hameçon taillé pour déchirer les gueules poiscailleuses sur la truite innocente en quête de sa quotidienne pitence: indélébiles, si ce n'est fatals. Bien sûr, les plus jeunes ou les plus velus d'entre vous reprocheront à l'album trop de préciosité, trop de retenue dans certains passages que des groupes d'aujourd'hui boosteraient sans nulle doute à la blastine, ainsi que trop de ces passages en équilibre savant mais fragile entre l'extatique et le too much (
cf. la théâtralité de certains passages de « Nepenthe » par exemple. Aspect d'ailleurs fortement renforcé par le visionnage du clip dudit titre…).
Mes collègues Mitch – expert en scandinaveries obscures – ainsi que Evil_Nick & Dead – Docteurs ès sciences mélancolico-métalliques – vous ont dressé des tableaux assez contradictoires de nos finlandais. Entre le combo de death/black léché mais virulent décrit à ma gauche, et les doux rêveurs tristounes dépeints à ma droite, il y a un gouffre … Au-dessus duquel « Amok » vient jeter le pont de la logique et de la cohérence artistique. Mélange d'une musique bouillonnante, puissante, voire dévastatrice, et de penchants plus mélancoliques – oserais-je dire romantiques? –, « Amok » voit Sentenced mêler ces deux aspects de façon magistrale grâce au ciment d'une énergie rock sans faille et à une large couche de liant mélodique faisant la synthèse du meilleur de
Iron Maiden et des débuts de la scène de Göteborg (
qui de toutes façons doit elle aussi beaucoup aux grands prêtres d'Eddy).
Ceux qui s'intéressent aux prestations individuelles des musiciens retiendront la complémentarité exceptionnelle du regretté Miika Tenkula et de Sami Lopakka, que ce soit lorsque l'un d'eux offre un épais et moelleux tapis rythmique à l'autre afin de mettre en valeur la fibre rock'n'roll de ses fulgurances, ou lorsque leurs manches s'unissent pour livrer de ravageurs assauts conjoints (
non, n'y pensez même pas: pas d'allusions scabreuses). Derrière le micro, Mister Jarva ne semble quant à lui pas le moins du monde gêné par le boulot qu'il abat à la basse lorsqu'il s'agit de moduler ses éructations growlées – mais parfois également teintées de shriekeries black – pour prendre des accents plus chaleureux, allant jusqu'à évoquer régulièrement ce qui se rapprocherait le plus d'un crooner death metal si ce concept n'était pas un pur oxymore.
Côté tracklist, « Amok » c'est tout d'abord l'introduction parfaite, sous forme d'un « The War ain't Over » qui met judicieusement en abîme la suite des évènements, avec au programme décollage progressif de la machine de guerre, largage de LA bombe accompagnée dans sa chute par un clavier léger, puis démarrage véloce, mélodique et guerrier des troupes, vite tempéré par un break plus léger. Le ton est donné, c'est la guerre, mais une guerre effectuée avec finesse et sophistication, sans que cela n'entrave l'expression d'une colère rock'n'roll brute de fonderie. Puis les tubes s'enchaînent, avec parmi ceux-ci certaines pépites sur lesquelles je ne peux pas ne pas m'arrêter un instant. « Phenix » tout d'abord, et son metal rock cool et pourtant grandiose (
mazette, ce décollage divin, à 2:09, me remet à chaque fois la même petite claque!). « Forever Lost » ensuite, sa mise en musique d'une formidable armada se mettant en branle, à 0:30 (
putain de chair de poule!), ces couplets incisifs et entraînants, et ce final où l'on voit débarquer un piano rock déchaîné (
à 6:44). Puis « Nepenthe » bien sûr, mais plus encore « Dance on the Graves » – pendant longtemps mon morceau préféré de l'album –, avec une fois encore (
c'est presque une constante sur ces 9 titres) l'une de ces entrées en matière toute en habile crescendo où le groupe fait monter la pression avec un savoir-faire hors du commun, pour s'épanouir cette fois sur un riff simple, évident même, et pourtant tellement bon! Les amateurs de
Cathedral auront même le droit à un morceau quasiment hors sujet, à la limite du doom psyché enjoué, en la présence de « Funeral Spring ».
Bien que proche de ma définition de l'album parfait, « Amok » n'atteindra pourtant pas la note maximale, car il faut savoir tête froide garder. J'ai déjà évoqué plus haut certaines propensions du disque à flirter avec les limites du « cheesy » (
comme disent nos amis anglophones). J'ai également mentionné le fait que, repris par un groupe et un producteur plus actuels, les morceaux pourraient – je pense – gagner encore un brin en ampleur et en puissance (
à vérifier sur un tribute à Sentenced, si des fois un tel projet voyait le jour). J'ajouterai enfin que s'il n'y a pas de reproche véritablement sérieux à adresser à l'encontre de « Moon Magick » et de « The Golden Stream Of Lapland », on pourra quand même regretter que ces 2 titres concluent l'album sur un feu d'artifice moins spectaculaire que ce à quoi on était en droit d'attendre, le premier des deux morceaux étant un micro-poil trop gothico-
Moonspellien dans le contexte, et le second étant un bien bel instrumental, mais que l'on n'aurait pas été choqué de voir composé par un autre de ces groupes inspirés et expérimentés … Bref, tout ça sonne un poil plus générique que le reste de l'album.
M'enfin j'ai envie de dire quand même: oubliez la triste tentative d'objectivité pusillanime du chapitre précédent, et si vous êtes fans de death, de mélodies captivantes, d'énergie et de rock, jetez-vous sur « Amok »: vous tiendrez alors entre vos mains calleuses la synthèse définitive de tous les meilleurs ingrédients du metal « extrême » pour esthètes, un sommet du genre qui dégagera vers les marches inférieures de votre podium personnel bon nombre de vos chouchous les plus récents. Rendez-vous service en l'essayant, si ce n'est déjà fait.
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