Árstíðir Lífsins - Aldafǫðr Ok Munka Dróttinn
Chronique
Árstíðir Lífsins Aldafǫðr Ok Munka Dróttinn
Autant jouer franc-jeu et vous dire d’emblée que certains styles me rebutent. Malgré tous les efforts déployés, impossible de passer le cap. Parmi eux se trouvent entre autres le death mélodique, le viking metal ˗ et affiliés ˗ ainsi qu'en tête de peloton, le black symphonique. Cependant le temps fait quelques fois son œuvre, apportant son lot d'imprévus. Cela a été le cas pour le black metal pagan. Assez réfractaire au genre à cause d'une musique fréquemment clichée par son côté pouet-pouet, guerriers nordiques, ou moyenâgeux, mais aussi chansons à boire me saoulant malheureusement assez vite. Il aura fallu attendre la belle prestation de Skyforger durant le Hellfest 2011 afin de bousculer les a priori et enfin lever les œillères. Car oui la scène black pagan cache en son sein des formations intègres ne forçant pas sur les artifices, tant sur le plan musical qu'au niveau des postures, ou se démarquant par leur originalité. Et Árstíðir lífsins fait indéniablement partie de ces derniers.
Formée en 2008 cette entité mi-islandaise mi-allemande a été présente depuis 2010 et leur premier opus Jǫtunheima dolgferð, enchaînant les sorties d'albums avec seulement deux ans d'intervalle. Un rythme soutenu et régulier qui leur a permis de se faire une place au sein de la scène underground, notamment par une signature précoce sur le label allemand Ván Records (Urfaust, Dread Sovereign ou encore The Ruins of Beverast). Pourtant le premier contact avec Árstíðir lífsins est resté infructueux, trouvant leur première œuvre lassante par des parties atmosphériques pas assez immersives et trop longues. Néanmoins le groupe se démarquait de la masse par sa personnalité propre, une musique tant racée que variée toute en fragilité et émotions. Si Vápna lækjar eldr redressait le tir par son côté plus âpre, avec des passages black plus présents, les parties ambiancées s'en retrouvaient amoindries tant dans leur rôle que dans le contenu beaucoup plus convenu. Après un remaniement de line-up voyant le départ du vocaliste allemand Georg (Drautran), le désormais trio revient avec un album conceptuel et monumental, dans la lignée de Þættir úr sögu norðrs ˗ EP paru en 2014.
Cependant Árstíðir lífsins délaisse les poèmes scaldiques et la mythologie nordique pour une histoire plus terre à terre traitant de la christianisation de l'Islande durant le Xe siècle. Le propos prend un tournant à la fois sombre et solennel porté, dès l'introduction de « Kastar heljar brenna fjarri ofan Ǫnundarfirðinum », par des instruments à cordes tout en gravité et délicatesse donnant encore plus de profondeur et de mélancolie. Cet aspect qui était fortement présent sur leur premier opus refait donc surface, pour le meilleur, avec des parties lentes mélangeant folk et ambient pour un rendu plus complexe et poignant. Tantôt mis en relief par les chœurs des Allemands Stefán (Kerbenok) et Marsél (Helrunar) ainsi que l'Islandais Árni (Carpe Noctem, ex-Dysthymia) ˗ tenant un des premiers rôles sur cette œuvre ˗ tantôt bercé par le doux spoken word de Marsèl et Teresa, elles touchent toujours juste. Des samples viennent aussi renforcer le côté païen et primitif par le crépitement d'un feu, le bruit des vagues ou d'un orage tonnant non loin ainsi que l'écho d'un tambour rameutant les troupes sur le titre d'ouverture, où s'invite de temps à autre une guitare acoustique.
Contrairement à Jǫtunheima dolgferð, les passages atmosphériques n’alourdissent en rien l'ensemble, conférant à Aldafǫðr ok munka dróttinn un aspect tant éthéré que brumeux. Les nombreux changements de rythmes se font de manière très naturelle où vous semblez suivre un fil conducteur tout au long de l'écoute et de l'histoire narrée par le groupe. Une clarté accentuée par une production moderne qui offre un beau contraste et permettant à Árstíðir lífsins de sortir son épingle du jeu, rappelant quelque peu Helrunar ou encore Dordeduh. Si les ambiances, aux touches soit néo-classique soit folk ˗ vous en frissonnerez de plaisir sur « Tími er kominn at kveða fyrir þér » ˗ redoublent d'intensité, il en va de même pour les parties black pagan, en particulier lors des nombreuses alternances low et mid tempo. « Máni, bróðir Sólar ok Mundilfara » est, par exemple, un bel exemple, faisant le pont entre les deux parties de l'album. Les riffs sont à la fois majestueux et ensorcelants, se finissant souvent par des envolées épiques à souhait illuminées par les chœurs et où s'entremêlent voix claire et voix éraillée, comme sur « Knǫrr siglandi birtisk á löngu bláu yfirborði » mais encore « Norðsæta gætis, herforingja Ormsins langa ». Vous prenez part à la lutte aux côtés du peuple islandais face aux nombreuses tentatives faites pour convertir l'île au christianisme.
Malgré tous les efforts déployés la défaite se profile sournoisement, laissant place à une tristesse et une amertume des plus tenaces retranscrites tout au long de l'opus par des nappes sonores vibrantes. Toutefois l'espoir ne s'est pas tari et le combat continue mis en musique par des passages plus rageurs et percutant notamment sur « Úlfs veðrit er ið CMXCIX » ainsi qu'une grande partie du second chapitre de Aldafǫðr ok munka dróttinn. Le batteur Árni durcit son jeu, les guitares se font plus grésillantes et nerveuses couplées au chant black qui est composé de deux voix, l'une aiguë légèrement nasillarde et déchirée et l'autre plus caverneuse. Une musique sombre et brutale jaillit comme par surprise telle une poussée de violence incontrôlée. Elle laissera d'ailleurs rapidement place à des sonorités à la fois plus pagan et martiales, où la batterie et les chœurs paraissent rythmer le pas des Islandais notamment sur le monumental « Sem lengsk vánar lopts ljósgimu hvarfs dregr nærri ». Les fers s'entrechoquent, une voix aussi forte que charismatique se fait entendre ici et là, afin de ragaillardir les troupes accompagnée de riffs entêtants.
Certes les chœurs omniprésents ˗ délivrés par les trois hommes ˗ ont tendance à être rébarbatifs au fil de l'écoute en raison de leur ton monocorde. Mais passé ce détail cette œuvre vous prend indéniablement aux tripes grâce à un somptueux mélange de puissance et de solennité. Árstíðir lífsins, où l'art et la manière de raconter des histoires.
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