Firtan - Okeanos
Chronique
Firtan Okeanos
Il y’a des labels qui privilégient la quantité à la qualité et enchaînent les sorties toutes les plus improbables et inécoutables les unes que les autres, et puis il y’a ceux qui ont une politique plus sélective voire élitiste où l’on sait que chaque nouveauté sera d’un niveau supérieur à la moyenne. Les allemands d’Art Of Propaganda (devenus depuis peu AOP Records) font partie de cette seconde catégorie tant ceux-ci manient la discrétion et la recherche artistique au point de rendre chaque formation de leur catalogue véritablement à part, comme avec INSANE VESPER, GLOSON, ALLOCHIRIA et surtout HARAKIRI FOR THE SKY qui leur a amené une bonne part de leur notoriété. Récemment signés chez eux leurs compatriotes de FIRTAN ont tout ce qu’il faut pour devenir un grand nom du Black/Pagan Atmosphérique, et ça ne serait que justice tant leur second opus a les armes qu’il faut pour marquer les esprits, et aussi confirmer que la persévérance finit toujours par payer. Officiant depuis 2010 le quatuor du Baden-Württemberg a enchaîné les galères avant d’en arriver où il est aujourd’hui, car autour du duo fondateur Oliver König/Phillip Thienger se sont succédés une quantité impressionnante de batteurs et de seconds guitaristes, qui ont entravés leur marche en avant. Après un premier album autoproduit de façon très confidentielle celui-ci a véritablement trouvé sa voie en 2016 avec le court mais intense EP « Innenwelt », qui montrait un groupe plus mature et affirmé prêt à attaquer ce « Okeanos » plein de promesses, où la nature et en particulier la mer vont se faire entendre (ce nom étant la variante grecque du fameux titan Oceanos – fils d’Ouranos et de Gaïa), tout comme Nietzsche (dont certaines pensées et citations sont reprises ici).
Si l’élément aquatique est présent dans l’idée globale le vent et le ciel sont également de la partie, tant on va retrouver ce côté nuageux et éthéré tout au long de cette galette qui va lorgner aussi vers le cinéma fantastique, comme on va l’entendre d’entrée avec « Seegang » qui démarre façon bande originale de film. Commençant par une voix parlée en allemand (la langue de Goethe sera utilisée pour l’intégralité des paroles et textes) en guise d’introduction la suite va enchaîner entre blasts plus ou moins longs, parties légèrement symphoniques, passages plus lents et breaks où la guitare acoustique est de sortie. Si le groupe nous sort d’entrée toute sa panoplie d’idées et de jeu il faut bien reconnaître que l’ensemble va se montrer vite prévisible et finalement assez redondant, la faute à une construction assez similaire et à une durée un peu excessive. Malgré tout on s’aperçoit de la qualité d’écriture et technique de chacun des membres ainsi qu’où ils veulent en venir, du coup même si un sentiment de déception et de frustration domine après ce premier morceau (car on sent franchement le potentiel) on se dit que ça va aller en s’améliorant. Et effectivement dès la plage suivante (« Tag Verweil ») ça devient plus intéressant et accrocheur, car ici l’ensemble est plus équilibré tout en allant plus à l’essentiel et de manière directe. Ni trop violente ou pompeuse celle-ci reprend le même schéma qu’entendu précédemment en le réhaussant et en le faisant gagner en efficacité, pour un résultat de haute tenue qui va encore monter d’un cran au fur et à mesure de l’avancée du disque.
Car avec « Nacht Verweil » on pousse plus loin les horizons musicaux entrevus jusqu’à présent vu qu’on y trouve des gros passages épiques et entraînants joués sur un mid-tempo d’enfer, tout en y incorporant une grosse part de mélancolie via notamment l’apport d’un violoncelle qui s’intègre à merveille sur parties électriques comme acoustiques, pour un rendu là-encore excellent. D’ailleurs les nombreux breaks présents ici comme après sont souvent l’occasion de débrancher les guitares et d’y faire entendre une voie plus triste qui ne dénote pas au milieu de ces appels guerriers et des voyages lointains proposés. Après le mélancolique interlude « Purpur » place au recherché et très bon « Uferlos » aux nombreux chœurs et arrangements qui se permet le luxe de rajouter quelques parties tribales et martiales, le tout avec de nombreuses variations de rythmes et une ambiance symphonique assumée et qui prend pas mal d’espace, sans pour autant tomber dans l’excès. En effet vu le genre pratiqué ici il est facile de tomber dans le pompeux ou le kitch et les teutons évitent l’écueil avec brio même si parfois c’est à la limite (mais sans jamais franchir la ligne rouge), et cela montre une violence qui s’efface au profit d’un côté Progressif plus affirmé et qui se renforce à mesure qu’on approche de la fin de cette galette. Le très (trop) long « Siebente, Letzte Einsamkeit » et ses quasiment dix minutes viennent à le confirmer, car ce sont les atmosphères qui prennent le dessus ici, même si quelques courts blasts viennent redonner de la dynamique, mais dans l’ensemble chacune des différentes plages de cette ultime (et agréable) composition gardent ce côté planant et cinématographique, comme pour boucler la boucle avec ce qui avait aperçu furtivement au départ.
Et même si cela se termine de façon un peu plus douce et abrupte il ne faut pas oublier la qualité du travail fourni en amont, même si on peut regretter un certain manque de puissance récurrent aussi bien dans la musique de la bande que dans la production. Cependant bien que certains plans soient assez similaires (notamment le break à la guitare sèche qui apparaît de manière quasi-systématique) la précision de l’écriture et des orchestrations, tout comme la qualité technique de chacun des membres sont impeccables (ces derniers semblent enfin avoir trouvé la maturité qu’il leur manquait). Malgré l’absence du petit quelquechose pour marquer durablement les esprits, il serait franchement dommage de ne pas s’attarder un peu sur cette œuvre forte très agréable et qui sans changer la face du Metal mérite néanmoins que l’on se penche un peu dessus car on passera un bon moment en l’écoutant, même si la présence d’un hymne vraiment fort et fédérateur n’aurait pas été de refus.
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