Árstíðir Lífsins - Saga Á Tveim Tungum II: Eigi Fjǫll Né Firðir
Chronique
Árstíðir Lífsins Saga Á Tveim Tungum II: Eigi Fjǫll Né Firðir
Je les aime bien, ceux-là. Árstíðir lífsins, c’est le black metal atmosphérique et païen comme j’aimerais en voir davantage. Pas celui qui se rue tête baissée dans les clichés, ni celui qui essaye d’avoir de l’emphase pour quinze, pas même celui qui se veut démesurément épique en ne parvenant qu’à un sous-produit sans éclat de Bathory. Árstíðir lífsins, c’est serein, calme, ample, même quand c’est furieux et rageur. Le groupe dégage quelque chose de monolithique, d’infiniment profond ; un creuset à émotions et à thématiques qui voit passer des myriades d’éléments en son creux le temps d’un album, mais dont la surface et le corps restent inchangés. Une musique qui évoque les splendeurs mythiques tout en demeurant humble et recueillie, sans tomber dans l’écueil de l’historicisme grossier et surfait.
Recueillement. C’est l’exact état d’être qui définit ce groupe. Austère, Sévère, vaste. Ambitieux, pourtant. Le black metal le plus traditionnel avoisine l’ambient « folklorique » (à défaut d’un autre terme plus juste), avec ces passages au violoncelle et à la viole survolés par l’extraordinaire voix de Marcel Dreckmann, solennelle et caverneuse. Tout entier chanté en vieil islandais, Saga A Tveim Tungum II: Eigi fjoll né firðir constitue le parèdre de la première partie de la saga narrée ici, celle d’Olaf Haraldsson, également connu sous le nom de Saint Olaf, premier roi chrétien de Norvège, baptisé en France et missionnaire évangélisateur du grand Nord. Une thématique forte, polarisante au sens premier du terme, puisqu’elle relate la fin des cultes anciens dans cette région glacée du monde.
Le sérieux légitime que porte le groupe à sa problématique se fait palpable tout au long de l’écoute. Le black metal d’Árstíðir lífsins longe parfois d’assez près les eaux du progressif, se permettant des structures imprévisibles, de longs passages évolutifs, et une certaine liberté générale dans la composition. Pour autant, il n’est jamais question de renoncer à la pertinence, ni bien sûr à l’émotion toute dénudée. Je ne vais pas m’amuser à vous citer des noms de piste en particulier, puisque l’album s’écoute en une seule et longue immersion ininterrompue. Sachez seulement que vous n’êtes jamais à l’abri d’un riff en trémolo-picking à fendre le cœur ou d’un break porté par les cordes acoustiques parfaitement poignantes. Le groupe ne joue jamais le tire-larme, mais dispense sa sobre émotion avec une généreuse parcimonie. Le dosage me parait d’ailleurs mieux établi que sur l’album précédent, un peu plus rude d’écoute. A l’image de sa pochette, finalement, Árstíðir lífsins livre une œuvre majoritairement sombre et ombrageuse, aduste même, mais infiniment capable de nuances et de teintes marquantes.
Un terme me vient en rédigeant cette chronique, c’est celui de musique de conservatoire. Non pas au sens rébarbatif ou pudibond, mais plutôt dans sa maîtrise. Tout est si parfaitement en place que l’on pourrait en venir à croire à un album froid, récitatif, manquant quelque peu de feu sous les gravures d’os. En vérité, le feu est bien présent, mais brûle lentement. N’attendez pas un éclat à la Moonsorrow ou à la Primordial, n’allez pas chercher la vigueur d’un Nokturnal Mortum. La comparaison serait plutôt à dénicher du côté d’un Belenos. La même flamme froide y brille, haute et fière, moins démonstratives que sa consœur, mais plus altière peut-être. Árstíðir lífsins, c’est ce haut vieillard drapé dans son manteau gris et râpé, qui ne vous offrira jamais rien d’autre qu’un silence hanté, mais paraîtra toujours plus noble et surtout plus durable que les ardents seigneurs qu’il côtoie.
Une heure et quatorze minutes, tout de même. Gros morceau, il faut bien l’admettre. Je ne dis pas que la première écoute sera la plus satisfaisante, ni celles qui suivront immédiatement. Il faut insister, laisser reposer, accepter que l’album vous impose son propre rythme. Ça n’est pas pour rien si cette chronique arrive plus d’un an après la sortie de l’album. Il y a de quoi se décourager par moment, l’attention peut rapidement se perdre en chemin en tentant de suivre cette piste ténue cachée sous la cendre. Pourtant, la cohérence remarquable finit par apparaître, et on prend irrémédiablement acte de l’amplitude déployée par le groupe. Rappelez-vous les dures astreintes auxquelles vous avez consenti autrefois pour Paysage d’Hiver, dont certaines longues démos ne se livraient qu’après beaucoup d’efforts. Et souvenez-vous qu’il s’agit là du genre d’œuvre qui demeure par la suite.
Árstíðir lífsins ne sera jamais un grand nom. Il est évidement appelé à rester cet outsider trop rigoureux et sévère par rapport à ses comparses. Pourtant, c’est en lui que reposent quelques-uns des plus grands accomplissements de ce black metal bien précis qui chante le Nord lointain et ancien. Il ne tente pas de le singer dans ses apparences, ni de le parodier en exagérant l’émotion, mais bien de l’évoquer, de l’invoquer même ; dans son fond et non en sa forme. Les atours passent, la trame demeure, intemporelle, apte à être sublimées en toutes ses expressions, tant que dévotion et exigences habitent les officiants.
L’écoute d’Árstíðir lífsins ne fera pas naître en vous des images de vikings conquérants ni de fjords glacés, pas même de forêts de conifères infinies ou de lentes brumes. A vrai dire, il n’associe aucune image à sa musique. Tout ce que ce groupe offre, c’est l’esprit, la sous-jacence. L’essence plutôt que la manifestation. Et comme toute œuvre de cette envergure, un pathei mathos est de mise pour profiter de sa richesse.
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