Janvier 2014, alors que l’année vient tout juste de débuter, que les compteurs ont été remis à zéro et que les prochains bilans ne se feront pas avant au moins trois cent soixante jours, Kampfar livre à l’occasion de son sixième album ce qui sera très certainement l’un des artworks les plus réussis de 2014. Pourtant, celui-ci n'est pas particulièrement récent puisque derrière ce travail absolument superbe se cache une composition du peintre polonais Zdzisław Beksiński datant de 1981! Et bien que cette œuvre soit totalement indépendante de celle de Kampfar, on peut tout de même y trouver une certaine continuité notamment par ce grand voile rouge qui servait déjà à illustrer la pochette du précédent album des Norvégiens.
Avec
Djevelmakt, Kampfar célèbre ainsi ses vingts ans de carrière. Une carrière qui s'est vu quelque peu chamboulée avec le passage de Dolk au chant (2003) et surtout le départ de Thomas (2010) même si, rétrospectivement, le groupe semble en avoir tiré profit. En effet, Kampfar connaît depuis
Kvass un succès grandissant, enchaînant les albums (de qualité) à un rythme plus ou moins régulier, tournant à travers toute l'Europe (si ce n'est pas davantage) et gagnant ainsi en visibilité (participation au Hellfest, signature sur Indie Recordings) sans perdre en authenticité.
Trois ans après l'excellent
Mare, Kampfar était évidemment attendu au tournant. En effet, difficile avec un parcours considéré comme irréprochable de ne pas finir par décevoir au bout d'un certain moment. Et bien que les amateurs se rassurent,
Djevelmakt s'annonce d'ors et déjà comme une réussite. Une réussite marquée par une certaine prise de risque puisque loin de se laisser aller à la facilité, Kampfar vient jouer ici les trouble fête en bousculant (légèrement) tous ceux qui les suivent depuis le début. On commence ainsi avec "Mylder", titre d'ouverture ambitieux qui pose d'emblée les bases d'un certain renouveau. Si Kampfar reste fidèle à cette idée d'un certain Pagan Black Metal qu'il a lui-même contribué à construire, il n'hésite pas à s'aventurer dans un registre souvent plus "touchy" qui n'a pas toujours fait l'unanimité. Dans le cas de "Mylder", il s'agit d'un refrain en voix claire légèrement écorché (1:47) dont la particularité est justement d'être très bien construit. Ce refrain vient ainsi contrebalancer l'agressivité des premiers riffs en introduisant une certaine coupure tout en conservant cette part d'ombre dans l'atmosphère. Kampfar récidive à 5:38 et fini d'achever l'auditeur avec ce même refrain irrésistible et pourtant si terrible. Cette recherche de mélodie se retrouve ainsi tout au long de
Djevelmakt à travers une instrumentation des plus riches: outre ce fameux refrain sur "Mylder", on peut également évoquer ce piano en guise d'introduction ainsi que cette flûte à 2:46 qui accompagne le break déjà évoqué, "Kujon", ces espèces de spoken words et surtout ces backings en chant clair assurés par Ask, "Blod, Eder Og Galle" et sa ritournelle médiévale (cordes et instruments à vent) reprise par les guitares (une mélodie peut-être un peu trop légère et donc pas forcément du meilleur effet) ainsi que son break appuyé par un synthétiseur, les riffs lumineux de "Swarm Norvegicus" et surtout ces chœurs orchestrales et quasi religieux en arrière plan, le piano omniprésent de "Fortapelse", la guitare acoustique de "Our Hounds, Our Legion" et bien entendu toute une série de riffs et de leads tournés, eux aussi, vers cette quête de la mélodie glacée et terrifiante.
Car si l'aspect mélodique de Kampfar semble ici décuplé, ni la noirceur ni l'efficacité brute de son propos ne sont mis une seule fois en défaut.
Djevelmakt est un album des plus redoutables dans son genre car plutôt aguicheur de prime abord (une production impeccable, un sens certain de la mélodie et du riff accrocheur...), il révèle petit à petit toute sa noirceur ainsi qu'une certaine mélancolie non pas romantique mais bel et bien funeste. C'est pourquoi les amateurs de Black Metal n'ont que peu de souci à se faire quant à l'efficacité de ce sixième album. Car si Kampfar sait y faire pour retranscrire en musique les croyances paganistes et la nature exigeante de cette belle et fière Norvège, il sait également taper du poing sur la table lorsqu'il le faut. Les blasts sont donc plutôt nombreux à l'écoute de
Djevelmakt dont le rythme varie entre mid tempo sournois (le long break de "Mylder", la seconde moitié de "Kujon", "Swarm Norvegicus", "Our Hounds, Our Legion") et séquences beaucoup plus rapides durant lesquelles les BPM s'affolent à raison. Une dynamique intéressante surtout face à des titres relativement longs (six minutes en moyenne). Des titres marqués par un riffing tout à fait exemplaire. Entre mélodies et agressivité, le travail d'Ole Hartvigsen (ex-Utumno) se révèle des plus intéressants ("Mylder", "Kujon", "Fortapelse" ou encore "Svarte Sjelers Salme" parmi les plus mémorables) notamment grâce à sa faculté à concilier dans un seul et même titre des ambiances totalement différentes ("Mylder" est encore ici l'exemple le plus parlant). Pour parfaire à ces atmosphères toujours très sombres, impossible de ne pas évoquer le chant âpre et rugueux de Dolk. Un chant toujours aussi glacial qui ne donne pas du tout envie de sourire.
Empreint d'un sens mélodique tout à fait remarquable, capable d'être agressif et violent même lorsque l'intensité descend d'un cran, Kampfar nous prouve avec
Djevelmakt que la passion continue de l'habiter, même après vingt ans d'une longue carrière. Du haut de ses quarante huit minutes, ce sixième album se dévoile assez rapidement mais ne perd absolument pas de son intérêt au fil des écoutes. Un gage de qualité pour un album estampillé Pagan Black Metal. Je vous parlais en début de chronique des futurs bilan de 2014, et bien il est déjà fort probable que
Djevelmakt en fasse partie.
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