Il est de ces entités dont l’élaboration s’explique par un ensemble d’influences aussi logiques, vu le contexte, que surprenantes. Malgré les apparences, Shape of Despair en fait partie, et s’inscrit totalement dans la démarche globale du metal des
nineties, à vouloir dépasser les bases posées dix ans plus tôt et s’enrichir d’autres courants. L’aventure commence en Finlande avec le nom de Raven en 1995, sous l’impulsion notamment du compositeur principal Jarno Salomaa. Très influencé par le black metal cru de l’époque et par le dark ambiant, mais aussi par les pionniers du funeral doom Thergothon, Skepticism et Unholy, la lourdeur de leur musique (ainsi qu’un doublon dans le catalogue de Spikefarm Records) les pousseront à se renommer Shape of Despair. Après quelques démos, en particulier
Alone in the Mist (non commercialisée à l’époque), le groupe entre en studio en décembre 1999 pour enregistrer son premier album full-lenght, reprenant d’ailleurs la plupart des titres de la démo précitée.
Et clairement, ce
Shades of… est le témoignage final de cette époque et de cette ambition musicale bien particulière pour le groupe, à la croisée des inspirations. Inspirations qui pourraient paraître évidentes en l’an 2000 avec le recul, mais c’est surtout leur combinaison qui permet un résultat si singulier. Shape of Despair s’inscrit bien dans le courant du funeral doom, sans aucun doute. Ce style de doom extrême, étiré et à l’intensité décuplée par le death metal, s’affirme ici de par un tempo et une absence de variation presque abusivement rare. Cinq morceaux pour pas loin d’une heure de musique, voici l’épreuve. L’influence des précurseurs du black metal atmosphérique tel que Burzum, revendiquée par le groupe, est palpable, avec ce son de guitare au grain très diffus et cette propension aux structures simples et linéaires. L’album présente ce qui pourrait bien s’assimiler à un riff unique où, à l’exception du sursaut rythmique de « Down into the Stream » qui reste bien lancinant, les inflexions viennent principalement du chant et des claviers. Les vocaux death metal très rugueux et profonds, bien que très posés, sont habilement et régulièrement contrebalancés par les vocalises célestes de Nathalie Koskinen. Les claviers sépulcraux, omniprésents, finissent de parfaire de manière très efficace cette ambiance éthérée, cette longue procession. Quelques lead ou discrets accompagnements acoustiques à la guitare, ainsi que la flûte, apportent cette touche forestière auquel le groupe semble si attaché à ses débuts.
Si Thergothon est né dans la poussière, rampant dans ses propres cendres, le regard tourné vers un horizon qu’il n’atteindra jamais, Shape of Despair déambule, marche dans la forêt, tranquillement. Cette sensation de se perdre dans une nuit éclairée par un fugace rayon de lune, désorienté, ayant perdu toute notion du temps, mais comme si la peur avait laissé sa place à une léthargie inquiétante seulement, est saisissante. Avec son atmosphère féerique et sylvestre, touchant à l’onirisme, et sa tendance plus prononcée pour la mélodie que ses modèles,
Shades of… pourrait se rapprocher de l’équivalent d’un
In the Nightside Eclipse dans la famille du doom. L’album, qui de par son étiquette se doit d’inspirer une profonde tristesse, en devient paisible et surtout terriblement envoûtant avec les écoutes. Mais alors qu’en est-il de Shape of Despair ? Version aguicheuse et superficielle ou véritable capacité à transcender le genre ? Quelle que soit la véritable réponse,
Shades of… peut se présenter comme une très, très belle porte d’entrée au genre, tant les morceaux forts se suivent ici sans faiblesses. La fameuse introduction en
fade in de « …in the Mist » instaure d’emblée des températures glaciales, comme le ferait le début d’une marche funèbre à travers un blizzard impénétrable. Le terrible « Woundheir » prolonge sans effort cet hiver musical où tout se ralenti, tout est sombre et morne… Un titre comme « Shadowed Dreams » représente peut-être l’apogée de cette élévation étrange, tant le titre touche à quelque de chose de relaxant pour un genre comme le metal. Il ne manquera plus qu’à « Sylvan Night » de conclure avec ses chœurs fantomatiques du plus bel effet pour laisser l’auditeur dans un état hypnagogique, quelque part entre la conscience et le sommeil.
Avec ce
Shades of… , Shape of Despair présente un premier essai extrêmement impressionnant, si abouti même qu’il passe déjà assez près de la mention « chef-d’œuvre ». Ce qui évite à un tel disque de faire sombrer l’auditeur dans l’ennui est sans doute la partie la plus difficile à saisir et encore plus à quantifier, à savoir cette ambiance unique, incroyablement hypnotique, qui confirme la nature profondément abstraite mais aussi subjective de cette musique. D’ailleurs unique au point que
Shades of… restera incomparable dans la discographie des Finlandais, le groupe empruntant dès son second album, le mémorable
Angels of Distress, une voie assez différente. Demeure un opus singulier, habité, au charme qui n’a pas fini de fasciner.
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