Serpent Noir - Erotomysticism
Chronique
Serpent Noir Erotomysticism
Une chose est sûre en ce qui concerne les amateurs de Black Metal torturé et dissonant, leur écurie phare Daemon Worship Productions est en perdition. Quid du squad russo-américain depuis le retentissant succès de « Flesh Cathedral » en 2012 ? Pas grand chose si l'on excepte un Wormlust sauvant le naufrage des autres sorties du label (Nefandus, Ishratoum...) et les quelques extras d'un Nightbringer amical avec ceux qui l'ont soutenu mais désormais bien trop imposant pour se limiter aux seules sorties de petite envergure proposée par DWP. Deuxième constat qui n'est pas des plus rassurants : la vague orthodoxe s'enlise tout de même sérieusement, remplacée dans les cœurs par le Post-Black tendu et mélodique. En résumé, on ne peut plus compter que sur quelques pointures qui assurent quelques disques épisodiquement (Nightbringer, Ascension, Svartidaudi...) et oublier bien vite les groupes qui fleurissaient encore en nombre conséquent il y a quatre ou cinq ans.
Viktor, la dévouée tête pensante de Daemon Worship a semble-t-il pris en compte ces nouveautés et tente donc de remettre sur les rails son label définitivement ancré dans un sous-genre du Black Metal en perdition... Un coup de Poker façon « quitte ou double » qui vient finalement d'un groupe fréquentant depuis longtemps le rooster du label : Serpent Noir. Une formation grecque que j'avais découvert sur un « Sanguis XI » pas vraiment passionnant. On sent bien toute la pression derrière ce « Erotomysticism » : réaliser un succès d'estime, s'ouvrir à de nouvelles influences et renouer avec le succès via une sortie atypique, proposant une forte personnalité, bien loin des dernières offrandes facilement résumée en « lambda ». Et Yiannis K., la tête pensante du combo a su s'entourer pour sortir ce deuxième full-lenght en Avril dernier. Il s'est même composé un line-up visant à satisfaire ses ambitions : Mika Belfagor d'Ofermod, Cain Letifer d'Acrimonious et Kostas K. d'Embrace Of Thorns. Un coup de fouet au petit groupe Grec qui tente visiblement de devenir grand.
Pour tout vous dire, « Erotomysticism » est indubitablement un disque bizarre. Les deux pieds plantés dans une terre-glaise orthodoxe qui délivre ses arpèges dissonants, il tente toutefois de s'en extirper au travers d'envolées presque Cold-Wave/Post-Punk. Production grouillante, sonorités de garage et guitares clean en mode « Chorus + Delay » délivrant des mélodies inspirées des années quatre-vingts, le tout augmenté d'une ambiance carrément orientale (« Ayahuasca » aux allures de ritualisme confidentiel et millénaire). C'est sûr, on sera surpris par ce disque qui dès les deux premiers morceaux (« Path Of The Raven » / « The Venerable Red Dragon ») enchaîne une introduction aux chants orientaux et un riff très binaire surplombé de mélodies étranges, aquatiques comme représentantes officielles d'un fleuve coulant tranquillement.
Peu de Blasts ici, tout juste quelques instants éparpillés au milieu de l'album (en plein milieu du titre « Al Runa » par exemple). Serpent Noir a décidé de privilégier les ambiances, ce qui est un parti qui me laisse relativement pantois. Je suis partagé entre de très bonnes idées (le final d' « Ayin » est proprement excellent, avec ses mélodies d'extrême orient rappelant un passé Persique greffées sur un Black Metal Orthodoxe de grande qualité) et des choses qui me font hurler : Non ! Non, par exemple, à ce riff ridicule au début de « Desert Of Azazel » qui dessert complètement l'ambiance instaurée par les autres compositions. Qui fait encore ce genre de trucs en 2015 sincèrement ? La production arrive un peu à redresser la barre en évitant à ce genre d'âneries de paraître sur-produites mais cela dit, c'est quand même complètement à la ramasse...
On oscille donc entre très bons choix qui subliment la musique du groupe, apportent une patte personnelle splendide (« The Dioscuri Of Darkness ») et moments complètement fadasses voire ridicules qui donnent juste envie de rigoler un bon coup ( « Desert of Azazel » décidément... Les chants mon dieu, et les claviers...). « Erotomysticism » et sa pochette bleutée a donc sévèrement le cul entre deux chaises : celle de l'innovation qui sied carrément bien aux idées de Yiannis K. et celle – rétrograde – d'un héritage Thrashouillo-Black qui fait chuter l'atmosphère du disque. Dommage tout de même, on ne peut s'empêcher de rager au vu du plein potentiel de ce disque qui – s'il avait été retravaillé et abouti dans une optique visant à développer son concept – aurait pu marquer la scène Black au fer rouge. Un titre d'ambiance comme « The Initiative Of A'arab Zaraq » est quand même gage d'une certaine application dans les compositions et le choix des thèmes du disque, mais il est malheureusement ruiné par des futilités insérées ici ou là...
L'effort de créativité mérite d'être salué. Et cet album de Serpent Noir est à conseiller, ne serait-ce que pour ses quelques moments de gloire disséminés ça et là. Néanmoins, « Erotomysticism » reste frustrant de part la redondance des problèmes qui y font leur apparition. Un très bon brouillon qui – s'il fait ressortir des points hautement négatifs – donne toutefois la certitude de la progression du combo et l'espoir de voir arriver un album intégralement réussi.
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