D'aussi loin que je me souvienne, DÉLUGE a toujours eu un fort impact sur moi. Peut-être que la proximité géographique de la formation avec la mienne accentuait un peu ce ressenti mais je me suis toujours retrouvé dans l'ambiance proposée par les Lorrains. Dès mon premier contact avec l'univers visuel du groupe, illustré au départ par le clip de « Mélas | Khôlé » et de « Houle », j'ai retrouvé ce qui me plaît dans le Black Metal et aussi dans le Screamo. Ces plans épileptiques de chaumes vosgiennes et de visages féminins. Je ne sais pas vraiment l'expliquer mais ça parlait avec la langue universelle à mon moi enfoui depuis bien longtemps. Comme si je retrouvais une partie de mes souvenirs d'enfance oubliés.
Si vous voulez tout savoir, il y a d'ailleurs plus qu'une proximité géographique entre moi et DÉLUGE, puisqu'un membre du groupe est une connaissance issue du même village que moi – Le Tholy, que je vais citer juste parce que Le Tholy n'est jamais cité nulle part - et que le photographe qui s'est occupé des photographies du groupe est également une personnalité connue pour moi, exposant souvent au Grattoir de Gérardmer et ami de mon paternel, dont le travail est d'ailleurs plus que recommandable si vous aimez les paysages torturés. Alors, si je dis ça, ce n'est pas pour faire dans le racontar sur la scène Black/Hardcore de toute façon bien assez intestine pour que chacun puisse connaître de loin X ou Y dans telle formation locale. Même si cela fait toujours plaisir d'écrire quelques lignes sur des gens que l'on situe, je crois surtout que cette proximité a joué un rôle conscient dans les atmosphères évoquées au premier paragraphe. Des émotions confirmées à l'écoute de ce premier opus intitulé « Æther » et disponible chez Les Acteurs De L'Ombre.
Pour faire un tant soit peu dans l'objectif et ne pas m'étaler plus sur ma vie personnelle, une chose est simple et vraie à propos de ce disque : DÉLUGE va enterrer sans problème toute la concurrence Black / Atmo / Post de 2015. Enchaîner un disque dans son intégralité des dizaines de fois est une chose qui ne m'était pas arrivé depuis l'album de
VI qui officie clairement dans un genre différent (bon Dieu, que ça va être dur de choisir entre les deux pour le titre d'album de l'année). Dans ce type de Black Metal ambiancé, la dernière facilité à l'écoute intégrale d'un disque remonte au
« Sunbather » de ceux-dont-on-doit-pas-prononcer-le-nom.
Mais au delà de ces simples constats que n'importe quel amateur du genre sera à même de confirmer, il ne faudrait surtout pas réduire « Æther » à une vulgaire performance. Cet album est tout d'abord un savant cocktail entre une violence faite de réalité crue, d'un marasme ambiant difficilement évitable et qui vient à nous troubler dans l'écoute. Je me remémore sur les blasts-beats d'« Avalanche » ces jours de pluie dans les forêts vosgiennes, cette odeur de terre trempée et d'humus pourrissant. Ces passages les plus directs font exactement le même effet que les gouttes d'eau heurtant votre visage quand il pleut avec force et que vous faites du vélo/de la mobylette/de la moto. Ces petits piques de douleurs épars qui frappent avec précision vos jambes, vos bras et finissent par vous provoquer des fourmis un peu partout. Ou encore ce fameux moment ou vous rentrez votre coude dans un coin de meuble pointu et que vous sentez votre bras endolori, comme si l'on avait évacué toute sa force. Telle est la violence contenue dans DÉLUGE, puissante, brève et épidermique.
Mais ce déchaînement de dureté est contre-balancé par des instants de toute beauté. On citera l'incroyable « Klartraumer » ou encore « Appâts » qui possède lui aussi des arguments plus que convaincants. On est alors immédiatement projeté dans une sphère émotionnelle fleurant clairement la mélancolie, la tristesse, la nostalgie. Nous ne sommes pas dans le regret des ancêtres inhérent au Pagan car dans ce cas de figure, nous somme dans la nostalgie et dans son sens le plus noble. Cette sensation du départ, qui vous remue l'intérieur et vous rappelle le goût de l'oseille que vous mâchouilliez gamin, le toucher du meuble en bois massif de votre grand-mère, l'eau du lac de montagne quand vous buviez la tasse, l'odeur de l'herbe coupée voire celle de l'herbe fumée (ça, ça dépend de vous, moi je ne connais pas votre adolescence....).
« Contemplatif », mon mot préféré en ce qui concerne la musique que je qualifie d'émouvante est en droit d'être lâché. On se retrouve dans une ambiance de tristesse rampante, sublimée au cinéma par des films comme « In The Mood For Love », « Adieu ma Concubine » ou « Ivres de Femmes et de Peinture ». On pourrait continuer longtemps, citer « Shinsekai Yori – From The New World » ou la rudesse de la vie, du viol et des larmes côtoie l'enchantement fantastique. Citer « Hyôka » ou les trépidations d'un jeune lycéen détaché des êtres humains mais pourtant hyper-sensible aux beautés naturelles. Citer « Colorful » ou les hésitations colorées de la vie après la mort et des familles dissolues. Citer « Mushishi », observer les recoins de nature, mystifier les objets, les âmes. Oui, on voit un peu de tout ça dans « Æther ». Et peu importe, vous y verrez finalement un peu tout ce que vous voulez y voir.
Il serait dommage de résumé DELUGE a une liste de comparaisons musicales aussi justifiées soit-elle. Bien sûr qu'on y entendra du Deafheaven, du Celeste, du Pianos Become The Teeth, du La Dispute, du Envy, du Lantlôs... L'important n'est pas ce que les Lorrains ont écoutés mais bel et bien ce qu'ils ont produit. On ressort de ce disque avec l'impression d'avoir écouter un disque de Black Metal taillé dans un costume Saint-Laurent. On y retrouve les sensations naturelles et rêveuses présentes dans les prémices du genre mais habillées avec une classe totalement novatrice. « Æther » est touchant, beau à pleurer, violent, torturé, tour à tour splendide et désespéré. Et surtout, indépendamment d'un feeling régional et paysagé qui est légèrement légion dans cette chronique et dans mon ressenti, je suis prêt à parier que n'importe qui y verra quelque chose de différent. Cette différence d'appréciation sera pourtant le vecteur d'un point commun chez tous les auditeurs, le fait de faire mouche immédiatement et de parler au cœur, plutôt qu'au cerveau. On a coutume de dire qu'après le déluge, il n'y avait plus rien. Et pourtant ce disque nous donne l'envie de clamer : « c'était avant qu'il n'y avait rien ».
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