On l'attendait au tournant, le retour de ces américains enragés, fiers défenseurs d'un Grindcore aux relents tantôt croûteux, tantôt très Punk, soucieux de ne jamais faire de compromis. Comprenez, six ans qu'on voulait un digne successeur à leur album éponyme, dont le jaune vif de la pochette était aussi mémorable que le pugilat sonore commis par le trio. La hâte des fans fut aussi bien suscitée par le changement d'écurie de Magrudergrind, passant entre les mains des parrains de Relapse Records : l'échec, ou tout simplement le doute, n'était pas permis.
Surtout lorsque l'on se repenche sur la riche discographie du combo, émaillée de nombreux coups d'éclat :
"Magrudergrind", sommet de Grindcore s'il en est,
"Rehashed" à la production aussi approximative que les compositions n'étaient véloces,
"Sixty Two Trax of Thrash" et son heure de Powerviolence hystérique... L'ensemble est cohérent, donne l'impression d'un travail fait avec passion, un peu amateur parfois, mais toujours avec la hargne et les tripes. Passer chez Relapse, c'est la consécration d'un groupe du genre - on ne présente plus le label ni le
roster tant ce dernier parle pour lui. Mais, dans le cas Magrudergrind, la transition a peut-être été un peu difficile.
Car le Grindcore reste un cas permanent de
"tout ou rien". Ou l'on envoie toute la rage que l'on a dans le ventre dans une cacophonie de blast-beats furieux et de hurlements d'écorché vif, ou l'on fait le parti des compositions plus tortueuses et techniques (à la manière d'un Antigama, dont j'aurai l'occasion de parler sous peu), de mélanger les genres et les styles. Mais il n'y a pas d'entre-deux possible. Pas dans un genre aussi répétitif que le Grindcore. Pour accrocher l'auditeur du début jusqu'à la fin d'une galette du genre, pas de recette miracle : format court, compositions simples, efficacité avant tout. Agathocles n'a bâti ni sa réputation, ni son succès, sur des soli d'un quart d'heure. Pas plus que l'album
"Magrudergrind", d'ailleurs : je me souviens, comme vous, d'avoir ramassé mes dents après sa découverte tant la claque était grande. Malheureusement, sur ce "II", le bilan est clairement plus mitigé.
La faute à la production, pour commencer. Le "trop propre" nuit clairement au Grindcore. Si
"Rehashed" était vraiment trop brouillon, l'entredeux parfait avait été atteint sur l'album éponyme. "II" possède un son exceptionnellement bon : batterie chaude et organique, caisse claire épaisse, un mur de guitares grasses, une voix mixée à peine plus en retrait que d'habitude. Oui, mais... Quid de cette caisse claire et de ses frappes extrêmement sèches, de ces cymbales à peine retravaillées en studio, de cette voix qui sature, de ces six-cordes abrasives ? Si le son de ce "II" reste exemplaire pour un disque de musique extrême, je préfère quand mon Grindcore sonne de façon plus approximative. Ainsi, il colle bien mieux à l'image même que je m'en fais : une musique de garage, de squat, jouée par des musiciens qui compensent leur technique par une énergie démesurée. Dans le cas de "II", la production est handicapante pour les compositions elles-mêmes : lors des passages blastés, on ne comprend pas grand chose à ce qui se passe tant le couple caisse claire/grosse caisse prend de la place dans l'espace sonore ("The Opportunist"). On gagne en propreté (la production est parfaite sur les parties lentes), mais on perd en personnalité.
Plus que la production, "II" me donne la désagréable impression que Magrudergrind a grandi un peu trop vite. Six ans, c'est tout de même un sacré laps de temps. On a le temps de mûrir. Le trio est passé de l'enfance hyperactive ou l'on troque sa Ritaline contre des céréales bourrées de sucre à une fin d'adolescence ou l'on arrive à contrôler ses sautes d'humeur et ses colères. Non, Magrudergrind n'a pas sorti un "Arc" à la Agoraphobic Nosebleed. Les explosions furieuses sont toujours de la partie ("Regressive Agenda", ou encore "Pharmacide"), mais elles se retrouvent presque minoritaires face à l'omniprésence des
d-beats et du mid-tempo. "II" est le disque le plus Punk de Magrudergrind, là ou je venais y chercher une ogive Grindcore. La majorité des titres sont plus lents, plus cadencés. Si certains sont excellents, tel "Black Banner" et sa rythmique implacable soutenant un riffing à la Terrorizer, ou encore "Stale Affairs", construit pour la scène, d'autres sont un peu plus maladroits - je pense notamment au break de "Sacrifical Hire", qui, même s'il est dans les temps, est un pont sacrément branlant. Les déflagrations sont maîtrisées, trop sages, trop policées, là ou j'espérais retrouver une folie et une urgence dignes des plus belles heures de
"Sixty Two Trax of Thrash". La faute à Relapse ? L'envie du trio de Columbia d'évoluer ? Les samples complètement absents des compositions et l'envie de proposer des titres plus "équilibrés" me font clairement pencher pour la seconde option.
C'est dommage. Car "II" est un bon disque de musique extrême, on ne pourra pas soutenir le contraire. Il est bien produit, bien exécuté, comporte de très bonnes idées. Pour n'importe quel autre groupe, "II" aurait été proprement excellent. Placé dans le contexte d'une discographie fournie, il souffre fatalement de la comparaison avec ses aînés. Pour moi, "II" ne tient pas la distance, pas plus que la cadence, face à des mètres-étalon tels que
"Magrudergrind" ou
"Sixty Two Trax of Thrash". Pas de violence débridée, mais des accélérations judicieusement contrôlées et dosées. Pourtant de la même durée que son grand frère le plus proche, "II" souffre de trop de longueurs et de passages à vide. Il n'est en tout cas pas à la hauteur de ce qu'a pu nous proposer Magrudergrind par le passé.
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