Alkerdeel - Lede
Chronique
Alkerdeel Lede
Aujourd'hui, on va faire les choses différemment. Pensez donc, Alkerdeel, groupe belge surveillé depuis quelque temps déjà par certains de ce site (la chair de Satan et le meuble de Suède, qui ont eu la belle surprise de le découvrir coincé entre deux groupes de Beatdown au Ieper Winter Fest en 2013), sort ENFIN l'album que l'on attendait de lui ! Un disque pleinement à la mesure de cette aura intrigante qui habite les Flamands, amateurs de Black Metal joué à l'arraché et portant fièrement les ambiances ternes et urbaines de leur contrée, où la bière est chaude, le rire triste et le dos courbé par la pluie. Il ne pouvaient en être autrement : c'est à six mains que s'écrira cette chronique, à commencer par celles de notre Sagamore bien-aimé (malgré son fanatisme pour Terra Tenebrosa – personne n'est parfait). (Ikea)
A l’exception de mes (estimés) collègues, je ne connaissais Alkerdeel ni en noir, ni en blanc. Inconnu au bataillon. C’est attiré par le jaune maladif de la pochette de ce Lede, et par la trivialité de ce Diable au sourire narquois que je suis entré dans l’univers des Belges. Ce que j’y ai découvert m’a séduit par sa saleté et son danger. Lede, à l’image de la discographie entière du combo, n’est pas un énième disque de Black classique. Alkerdeel mélange les genres peu recommandables pour les oreilles chastes, comme il mélangerait les alcools les plus forts dans le seul but de se saouler le plus vite possible. Lede est un pot-pourri de ce qui se fait de plus lourd, et de plus dur à digérer, laisse la gueule de bois, la bouche pâteuse et la nausée. Lendemain de soirée où l’on aurait un peu trop forcé sur la boisson, retranscrit à merveille (ou plutôt, au cauchemar) par cette production pesante, où le tintamarre ambiant est à peine percé par ces cymbales criardes, et l’organe, rongé par la cirrhose, de notre compagnon de beuverie du jour. Il est l’histoire d’une soirée trop arrosée. Ainsi, les trois premiers mouvements de Lede agissent comme cet instant où l’on boit le verre de trop : la vision se trouble, notre esprit s’embrouille (à l’image de ce sample de l’excellent Martyrs qui rythme la deuxième piste, en forme de brouillard de basse fantôme et de tremolo-picking), on titube, on chancelle au milieu du PMU du coin, comme cette batterie qui blaste sans se soucier de marquer tous les temps. Lede sait se faire aussi fédérateur que peut l’être l’alcool : le morceau éponyme et ses rythmes irrésistiblement punk évoquent ces hymnes de pilier de comptoir que l’on hurle à gorge déployée après la fermeture, entre deux flaques de vomi fluorescent. « Gråt Deleenaf », lui, c’est l’alcool mauvais. L’instant où tout bascule. Les premières minutes ne sont que bourdonnement, menace grondante, le sang nous monte à la tête. On se remémore les coups durs, on pleure un bon coup, notre cerveau, attaqué par les vapeurs des spiritueux plus ou moins fins, refuse l’optimisme. Les signaux d’alarme, qui couinent en arrière-plan du quart d’heure que dure le titre, finissent de nous engourdir. Abrutissant, répétitif, hypnotique, le dernier titre n’est qu’une longue plainte à peine rythmée par les hurlements de folie de Pede. Vaincus par les liqueurs et les spiritueux, on s’écroule et l’on expire, le titre s’achève sur des larsens qu’Alkerdeel laisse doucement mourir. Lede donne immanquablement la gueule de bois. Il étourdit par son ambiance pesante et sait frapper là où nous nous y attendons le moins. Grivois comme une plaisanterie échangée entre deux pintes, crasseux comme le sol d’un bouge mal famé, gras comme les amuse-gueules que l’on avale par poignées pour éponger l’alcool ingéré, et traître comme un mélange. Finalement, le Diable de la pochette, nous pétant littéralement à la figure, n’est que le reflet de ce pote un peu lourdingue qui attendra que nous basculions dans l’inconscience pour s’amuser à nos dépens. « Torchon, chiffon, carpette », comme disait l’autre. (Sagamore)
Personnellement, il aura fallu attendre la sortie de Morinde (2012), second album des Belges, pour entendre parler de cette formation. Une rencontre qui s’était d’ailleurs faite dans la douleur – ayant eu du mal à apprécier ce longue-durée à la première écoute, la faute à des passages au rythme peu soutenu et la grosse touche punk – mais qui au fil du temps et avec un peu de persévérance avait su faire son chemin. La plongée dans l’univers fût donc plutôt rude, déchiffrant peu à peu les ténèbres de Alkerdeel. Et c'est en PLS que je fis tourner Lede, paru une nouvelle fois via Consouling Sounds. Déclinant un artwork toujours aussi sobre mais efficace – avec des couleurs claquantes –, le « choc » auquel je m'attendais n'a pas eu lieu, bien au contraire ! Pourtant la patte de la formation est aisément reconnaissable avec des relents punk et noise, un aspect tant crade que terne – le morceau-titre renvoyant au deuxième longue-durée – mais l'ensemble est ici plus frontal et percutant. Dès « Regardez Ses Yeux I » (première partie du triptyque valant à lui seul l'acquisition de cet album), les musiciens haussent le ton avec des sonorités très abrasives, un côté black metal plus prédominant ainsi que des lignes de basse totalement folles, digne d'un Fenriz période Kronet til konge. Vous l'aurez donc deviné, la folie propre aux Belges est toujours présente sur ce dernier-né. Une folie plus contrôlée et intelligemment construite avec des samples (« Regardez Ses Yeux II ») et arrangements prenants, se dévoilant au gré du temps. La dernière longue composition « Gråt Deleenaf » – qui n'est autre que « SHSRR » tiré du split Nihil (2014), remanié pour l'occasion par Mories (Gnaw Their Tongues, Seirom,...) et avec un bassiste en grande forme – en est le meilleur exemple. Cauchemardesque et brumeuse à souhait, cette dernière vous achève définitivement de façon lente et douloureuse tel un tueur en série sadique. Toutefois à l'absurde et l'horreur viennent se greffer des notes plus irréelles et subtiles, donnant une aura maléfique à cette œuvre. En effet, si je ne partageais pas totalement l'avis d'un ancien de Thrashocore, force est de constater qu'il flotte une odeur de soufre sur Lede comme vous pouvez l'entendre sur le très bon « Regardez Ses Yeux III » ou encore le titre de clôture (tous deux assez old-school dans l'âme). Un fait qui prend un peu plus corps avec le recul, à la vue de la pochette ainsi que de la petite scénette sans parole – en format bande dessinée – incluse dans le livret. Un mélange harmonieux et addictif qui signe une belle montée en puissance de Alkerdeel, me concernant ! (Dysthymie)
Difficile de passer après les dithyrambes de mes deux collègues sans rabâcher ce qu'ils ont pu dire. Effectivement doté d'une ambiance à la fois explicitement black metal (c'est-à-dire grotesque et punk) et propre à lui-même, Lede réinstaure la Belgique comme pays où chercher son shot d'extrémisme terne, fou-à-lier autant que jouissif. Comme dit plus haut, Alkerdeel a sorti le disque que l'on attendait de lui – mais cela ne veut pas dire qu'il est parfait pour autant. Car, sans invalider les avis de mes deux collègues, son éthylisme s'étiole avec le temps, en raison d'un léger déséquilibre entre une grosse première moitié ravageuse (le triptyque « Regardez Ses Yeux ») et une suite ne gagnant pas tout à fait par ses détours ce qu'elle perd en tension. Dommage, cela faisant que, une fois la baffe des premières écoutes passées, ce nouvel album n'est pas encore celui par lequel les Belges écraseront toute concurrence sur le marché des fûts. Cependant, inutile de jouer plus que nécessaire les rabat-joies : amer, opaque et pourtant crépitant, Lede est un indispensable de cette année pour qui apprécie éteindre toutes ses lumières intérieures quelques instants et se sentir vidé de tout, sauf d'un appétit prêt à engloutir tout ce qui est sain et bon pour le déféquer à la face des bonnes gens. Incontestablement une réussite ! (Ikea)
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