Deux ans après un
Born To Expire qui aura bouleversé toute la scène Hardcore new-yorkaise (et bien plus encore), Leeway fait son grand retour avec la sortie en avril 1991 de
Desperate Measures, l’album le plus flamboyant de toute sa carrière. Durant ce lapse de temps qui sépare ces deux albums, le groupe va néanmoins devoir faire face à quelques changements de line-up suite aux départs de Zowie Ackermann (basse) et Tony Fontao (batterie). Ces derniers seront remplacés par Jimmy Xanthos et surtout Jimmy "Pokey" Mo (Cro-Mags, Both Worlds, Agnostic Front...), un petit gars à l’air espiègle qui, grâce à un jeu subtile et décontracté, va apporter à Leeway ce groove irrésistible qui va faire de
Desperate Measures l’un des disques de Thrash/Hardcore/Crossover les plus catchy jamais sorti.
En dépit du peu de soutien accordé depuis le départ par son propre label, le groupe n’a pas d’autre choix que d’honorer son contrat avec Profile Records. C’est donc une fois de plus avec un retard colossal que paraît ce deuxième album. Et là encore, il faudra attendre 2014 et 2015 pour le voir rééditer comme il se doit. D’abord par le label brésilien Marquee Records puis par les Belges de Reality Records. C’est une fois de plus de cette dernière réédition dont il est question ici. Cependant, et contrairement à celle de
Born To Expire dont l’artwork original est peu ou prou conservé, je ne comprends pas pourquoi le label a trouvé judicieux de changer ici la couleur ? Je l’aimais bien moi ce jaune/vert caca d’oie... Pour le reste, même traitement que son aîné à savoir un remastering complet, l’ajout de nombreuses photos d’époque, quelques notes/anecdotes signées Carlos Ramirez (NoEcho.net), Gary Bennett (Kill Your Idols), Craig Silverman (Slapshot, Only Living Witness, Blood For Blood), Trivikrama Dasa (108), Riggs (Madball, Hatebreed, Skarhead) et Dan Lilker (Nuclear Assault, Brutal Truth) ainsi qu’une tripotée de titres live (huit) enregistrés cette fois-ci à JC Staddijk (Hollande) en 1991.
Bien qu’enregistré une fois de plus au Normandy Sound Studio en compagnie de la même équipe de techniciens (dont un certain Jamie Locke qui produira quelques années plus tard les premiers albums de Madball, Kickback, Deviate et Vision Of Disorder), la production de ce
Desperate Measures fait un sérieux bon en avant. Pourtant, beaucoup auront reproché à cet album sa production trop "Metal" et quelque peu déséquilibrée avec notamment le chant d’Eddie Sutton exagérément mis en avant. Je ne sais pas si le remastering opéré dans le cadre de cette réédition à quelque peu lissé cette impression, toujours est-il que ce n’est pas quelque chose qui me dérange à l’écoute de ce deuxième album. Au contraire, le chant mélodique et pourtant rageur d’Eddie Sutton étant clairement l’un des points forts de Leeway, il me parait plutôt judicieux d’y mettre l’emphase. Un choix pertinent donc et qui surtout ne s’est pas fait au détriment des autres instruments, bien au contraire. Que ce soit les guitares d’A.J. Novello et Michael Gibbons, la basse de Jimmy Xanthos ou la batterie de Jimmy "Pokey" Mo, chacun y trouve naturellement sa place pour un résultat effectivement plus proche des standards de la scène "Thrash" mais avant tout beaucoup plus nerveux et abrasif.
Une production qui a aujourd’hui bien mieux vieillit (même si, encore une fois, le remastering a très certainement corrigé les effets indésirables de l’âge) et qui va venir servir dix nouvelles compositions globalement plus abouties, se voulant le reflet d’une personnalité désormais pleinement assumée. Certes, la formule déployée sur
Desperates Measures n’est pas vraiment différente de celle utilisée sur
Born To Expire, simplement les titres sont dans l’ensemble bien plus travaillés et surtout encore un peu plus catchy qu’auparavant. Et j’y vois à cela trois raisons principales naturellement liées les unes aux autres :
- L’arrivée dans les rangs de la formation new-yorkaise de Jimmy "Pokey" Mo.
- L’utilisation de séquences mid-tempo beaucoup plus nombreuses.
- Un riffing Thrash qui la joue racaille.
Effectivement, il est clair à l’écoute de ce deuxième album que le jeu de Pokey a su apporter une toute autre dimension au Thrash/Hardcore/Crossover de Leeway. Et pour s’en rendre compte pas besoin d’aller bien loin, il suffit de prêter attention aux toutes premières mesures de "Make Me An Offer" où l’on peut d’emblée apprécier son jeu léger et aérien et ce rythme chaloupé qui donne irrésistiblement envie de remuer, la tête, les épaules et tout le reste d’ailleurs. Et des moments comme celui-là, il y en a plein d’autres sur
Desperate Measures à l’image de ce break sur "All About Dope" à 3:03, de cette première partie de "Kingpin", du redoutable et hyper addictif "Who’s To Blame" qui a bien du tourner une cinquantaine de fois rien que cette semaine, le très funky "Two Minutes Warning"... Et si le reste du temps, il se fait plus discret, il n’en reste pas moins le batteur qu’il fallait à Leeway pour véritablement décoller.
Avec deux titres de moins que
Born To Expire,
Desperate Measures est pourtant plus long de quelques minutes. Là où le premier album de Leeway se voulait direct et « in your face », celui-ci se montre plus nuancé, avec des titres souvent un peu plus longs sur lesquels on trouve de nombreuses séquences mid-tempo jouant elles aussi de ce groove irrésistible. De "Make Me An Offer" et ses airs de Metallica avec ce riffing à la "Ride The Ligthning" à "All About Dope", sa première moitié toute posée et son break incroyable en passant par "Kingpin", l’hymne de toute une génération de hardcore kids new-yorkais ou bien encore l’entêtant et tubesque "Who’s To Blame"... Autant de moments durant lesquels vous arpenterez votre salon de long en large, la tête baissée, les épaules ramassées en attendant le moment où exploser (quiconque s’est déjà rendu à un concert de Hardcore digne de ce nom sait de quoi je parle).
Enfin, il y a également ces riffs Thrash teigneux composés à l’abri des regards en survêtement Sergio Tacchini et Nike Air Max TN (ou Requin). Ça racaille tellement (l’introduction et la conclusion de "Make Me An Offer", le break de "All About Dope", le break de "Stand For" à 1:42, "No Heroes" à 2:29, les riffs de "Kingpin" et de "Who’s To Blame"...) qu’il n’y a même pas à se demander où des groupes comme Merauder, Madball, Crown Of Thornz et plus récemment Mizery, Twitching Tongues ou God’s Hate sont allés chercher leur inspiration.
Un groove qui vient trouver place à côté de titres bien plus directs et incisifs à l’esprit Punk/Hardcore redoutable. "Soft Way Out", "Stand For", "No Heroes", "Ball Hugger", autant de brûlots à la dynamique Thrash redoutable d’efficacité qui grâce à ces riffs rapides, ces nombreux solos et ces séances de tchouka tchouka endiablées viennent rompre avec ces séquences orientées mid-tempo évoquées un peu plus haut. Enfin, comme sur
Born To Expire avec le titre "Catholic High School (Girls In Trouble)", Leeway vient s’essayer une fois de plus à un mélange Rock/Funk/Rap plutôt sympathique "Two Minutes Warning" faisant ainsi office d’interlude plutôt réussi.
Concernant les quelques bonus dispensés dans le cadre de cette réédition, il s’agit de titre live enregistrée en Hollande en 1991. Comparativement à ceux présents sur la réédition de
Born To Expire, le son y est tout de même bien meilleur en dépit de quelques petits couacs techniques. Pour couronner le tout on peut même y entendre le public répondre aux invectives d’un Eddie Sutton bien décidé à faire bouger les foules ("Who’s To Blame"). Ceci étant, ce n’est pas ce qui me fera changer d’avis sur l’intérêt des enregistrements live que je trouve la plupart du temps inutiles et inintéressants. Même si dans le cas présent, ces quelques titres attestent de l’énergie déployée sur scène par Leeway, je préfère systématiquement me tourner vers les titres studio que je trouve (évidemment) bien plus efficaces.
Au sein de la discographie de Leeway,
Desperate Measures est sans contestation possible mon album préféré. Il possède ce charme indéniable des années 90, n’a pas pris une seule ride aujourd’hui (malgré la production et cette réverb un poil trop prononcée), témoigne d’une époque remarquable pour toute la scène Hardcore et contient les titres les plus catchy de Leeway. Malheureusement, la suite sera un peu moins enthousiasmante. Problème de line-up, reconnaissance plutôt limitée, orientations musicale hasardeuse... Mais c’est un sujet que l’on abordera une prochaine fois lorsque Reality Records aura fait la paix avec son calendrier et ainsi rattrapé son retard (ces rééditions sont annoncées effectivement depuis belle lurette et pourtant elles n’arrivent qu’au compte-goutte). Bref, si vous appréciez un tant soit peu le Hardcore, que vous souhaitez approfondir le genre et poser vos oreilles sur ces groupes qui ont aidé à façonner l’une des chapelles les plus emblématiques (le NYHC donc) et que vous n’êtes pas réfractaires au Thrash et donc au Crossover, je ne saurais que trop vous conseiller de mettre la main sur cette réédition plus que bienvenue. "All Hail The Kingpin" !
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29/12/2016 17:24