L’histoire de Leeway débute en 1983 lorsque qu’A.J. Novello (guitare) et Eddie Sutton (chant) décident de prendre part eux aussi à l’explosion de la scène Hardcore new-yorkaise. Originaire du Queens, le groupe qui officie alors sous le nom de The Unruled se distingue rapidement de ses homologues grâce à une musique beaucoup plus proche du Thrash et de la scène Metal que du Punk/Hardcore développé alors par des formations telles qu’Agnostic Front, Murphy’s Law, Bad Brains ou encore Warzone. Avec l’aide d’autres groupes new-yorkais tels que Carnivore, Cro-Mags, Crumbsuckers ou Stormtroopers Of Death (S.O.D.), Leeway (rebaptisé ainsi depuis 1984) va alors largement contribuer au développement de ce que l’on nomme le Crossover, un style bâtard qui commence à largement se répandre un peu partout aux Etats-Unis (Dirty Rotten Imbeciles (D.R.I.), Suicidal Tendencies, Verbal Abuse, Cryptic Slaughter, Excel...) et qui, comme son nom l’indique, va faire le pont entre l’agressivité et la puissance du Thrash et l’intensité et le discours authentique et contestataire du Hardcore.
Après deux démos dont la dernière intitulée
Enforcer parue en 1985, le groupe entre en studio en septembre 1987 afin d’enregistrer son tout premier album,
Born To Expire. Au même moment, Leeway signe sur Profile Records, un label essentiellement spécialisé dans le Rap mais qui souhaite néanmoins s’ouvrir à d’autres styles dont le Thrash et le Hardcore en signant quelques groupes tels que Cro-Mags, Murphy’s Law et Wargasm. Malheureusement, cette signature n’apportera rien de bien satisfaisant à Leeway qui va devoir ronger son frein avant de voir arriver dans les bacs son tout premier album. Car c’est plus d’un an après son enregistrement, en janvier 1989, que celui-ci va finalement voir le jour...
Au fil des années et en dépit de l’influence de Leeway et de ce premier album sur la scène Hardcore,
Born To Expire va finir inéluctablement par se faire de plus en plus rare jusqu’à devenir un véritable objet de convoitise pour tous les amateurs de NYHC nés quelques années trop tard ou qui n’avait pas le portefeuille suffisamment garni à l’époque. Il faudra attendre 2014 et 2015 pour voir ainsi
Born To Expire réédité comme il se doit. D’abord par le label brésilien Marquee Records à l’occasion des vingt-cinq ans de l’album puis par Reality Records, structure belge spécialisée dans le Hardcore et à qui l’on doit les dernières sorties européennes de groupes tels que Mizery ou Suburban Scum. C’est cette dernière qui nous intéresse ici. Il s’agit d’une version remasterisée sur laquelle figure en plus de l’album neuf titres live enregistrés au Ritz de New-York en 1986. Le livret et l’artwork ont également été retravaillé avec quantité de photos supplémentaires ainsi que quelques notes signées Carlos Ramirez (NoEcho.net), Craig Setari (Youth Of Today, Sick Of It All, Cro-Mags, Agnostic Front), Darryl Jennifer (Bad Brains) ou encore Mike Dijan (Breakdown, Skarhead, Crown Of Thornz). De quoi tout connaître de l’histoire de Leeway.
Ainsi, en dépit de ses influences Metal prédominantes, Leeway va donc très vite devenir l’un des groupes les plus emblématiques de la scène new-yorkaise, au même titre qu’un Cro-Mags ou qu’un Agnostic Front mais avec une personnalité beaucoup plus affirmée qui va très vite en faire un groupe à part. Aujourd’hui encore, Leeway est l’une des formations les plus intéressantes dans le genre et une source d’inspiration évidente pour la plus jeune génération (Mizery, Fire & Ice, Trapped Under Ice, Power Trip...).
Mais tout ne s’est pas fait en un jour, le point d’orgue de leur discographie étant atteint selon moi avec l’album suivant, l’imparable
Desperate Measures qui combine à la perfection les meilleurs éléments du Thrash et du Hardcore. Ici, avec
Born To Expire, Leeway se cherche encore un peu à travers des compositions plus simples et plus directes qui, si elles font mouches sans difficultés, sont malgré tout un poils en dessous d’un "Make Me An Offer" , "All About Dope", "Kingpin" ou "Who’s To Blame". Mais ne boudons pas notre plaisir, dans le genre Crossover de qualité, ce premier album demeure ainsi une référence. Et si vous n’avez jamais posé vos oreilles sur la musique de Leeway, sachez que l’un de ses plus grands atouts est assurément son chanteur, le sympathique Eddie Sutton et sa voix claire à mille lieux de ce que l’on peut trouver à l’époque (jetez également une oreille aux démos enregistrées avec Merauder qui valent vraiment le détour). En grand amateur de Heavy Metal, celui-ci va prendre le contrepied des Agnostic Front et autres Cro-Mags avec une voix claire, certes empreinte d’une pointe d’agressivité évidente mais à la fibre mélodique particulièrement développée. Là où ses homologues vont préférer cracher leur animosité à la gueule de leur public, Eddie Sutton va leur apporter du groove et de la mélodie à travers un chant solide et plus léger, du moins en apparence. Car finalement les thèmes abordés par Leeway n’ont rien à voir avec l’insouciance puisque le groupe parle lui aussi de drogues, de la vie dans la rue et de ces combats que l’on peut mener individuellement au quotidien.
L’autre atout majeur des New-Yorkais réside dans le jeu de leurs deux guitaristes A.J. Novello et Michael Gibbons. Leurs riffing Thrash hyper incisifs et tout en palm mute va insuffler une énergie incroyable à la musique de Leeway. Simples mais redoutables d’efficacité, épaulé par une section rythmique elle aussi bien en verve (tchouka-tchouka et double pédale, basse généreuse bien que relativement discrète dans le mix), les riffs directs et nerveux de Leeway font systématiquement mouche (comment résister à des riffs comme ceux de "Be Loud", "On The Outside", "Enforcer", "Tools For War" ou "Self Defense" ?). Enfin, comme on ne fait pas de Thrash sans faire de solos, A.J. Novello va naturellement ponctuer chacune de ces compositions (ou presque) par de courtes interventions qui vous feront dresser les poils de plaisir (si tant est que vous appréciez l’exercice et j’ose espérer que ce soit le cas !). Comme pour ses riffs et sans jamais en faire trop, le garçon se montre là encore d’une efficacité redoutable.
En dépit de ces qualités évidentes qui font de
Born To Expire un album tout à fait incontournable pour tous les amateurs de NYHC, celui-ci souffre inévitablement de la comparaison avec son successeur, l’excellent et plus abouti
Desperate Measures. Ce qui fait aujourd’hui défaut à ce premier album lorsqu’on l’oppose à son cadet, c’est principalement cette notion de groove bien moins développée tout au long de ces trente-huit minutes. Pour commencer, même si le jeu de Tony Fontao ne souffre d’aucune critique particulière, celui-ci ne fait pas le poids face à celui de Jimmy "Pokey" Mo qui va dès l’album suivant apporter un groove bien supérieur au Thrash/Hardcore de Leeway. Même constat concernant la construction des titres beaucoup plus directe et un poil moins élaborée. Bien sûr, on trouve déjà de quoi mosher ici et là (les dernières secondes de "Unexpected"), mais ce n’est clairement pas du niveau de ce que l’on trouvera deux ans plus tard sur
Desperate Measures.
En plus d’un remastering complet qui vient apporter un coup de fouet à ces compositions datant tout de même de 1987, cette réédition se voit également agrémentée de neuf titres live enregistrés au Ritz de New-York en 1986. Relativement peu friand de ce genre de bonus, l’intérêt réside essentiellement dans le fait qu’il s’agit de l’un des seuls enregistrements sur lequel on peut retrouver Mackie (Cro-Mags, The Icemen, Fun Lovin’ Criminals, Shelter...), premier batteur de Leeway. Au-delà de ça, il faudra quand même faire fi de bien des défauts pour apprécier cette captation. Entre la basse ultra saturée, le grésillement permanent de ces guitares un brin fluettes, l’écho sur la voix et l’absence totale de prise d’ambiance, on a bien plus l’impression d’écouter une démo de piètre qualité que d’assister à un concert de Leeway... Mais à vrai dire peu importe car l’essentiel ne se situe clairement pas dans ces quelques bonus plutôt généreux mais bel et bien dans les douze titres qui constituent
Born To Expire.
Dans le paysage Hardcore new-yorkais, la sortie de ce premier album de Leeway à véritablement fait l’effet d’une petite révolution. Il faut dire que le chant clair et l’allure étrange d’Eddie Sutton qui arpentait la scène en habits de squelette ainsi que cette dynamique héritée du Thrash juraient quelque peu avec tous ces groupes de skinheads qui fréquentaient alors ces clubs/squats réhabilités qu’étaient le CBGB, le ABC No Rio ou encore le A7. Avec
Born To Expire, Leeway a radicalement modifié les codes d’un genre issu de la scène Punk en y apportant dès la seconde moitié des années 80 une bonne grosse dose de Thrash. La suite, n’en déplaise aux puristes, on la connait tous. Et même si l’influence qu’a pu avoir Leeway varie d’un groupe à un autre, il est évident que la scène de New-York (la ville et l’état) du milieu des années 90 (Merauder, Sheer Terror, Crown Of Thornz, Breakdown et tous ces groupes originaires de Troy et d’Albany...) doit énormément à la bande d’Eddie Sutton et A.J. Novello. Thrash, Hardcore, Crossover, appelez ça comme vous voudrez, le NYHC ne serait probablement pas grand-chose sans ces petits gars. Et le plus drôle dans tout cas c’est que le meilleur était encore à venir !
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30/12/2016 10:04
28/12/2016 15:59