Eisenwald Tonschmiede a toujours été une structure relativement discrète, opérant dans l’ombre à l’affût de ce que l’underground peut réserver de meilleur. Depuis 2004, sortie après sortie, le label allemand s’est ainsi forgé une solide réputation parmi les amateurs de Black Metal qui auront sût y trouver un label de qualité aux productions particulièrement soignées (du packaging à l’artwork en passant bien entendu par le contenu).
Après déjà plusieurs bonnes surprises parues elles aussi l’année dernière (Uada, Fluisteraars, Cantique Lépreux, la réédition du premier album des Suédois de Mörk Gryning…), le label poursuivait il y a encore quelques mois son travail de défrichage avec le premier album d’une entité Suisse qui n’avait sorti jusque-là qu’une simple démo intitulée
Widrstand (via Fallen Empire, autre label discret mais de qualité). Formé à Zürich en 2010, Tardigrada est semble-t-il un groupe qui aime prendre son temps. Quatre ans après sa première démo, le trio vient finalement se révéler à la plupart d’entre nous grâce à
Emotionale Ödnis, un disque qui devrait a priori ravir les amateurs de Black Metal atmosphérique.
Pourtant, avec un nom pareil, ce n’est pas forcément gagné d’avance. Car savez-vous ce qu’est un tardigrade ? Et bien selon Wikipédia :
Les tardigrades (Tardigrada) ou oursons d'eau sont de microscopiques créatures qui mesurent un peu plus de 1mm. Ils sont les seuls animaux connus pouvant survivre dans l'environnement hostile du vide spatial. Ils peuvent également résister à des températures proches du zéro absolu et bien au-dessus du point d’ébullition de l’eau, peuvent faire face à d’intenses pressions et rayonnement et peuvent également vivre plus de 10 ans sans eau ni nourriture. Ils sont donc presque impossible à tuer autrement qu'en les écrasants. Et puisque vous devez maintenant vous poser la question, voilà à quoi ils
ressemblent. Heureusement je suis loin d’être calé en créatures microscopiques ainsi le logo tarabiscoté, l’artwork grisâtre de cette muraille en construction et la mention du label Eisenwald Tonschmiede ont amplement suffi à me pousser à la découverte de ce premier album.
Ce que l’on remarque en premier lieu au sujet d’
Emotionale Ödnis, c’est sa composition. A chaque titre semble en effet être associé un interlude ou une introduction instrumentale portant ainsi à cinq le nombre de "véritables" morceaux. Ces moments relativement courts (entre une et deux minutes) conservent entre eux un certain liant afin d’apporter une homogénéité à l’ensemble de l’œuvre. Ces interludes oniriques, en plus de reprendre peu ou prou les mêmes thèmes, portent également en eux cette sensation de mélancolie, de grisaille et de désespoir qui transparait à l’écoute des quelques titres qu’ils introduisent.
Une atmosphère crépusculaire que Tardigrada développe en effet essentiellement à travers de longues compositions dont la durée oscille en moyenne entre huit et douze minutes. Grâce à une production légère et aérienne, un riffing entêtant, mélodique et spectral et à de longues séquences ou de blasts ou de mid-tempo (souvent en alternance), le trio va tenter d’amener l’auditeur dans un état de pure contemplation. Certes, la formule n’a rien de très surprenant mais l’effet reste néanmoins garanti pour peu que l’on y soit sensible (à ce titre, l’enchaînement "I" et "E Sturm Zieht UF" est tout à fait représentatif du reste de l’album). Ainsi, que ce soit à l’écoute de ces cinq introductions ou de ces cinq compositions, on se laisse très facilement transportés dans ces paysages d’hiver de campagne aussi beaux et touchants que tristes et mélancoliques. Le chant criard, lointain et complétement désemparé vient d’ailleurs largement renforcer cette sensation de malaise que l’on peut ressentir face à cette immense solitude et ces paysages froids et enneigés.
En dépit de ses qualités évidentes,
Emotionale Ödnis souffre de quelques petits défauts inhérents au genre pratiqué ainsi qu’à la formule utilisée ici-même par le trio suisse. Comme évoqué un peu plus haut, chaque interlude reprenant plus ou moins les mêmes thèmes à l’identique, on a parfois la désagréable impression de revivre inlassablement le même moment. Un sentiment d’ailleurs largement amplifié par la durée quelque peu excessive de ce premier album qui dépasse de peu les soixante minutes. L’autre point qui parfois me chiffonne au grès de mes écoutes c’est l’absence de moments forts ou plutôt l’absence de relief lors des passages les plus soutenus et intenses. Cette production et ce riffing qui mettent l’un et l’autre l’accent sur le caractère mélodique et atmosphérique du Black Metal de Tardigrada n’y sont évidemment pas étrangers même si à mon humble avis, la musique et le propos du groupe aurait eu à y gagner en étant plus abrasif lors de ces quelques séquences. Dommage mais pas rédhibitoire pour autant.
C’est vrai,
Emotionale Ödnis n’est pas parfait. Mais pour un premier album il recèle néanmoins de très bons moments. On lui reprochera peut-être un léger manque de dynamique (les passages les plus appuyés ne viennent pas trancher suffisamment avec les séquences plus contemplatives) et un caractère un poil redondant mais dans l’ensemble la musique délivrée par Tardigrada se place tout de même dans le haut du panier en matière de Black Metal atmosphérique et dépressif. Ses défauts étant liés à ses principales qualités,
Emotionale Ödnis brille notamment par ses mélodies envoutantes et cette atmosphère particulièrement triste et mélancolique dans laquelle vient baigner l’auditeur durant plus d’une heure. Certes, ce disque n’est pas un indispensable de l’année écoulée mais il demeure malgré tout une excellente surprise qui saura, j’en suis sûr, ravir les amateurs de ce genre de Black Metal morne, pessimiste et vaporeux.
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