Fantômas - Fantômas
Chronique
Fantômas Fantômas
(Amenaza Al Mundo)
Pour nous, Français, le nom de Fantômas évoque une trilogie cinématographique plus ou moins incontournable signée André Hunebelle. Trois films parus entre 1964 et 1967 qui éclipsent d’ailleurs en terme de notoriété les romans pourtant déjà extrêmement populaires de Pierre Souvestre et Marcel Allain dont ils s’inspirent librement. Jean Marais, Louis de Funès et Mylène Demongeot s’y donnent la réplique sur des intrigues mêlant burlesque, espionnage et technologie du futur (cette fameuse Citroën DS qui vole). Un ravissement pour toutes les générations qui traversera les âges durant quelque décennies (qui n’a pas soupé de ces films chez papi et mamie après un repas de fêtes bien chargé ?).
A l’inverse, peu de gens en dehors de nos frontières connaissent l’existence de ce personnage masqué. Il y a bien évidemment quelques cinéphiles adeptes de série B qui à travers le monde portent un intérêt à ces long-métrages typiquement français mais ça s’arrête là. Enfin pas tout à fait puisqu’en 1998, ce touche à tout curieux et fantasque qu’est Mike Patton (Faith No More, Mr. Bungle, Tomahawk, Peeping Tom, Dead Cross...) va donner naissance à un énième projet du nom de Fantômas. Pour l’assister dans ses nouvelles aventures, le Californien va solliciter l’aide de Buzz Osborne (The Melvins, ex-Venomous Concept), Trevor Dunn (The Melvins, Mr. Bungle, Tomahawk) et Dave Lombardo (Slayer, Grip Inc.). Un line-up de choix pour une série d’albums absolument insaisissables.
Sorti en 1999 sur Ipecac Recordings, ce premier album également connu sous le titre Amenaza Al Mundo, se dévoile en premier lieu à travers un artwork sur papier argenté reprenant sous forme d’illustration à l’ancienne certaines scènes et autres personnages des films Fantômas. Un sympathique clin-d’oeil à ces oeuvres du patrimoine culturel français lui ayant servi d’inspiration. Pour ce qui est du contenu, le groupe se montre ici particulièrement généreux avec pas moins de trente titres présentés sous forme de page (page 1, page 2, page 3...) pour une durée d’environ quarante-deux minutes.
Habitué à ce genre d’exercices musicaux sans queue ni tête (Mr. Bungle, l’album Adult Themes For Voice…), Mike Patton nous entraîne ici dans un voyage aux confins de l’horreur avec pour fil conducteur celui de raconter une multitude d’histoires torturées, sombres et inquiétantes à l’aide d’une succession de scènettes protéiformes. La majorité des titres ne dépasse pas les deux minutes et pour tout vous dire la moitié de ces morceaux sont même expédiés en moins d’une minute. Il y a cependant quelques exceptions mais celles-ci se comptent sur les doigts d’une seule main.
Né d’esprits créatifs débridés et ô combien compétents (le CV de ces quatre garçons suffit pour en attester), Fantômas s’apparente à un mélange totalement abstrait de musique concrète façon Pierre Henry ou Pierre Schaeffer, de Jazz, de Grindcore, de Sludge et de samples et d’arrangements en tout genre empruntés pour la plupart au cinéma, au quotidien ou à l’imaginaire collectif (ces quelques sonorités typiquement cartoonesques que l’on va retrouver égrenées tout au long de ces quarante-deux minutes). Tout cela nous est présenté sous forme de séquences se succédant les unes aux autres sans qu’elles aient pour autant de liens entre elles. Un enchevêtrement abscons de moments complètement tordus et inattendus, d’explosions spectaculaires, de tensions grinçantes, d’horreur sournoise... Un voyage intense servi par une production redoutable de puissance, de finesse et de subtilité.
Mais en dépit de ce caractère foutraque et insaisissable, et aussi étrange que cela puisse paraître, ce premier album réussi à faire preuve d’une certaine homogénéité. Et c’est bien là tout le talent de Fantômas et de Mike Patton en particulier qui livre une prestation absolument incroyable. Ne cherchez pas ici de paroles, il n’y en a pas. Tout ce qui est chanté, hurlé, scandé, susurré, marmonné et déclamé est réalisé à partir d’onomatopées et de bruits indescriptibles. Un charabia de sons parfois à la limite de l’insupportable (en cause ces labiales volontairement exagérées comme par exemple sur "Page 19 [21 Frames]" et "Page 24 [19 Frames]") et de vocalises d’échauffement laissant à Mike Patton toute latitude pour exprimer l’étendue de ses capacités vocales. Un exercice de style tout simplement hallucinant qui, s’il renforce bien évidemment la nature follement indescriptible de ce premier album, confère paradoxalement à ces trente compositions hallucinées et hautement anxiogènes une certaine harmonie. Un chaos méthodiquement organisé.
Sorti il y a près de vingt ans (qu’est-ce que le temps passe vite !), ce premier album de Fantômas est et restera une oeuvre complètement à part autant dans la discographie de Fantômas (qui compte quatre albums) que dans celle de Mike Patton, Buzz Osborne, Trevor Dunn et Dave Lombardo. Et ce n’est pas tout puisqu’avec une telle approche débarrassée de toute contraintes de format et de règles à respecter, ce disque n’a finalement pas pris une seule ride, restant aussi efficace et pertinent aujourd’hui qu’il ne l’était en 1999 à sa sortie. Album tout en excès, aussi subtil qu’agressif, aussi maitrisé qu’insaisissable, aussi démesuré que grandiose, Fantômas ne laissera jamais personne indifférent. D’un côté ceux estimant que tout cela n’est qu’une succession de bruits et de bruitages sans intérêt et surtout sans queue ni tête et les autres qui se régaleront encore et encore du génie de ces quatre musiciens hors du temps, hors des cadres et hors des schémas connus.
| AxGxB 16 Novembre 2018 - 1457 lectures |
|
DONNEZ VOTRE AVIS
Vous devez être enregistré(e) et connecté(e) pour participer.
AJOUTER UN COMMENTAIRE
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo