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Mutilated - In Memoriam

Chronique

Mutilated In Memoriam (Compil.)
L’avantage de ces grèves sur la réforme des systèmes de retraites c’est qu’entre un épisode de Seinfeld, une séance de sport chez Basic Fit et un peu de télé-travail (oui, il faut bien gagner sa croûte quand même), j’ai enfin le loisir de me poser devant mon ordinateur en écoutant l’un des rares albums que je n’arrive pas à trouver en MP3 pour le glisser sur mon téléphone. Oui, en 2019, il y a encore des disques absolument introuvables sur Internet et cette compilation de Mutilated en est un. Ce qui, au passage, explique cette chronique pour le moins tardive (malgré la possibilité de le streamer intégralement depuis Bandcamp).

Intitulé In Memoriam, cette compilation a été éditée pour la première fois en 2013 par le label français Triumph Ov Death Records, une petite structure basée à Avignon principalement tournée sur le développement de la scène nationale (Fall Of Seraphs, Necrowretch, Demonic Oath...) et la mise en lumière d’anciens combattants n’ayant pas eu à l’époque les moyens ou la possibilité de faire valoir leur plein potentiel (Death Power, Gorgon, Abyssals…). D’ailleurs pour la petite histoire, cette compilation est la toute première sortie du label et constitue quelque part pour son fondateur l’une de ses plus grandes victoires puisqu’il a passé plusieurs mois à harceler Michel Dumas, ex-guitariste, bassiste et chanteur de Mutilated, afin d’obtenir le soutien et surtout l'aval nécessaire à la réalisation d’un tel projet.

Si la version double ou triple LPs a le mérite d’exister, on lui préfèrera ce double CD sorti quatre ans plus tard qui se montre à mon avis bien plus exhaustif et surtout mieux arrangé (en tout cas d’un point de vue historique et chronologique). Celui-ci embarque avec lui l’unique démo de Mutilator intitulée Omens Of Dark Fate sortie en 1987, les deux démos de Mutilated intitulées Psychodeath Lunatics et Resurrected parues respectivement en 1988 et 1991, le EP inédit Tormented Creation qui aurait normalement dû sortir en 1993 via Adipocère Records ainsi que l’unique démo d’Abyssals, groupe formé après le split de Mutilated, sortie en 1994. Plus dispensables mais néanmoins très intéressants, on trouve sur le second disque neuf titres issus de sessions de répétitions tenues entre 1988 et 1994 ainsi que neuf titres live enregistrés à Marseille, Lyon et Paris entre 1992 et 1993. Pour compléter ces trente-sept titres, un généreux livret agrémenté pour l’occasion de photographies, flyers, scans et autres chroniques d’époque, de courtes descriptions permettant également de situer chaque sortie dans son contexte ou de saisir la renommée de Mutilated à l’internationale (notamment ces deux petits textes signés Fenriz et Martin van Drunen) ainsi que d’illustrations plus ou moins récentes réalisées par Michel Dumas et Chris Moyen. Le tout est présenté dans un très joli digipack illustré sobrement par un Chris Moyen dont le trait si caractéristique est ici méconnaissable. Un bel objet particulièrement bien fourni qui à bien des titres se doit de figurer sur toutes les étagères.

Avant d’aborder en détails le contenu de cette compilation, revenons tout de même sur l’histoire de Mutilator/Mutilated. On ne va pas se mentir, lorsque l’on évoque les bases du Death Metal en France, on pense beaucoup plus souvent à Loudblast, Aggressor, Massacra ou Mercyless qu’à Mutilated et cela pour la simple et bonne raison que tous ces groupes ont sorti au moins un album dans leur carrière. Pourtant, si les choses avaient été bien faites, Mutilated aurait très certainement pu damer le pion à toutes ces formations (sauf peut-être Massacra avec qui il partageait cette même sauvagerie). Néanmoins, on ne changera pas l’histoire et ça, les petits gars de Mutilated le savent mieux que personne.
Formé en 1986 à Bourg-en-Bresse, Mutilator est la réunion de deux passionnés de Thrash et de Death Metal (probablement les seuls de leur région), Michel Dumas et François Dauvergne. Après une première démo ayant reçue les honneurs en France mais aussi à l’étranger, le groupe décide de délocaliser ses activités dans la Sarthe, trouvant ainsi refuge chez Laurent Ramadier du fanzine Decibel Of Death et Philippe Herbaut. Un déménagement visant à permettre au duo de mettre la main sur de potentiels nouveaux musiciens et ainsi libérer Michel Dumas de sa triple casquette (chant, guitare, basse). Mutilator en profite également pour changer de nom, préférant désormais celui de Mutilated sous lequel il sortira deux démos mémorables. Malheureusement, en dépit de l’intérêt porté par certains gros labels en devenir (Osmose Productions et Peaceville Records), jamais les planètes ne réussiront à s’aligner. La faute à une somme d’emmerdes (line-up, incompatibilité d’humeur, manque de soutien à l’échelle locale et nationale, difficulté à tourner…) ayant eu raison de l’énergie et de la motivation des deux seuls membres rescapés, Michel Dumas et Eric Labrosse, qui en 1993 décideront d’en rester là avant de repartir de zéro en formant Abyssals avec l’aide de... François Dauvergne.

Sortie en avril 1987, Omens Of Dark Fate est donc la seule et unique démo de Mutilator. Les six titres qui la compose ont été enregistrés par Alex Colin-Tocquaine dans le sous-sol de chez ses parents sur un magnétophone quatre pistes, soit probablement ce qui se faisait de mieux à l’époque en France. Alors bien sûr cet enregistrement porte les stigmates de son époque, laissant aisément deviner que ces morceaux ne datent pas d’hier. Pour autant, et cela grâce à un remastering particulièrement efficace et soigné, on ne peut pas dire que cela soit préjudiciable à l’appréciation de ces quelques titres. Pour commencer, le son est plutôt homogène malgré tous ses petites défauts (ce chant lointain que l’on croirait passé au travers d’un seau, cette batterie qui parfois semble flotter, ce souffle inhérent au support à bande...). Mais surtout il y a ces putains de morceaux absolument incroyables, notamment pour un groupe français de cette époque. Si l’Allemagne et les Etats-Unis ont su rapidement prendre les reines à coup de Possessed, Necrovore, Morbid Angel, Incubus, Kreator et autres Sodom, on ne peut pas dire que la France ait été particulièrement dans le coup, suivant tant bien que mal et avec quelques années de retard cette déferlante de violence en provenance de ces deux pays. Il est donc toujours aussi surprenant de constater à quel point Mutilator, originaire de cette petite bourgade qu’est Bourg-en-Bresse et mené par deux gamins de dix-sept balais, a été capable dès cette première démo de rivaliser d’aussi près avec tous ces groupes pourtant déjà bien installés. Si tout n’est pas parfait (cette production mais aussi certaines séquences un poil plus approximatives), on n’en reste pas moins époustouflé par ces riffs diaboliques et surtout cette intensité avec laquelle Mutilator délivre son Death Metal. Une musique particulièrement extrême et sauvage, surtout pour l’époque (putain mais ce "Cabalistic Cryptograms"), marquée par les riffs éclairs d’un Michel Dumas en pleine crise de fulgurances (sublimée par quelques soli bien foutraques) et la batterie affolante d’un François Dauvergne constamment au bord de la rupture. En écoutant ainsi Omens Of Dark Fate, on comprend facilement pourquoi certains on d’emblée considéré Mutilator puis Mutilated comme le seul groupe français capable d’aller titiller aussi sérieusement les plus grands noms du genre sur leur propre terrain.

Psychodeath Lunatics est la deuxième démo du duo Dumas/Dauvergne (bien que le groupe ait déjà été rejoint par Philippe Herbaut) et la première sous le nom de Mutilated. Parue en juin 1988, celle-ci se compose de trois morceaux auxquels est venu s’ajouter en guise de bonus une relecture de "Cabalistic Cryptograms" issu des mêmes sessions d’enregistrements mais que le groupe avait choisi de laisser de côté à l’époque. En ce qui concerne la production, il y a du mieux notamment côté chant avec une voix arrachée toujours très agressive mais surtout un poil plus en avant dans le mixage et désormais débarrassée de cet effet métallique étrange (dû on l’imagine aux conditions d’enregistrement plutôt qu’à un quelconque effet). Par contre, côté rythmique, le groupe semble faire un pas en arrière avec une batterie maigrelette qui manque clairement d’attaque et de précision (les cymbales, au secours...) malgré le jeu toujours aussi intense d’un François Dauvergne qui tient une forme olympique. Ces petits désagréments sont néanmoins bien vite relégués en arrière-plan grâce (en plus du remastering) à cette sauvagerie toujours aussi bluffante et à ces riffs ultra efficaces signés Michel Dumas. Difficile de ne pas penser aux premiers albums de Morbid Angel, Sadus, Repulsion ou Kreator à l’écoute de ces riffs blitzkrieg et de cette batterie haletante qui ne cesse de cavaler comme si elle avait la mort aux trousses. Si le groupe marche évidemment dans les pas de sa première démo, il le fait avec davantage d’assurance à travers des compositions plus abouties comme en atteste notamment l’excellent "Hysterical Corpse Dislocation" qui me rend absolument dingue du début à la fin grâce à cette guitare hystérique, cette batterie à bout de souffle et ce putain de break taillé pour briser des nuques à la douzaine. On comprend alors pourquoi Fenriz et Euronymous n’ont pas manqué de s’enthousiasmer à l’époque en écoutant cette fichue cassette.

Sortie en 1991, Resurrected marque en quelque sorte une nouvelle ère pour Mutilated avec le départ de François Dauvergne, l’un des deux membres fondateurs de la formation. Ce dernier est alors remplacé par Guillaume Masson qui rejoint un certain Eric Labrosse (guitare) lui aussi fraîchement débarqué. Sous la forme d’un quatuor (avec Michel Dumas et Philippe Herbaut), Mutilated va prouver en l’espace de deux titres (quatre ici puisque l’intro et l’outro ont été dissociées des titres "Graves Of Rebirth" et "Sorcery") qu’il est définitivement le groupe le plus redoutable de l’hexagone. En moins de dix minutes, il va ainsi s’imposer comme le pendant Français des Américains de Morbid Angel (flagrant sur "Graves Of Rebirth" à 1:33 et cette séquence que l’on croirait emprunté à "Maze Of Torment") avec un Death Metal toujours aussi sauvage mais désormais plus sombre et diabolique qu’auparavant. Il faut dire que le chant de François Herbaut, beaucoup plus proche du growl que du cri, se fait plus profond et menaçant que celui de Michel Dumas. La batterie est pour la première fois particulièrement au point avec une caisse claire qui claque bien comme il faut et des cymbales nettement moins nébuleuses qu’elles ne l’ont été. Enfin côté riffs, c’est toujours autant la grosse punition avec un Michel Dumas et un Eric Labrosse qui ne font définitivement pas semblant (jeu ultra nerveux, accélérations assassines, solos mélodiques plus efficaces et redoutables que jamais). Tout est donc définitivement aux poils et auraient dû naturellement déboucher sur l’écriture d’un premier album capable, on l’imagine, d’annihiler toute concurrence s’il n’y avait pas eu tous ces fichus soucis évoqués plus haut. Quel dommage…

De retour à Bourg-en-Bresse sous le même line-up, Mutilated va passer quelques jours en studio entre décembre 1992 et janvier 1993 pour l’enregistrement d’un EP deux titres intitulé Tormented Creation. Annoncé via Adipocère Records, celui-ci ne verra finalement jamais le jour à cause d’une production jugée alors insatisfaisante. Pourtant, on ne peut pas dire que le résultat ne tienne pas la route même si effectivement, les deux compostions semblent à l’origine plus étouffées que sur les précédentes productions du groupe, perdant au passage de cette intensité et de cette sauvagerie qui faisait jusque-là tout le charme de Mutilator/Mutilated. Néanmoins, le remastering semble leur avoir été particulièrement bénéfiques puisque "Evil Scriptures" et "Tormented Creation", dans une veine toujours aussi proche du Morbid Angel de la grande époque, n’ont désormais plus rien à envier aux titres issus de Resurrected ou de Psychodeath Lunatics.

Les trois derniers titres figurant sur ce premier CD sont ceux de l’unique démo d’Abyssals sortie en 1994. Le groupe est alors constitué de Michel Dumas (guitare), Eric Labrosse (chant, basse) et François Dauvergne (batterie) qui fait là son grand retour après plusieurs années d’absence. Si le nom a bel et bien changé, les intentions du groupe restent plus ou moins identiques, ce dernier dispensant avec toujours autant de conviction ce Death Metal revanchard mené bien souvent la bave aux lèvres. De retour au studio AGLCR de Bourg-en-Bresse malgré la déconvenue Tormented Creation, on constate qu’Abyssals a gagné en maturité mais qu’à l’inverse il a également perdu un peu de cette sauvagerie intense et foutraque qui faisait une partie du charme de Mutilated. Là encore, rien de préjudiciable tant on sent le groupe parfaitement au point mais on préfèrera à ces quelques titres efficaces mais peut-être plus convenus ceux des précédentes démos alors plus juvéniles mais également plus explosifs... En attendant, ce nouveau départ initié après ce ras-le-bol général au sein de Mutilated n'aura pas eu l'effet escompté puisqu’Abyssals finira par cesser toutes activités dans l’indifférence générale, marquant ainsi d’un point final l’histoire chaotique de ce groupe quelque peu maudit.

Bon, je vous tiens là jambe depuis déjà trop longtemps pour repartir dans d’interminables palabres inutiles au sujet de ce second CD sur lequel on trouve, comme je vous l’ai déjà dit, neuf titres enregistrés lors de répétitions tenues entre 1988 et 1992 ainsi que une petite dizaine de morceaux live captés à Marseille, Lyon et Paris.
Concernant la première catégorie, on trouve à boire et à manger avec quelques titres au son forcément un peu discutable (notamment "Cabalistic Cryptograms" et "Disincarnate Souls" enregistrés en 1988). Parmi ces quelques morceaux, ont trouve également deux ou trois inédits comme justement ce "Disincarnate Souls" mais aussi "Al Azif" ou "Millenium Altar". Seulement voilà, il s’agit bien souvent de premiers jets pour lesquels les paroles n’ont même pas été encore écrites ou alors tout simplement quelques lignes de chants (ou de cris) histoire de... Pour autant, malgré le caractère évidemment un peu bancal que revêtent certains titres, on constate encore une fois toute l’énergie et l’intensité (ainsi que ce petit degré de supériorité avéré) qui caractérisaient cette entité à trois têtes.
En ce qui concerne les titres live proposés sur cette compilation, le constat est sensiblement le même avec une qualité sonore plutôt bonne malgré quelques défauts inhérents aux différents supports ou tout simplement aux moyens de l’époque, surtout pour un groupe de cette envergure. Assez peu client de ce genre d’exercices sur disque, cela permet néanmoins d’apprécier cette fameuse sauvagerie qui caractérise si bien Mutilated aussi bien sur cassette que sur scène, dans l’exercice de ses fonctions. Alors bien sur on pourrait reprocher à ces enregistrements de ne pas suffisamment transmettre de cette ambiance électrique (si ce n’est entre les morceaux) mais ils sont à prendre tels quels, c'est à dire comme un simple instantané d’une époque aujourd’hui révolue que certains continuent de chérir avec une nostalgie évidente.

Si ce genre de parcours n’a donc en soit rien d’atypique, notamment à une époque et dans un pays où il fallait quand même avoir sacrément la foi pour jouer ce style de musique, trouver un label et espérer enregistrer un seul album, il explique tout de même en grande partie pourquoi Mutilated n’a jamais véritablement eu la renommée qu’il mérite là où d’autres (tout aussi méritant mais peut-être moins talentueux) ont réussi à se faire un nom. Néanmoins, grâce au travail acharné du label Triumph Ov Death, on tient là enfin un témoignage complet et particulièrement digne d’intérêt pour quiconque s’intéresse de près ou de loin à la scène Death/Thrash hexagonale et plus généralement au bon Death Metal. Car si Mutilator, Mutilated et Abyssals n’ont sorti que de simples petites cassettes, certaines figurent encore aujourd’hui parmi ce qui s’est fait de mieux à l’époque. Et cela, personne ne pourra jamais le leur enlever. A ranger parmi les incontournables du genre, tout pays confondus.

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Mutilated
Death Metal
2017 - Triumph Ov Death
notes
Chroniqueur : 4.5/5
Lecteurs : (1)  4/5
Webzines :   -

plus d'infos sur
Mutilated
Mutilated
Death Metal - 1987 † 1993 - France
  

tracklist
CD 1 :

01.   Omens Of Dark Fate  (02:23)
02.   Unholy Church  (03:45)
03.   Wish My Death  (03:11)
04.   Apocalyptic Prophecy  (03:20)
05.   Rabid Axeman Slaughtering  (02:23)
06.   Cabalistic Cryptograms  (03:47)
07.   The Crown Of Death  (04:46)
08.   Funerarium  (03:17)
09.   Hysterical Corpse Dislocation  (03:18)
10.   Cabalistic Cryptograms  (04:03)
11.   Intro  (00:57)
12.   Graves Of Rebirth  (03:23)
13.   Sorcery  (04:34)
14.   Outro  (01:48)
15.   Evil Scriptures  (04:03)
16.   Tormented Creation  (02:28)
17.   Evil Scriptures  (04:03)
18.   The Hole Of Souls  (05:30)
19.   Scarified  (03:54)


CD 2 :

01.   Cabalistic Cryptograms  (03:42)
02.   Disincarnate Souls  (02:02)
03.   Funeral Slumber  (07:31)
04.   Tormented Creation  (02:27)
05.   Al-Azif  (02:35)
06.   Millenium Altar  (04:46)
07.   Sorcery  (04:31)
08.   Graves Of Rebirth  (03:23)
09.   Evil Scriptures  (04:17)
10.   Evil Scriptures  (04:29)
11.   Intro / Tomented Creation  (03:08)
12.   Sorcery  (04:48)
13.   Millenium Altar  (05:11)
14.   The Crown Of Death  (04:05)
15.   Funeral Slumber  (07:09)
16.   Evil Scriptures  (04:27)
17.   Graves Of Rebirth  (03:34)
18.   The Crown Of Death  (03:55)

parution
14 Avril 2017

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