Guðveiki - Vængför
Chronique
Guðveiki Vængför
Toujours un peu délicat de sortir un album dans les derniers jours de l'année. Le gros risque, c'est qu'aussi bon soit-il, ce dernier ne passe entre les mailles du filet du chroniqueur, même averti, et ne touche pas toute l'audience qu'il pourrait, et surtout, mériterait. Et il y en a d'autres qui n'en ont cure, soit conscients de la qualité de leur méfait, soit parce qu'ils savent que leur label assure. Sainte Marie des Loups, dont nous avons parlé récemment, faisait ainsi partie de la dernière vague de releases du maintenant défunt label Fallen Empire. Parmi cette ultime salve de galettes d'une qualité toujours extrême, se trouve l'album dont nous parlons aujourd'hui. Une surprise de taille, de sa pochette que l'on croirait sortie de l'écurie I, Voidhanger jusqu'à l'insondable bordel qu'il renferme. Une cacophonie de riffs bouillonnants, de blasts qui se brisent en des contretemps mathématiquement tordus sur un lit vocal des plus inquiétants.
Rien de bien étonnant, puisque Guðveiki est, à l'instar de Martröð, un all-star band américano-islandais. L'on y trouve des membres de Wormlust, Chaos Moon, Skáphe, ou encore Krieg, excusez du peu. Comme si cette équipe de mercenaires rodés au Black Metal qui en met partout ne suffisait pas, cette première manifestation de Guðveiki, "Vængför", a bénéficié du mix de Swartadauþuz (Bekëth Nexëhmü et la chiée de projets estampillés Ancient Records) et d'une superbe pochette d'Elijah Tamu (officiant également chez Panegyrist, auteur d'un autre OVNI sorti l'année dernière). Sans surprise, donc, " Vængför " est excellent. En même temps, difficile de se planter quand on aligne à ce point les talents en coulisse.
Ce qui me séduit dans cet album, avant toute chose, c'est que l'on y retrouve bien plus les influences Islandaises qu'Américaines - non pas que je sois hermétique à l'art noir de l'Oncle Sam, mais le "black à capuches" comme l'appellent ses détracteurs pisse-froids, m'a toujours bien plus parlé. Question de feeling. Une chose est certaine, c'est qu'il y a quelque chose dans l'eau potable, là-bas. Il fallait oser mélanger pêle-mêle l'agressivité d'un Antaeus, le psychédélisme très cru de S.V.E.S.T., la déconstruction des plans de batterie et le riffing dans le vide d'un Portal en saupoudrant le tout des cendres de l'Eyjafjöll... Sur le papier, ça vous semble bordélique ? En musique, ça l'est encore plus. Mais diablement attirant. Même avec le vertige, on est toujours tentés de regarder en bas : c'est un peu l'effet Guðveiki.
Il en faut, de l'énergie et de la concentration pour se fader les 40 minutes que dure l'opus. Très peu de temps morts, quelques arpèges par-ci, par-là, parfois du mid-tempo en guise de démarrage, quelques cymbales qui se voudraient familières (comme sur le morceau titre qui en use et abuse) mais globalement, cette plongée dans le vide est menée tambour battant, grâce à un batteur qui n'a manifestement pas oublié de prendre ses vitamines. Les blast-beats sont légion, rompus par des breaks tonitruants qui filent le tournis - quand les titres ne sont pas, tout simplement, qu'une succession de plans décousus, presque jazz dans l'esprit ("Gullveigar sverðsins " laissera bouche bée plus d'un cogneur). Une spirale infernale renforcée par ces guitares en forme de serpents, des riffs graisseux mêlés de quelques dissonances et autres proto-soli qui semblent bien lointains dans le mix (le motif final de "Hin endalausa", par exemple). Le tout servi par cette voix qui susurre, toujours à la limite de la gerbe, d'H.V Lyngdal, sachant comme personne mettre l'auditeur mal à l'aise. Oui, le malaise est constant, on reste au bord de son siège, cramponné aux accoudoirs, tout au long des six titres. Faute de pouvoir s'accrocher à une aspérité, qu'elle soit sous forme de rythmique plus paisible ou d'un riff un peu plus reconnaissable qu'un autre, l'auditeur est contraint de subir ces cinq paires de mains qui lui plongent la tête dans le goudron en fusion. L'ensemble est inextricable, homogène au possible. Ce qui pourrait être un vrai défaut pour certains restera, pour ceux qui aiment le Black quand il est infiniment noir, la grande qualité de cet album. On en attendait de toutes façons pas moins de cette équipe de choc. Difficile, donc, d'isoler un titre plutôt qu'un autre, puisque la mécanique toute entière de " Vængför " pâtirait de l'extraction de l'un de ses rouages. Fais-toi aventurier des temps modernes face à l'inconnu, ne cherche pas à décrire ou à analyser à outrance : ferme les yeux, un signe de croix, et fonce. Ce que Guðveiki propose est, de toutes façons, impossible à décrire de façon rationnelle.
Si l'on pourra effectivement déplorer la fin des activités de Fallen Empire, on ne pourra que saluer leur chant du cygne, dans cette ultime fournée de groupes et d'albums tous plus qualitatifs les uns que les autres, chacun proposant quelque chose de différent : on avait Sainte-Marie des Loups, un régal de Black raw gentiment régressif, Death Fortress et son Black/Death d'une redoutable efficacité, et bien entendu, ce premier opus de Guðveiki, suprême de Black Metal aussi chaotique qu'infernal. Gageons maintenant que ce ne soit pas que "le groupe d'un seul album", au vu du résultat de ce premier essai. Un pur produit labellisé Mystiskaos qui trouvera sans mal sa place parmi les écoutes, et les tour à CDs, des amateurs du genre.
Bref, Vængför, ça va för, très för.
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