Il y a des groupes que l'on qualifiera pudiquement de
"bornés", s'entêtant à sortir des disques entendus des dizaines de fois ailleurs, festival de poncifs et de clichés mis bout à bout, pour mieux masquer leur absence complète de personnalité. La plupart du temps, leurs camarades plus talentueux n'ont pas trop de soucis à les éclipser. Mais une infime minorité de ces formations fades persévèrent, s'acharnent à sortir des disques complètement
lambda, en espérant qu'un beau jour la sauce finisse par prendre. C'était le cas de Non Opus Dei. Pendant presque vingt ans, la troupe n'a fait que produire des disques pas foncièrement mauvais, mais incroyablement passe-partout, sans jamais chercher à voir plus loin -
"Eternal Circle", sorti en 2010, en était le sommet, sorte de
rip-off de Behemoth, impressionnant techniquement (la faute à un batteur complètement dopé), mais terriblement vain. De bons exécutants, mais de mauvais compositeurs. Pour moi, en tout cas, et malgré son ancienneté, le groupe était rangé au fin-fond du tiroir
"Sans saveur".
Puis vint
"Diabeł", cinq ans plus tard. Un
comeback fracassant, que personne n'attendait, moi le dernier, dans lequel Non Opus Dei semblait enfin dévoiler une petite identité, qui lui faisait jusqu'à présent défaut. Certes, la galette n'était pas exempte de défauts, mais elle restait infiniment plus intéressante que les coups d'épée dans l'eau d'antan. J'avais ainsi bon espoir que le quatuor continue de travailler, pour nous revenir avec un disque qui, pour de bon, les affirmeraient en tant que force à part entière de la bouillonnante scène Polonaise. Alors,
"Głód" est-il le disque que nous espérions tous ?
Il est en tout cas ambitieux. En une sorte de fusion de leurs compatriotes de Furia et Cultes des Ghoules, Non Opus Dei s'est inspiré du folklore de son pays, des pratiques ancestrales, salade de rituels, sacrifices et magie noire, condamnant les habitants de la région à la famine ("Głód", justement). Les titres, une fois traduits, posent ainsi les repères de l'histoire qui nous est contée, qui commence mal ("Semis", "Sur des terres stériles"), voit l'incursion de l'élément diabolique (il est fait mention du Diable et des Enfers) jusqu'à son triste épilogue ("Plon", la récolte, bien loin du dénouement heureux que l'on pourrait imaginer), le tout porté à bout de bras par des musiciens plus-que-jamais inspirés. Comment ça, du "déjà vu" ? N'est pas Furia qui veut, en effet, et pourtant,
"Głód" s'en tire avec les honneurs.
Ayant abandonné les
blast-beats forcenés depuis
"Eternal Circle", Non Opus Dei choisit la forme adoptée sur l'album précédent, en construisant des titres qui n'hésitent jamais à donner dans la longueur, à prendre le temps de se développer, plutôt que de foncer tête baissée. Des rythmes majoritairement lents, presque tribaux (les contretemps en forme de sarabande de "Do ołtarzy w piekle") mais qui laissent entrevoir une rage, une furie sous-jacente, dans les nombreuses explosions menées de main de maître par Gonzo, le batteur, que l'on savait très doué de ses mains. Servi par un son mitonné par le Satanic Audio,
"Głód" est pointu sans jamais devenir chirurgical, laissant aux guitares le soin de dispenser leurs riffs vénéneux, sans jamais remiser la basse comme dans les trois-quarts des groupes du genre : les vibrations de ses cordes apportent systématiquement l'inquiétude, le malaise, et ce qu'elles soutiennent la grosse caisse (la fracassante ouverture de "Po jałowej ziemi") ou qu'elles agissent en garniture (sur l'interlude "Głód"). On regrettera peut-être le chant de Tomasz Klimczyk, certes incisif, mais toujours aussi monocorde, fort heureusement contrebalancé par les incursions de Hekte Zaren, Diamanda Galas en puissance, malheureusement cantonnée aux interludes, qui endosse le rôle de la sorcière. Au vu du rendu des compositions gratifiées de sa présence, j'aurais apprécié la retrouver ponctuant certains ponts et breaks des titres plus énervés. Tant pis ! Malgré ces menus défauts, on ne peut que saluer la technique et le talent des musiciens, qui savent nous entraîner dans leur sabbat. Là où Non Opus Dei fait fort, c'est dans l'inconfort : notre sixième sens sent le danger qui dort sous ces arpèges malveillants, ces accélérations soudaines qui se brisent au gré de soli maladifs (à 08:47 sur "Do ołtarzy w piekle"). Et c'est sur ce point que cette dernière fournée tire son épingle du jeu.
"Głód" est un très bon album, et, oserais-je le dire, presque "l'opus de la maturité" pour Non Opus Dei, plus de vingt ans après sa naissance. La troupe a bûché, ça se sent, ça s'entend, les compositions sont plus ambitieuses, plus variées, au service d'un concept qui sent certes un peu le réchauffé mais se démarque de leurs considérations passées. On se laisse prendre au jeu, tant les ambiances développées sont prenantes, tour à tour entraînantes et inquiétantes. Et le cercle vicieux nous happe : on revient à
"Głód", à chaque fois, pour tenter de déceler ce qui lui donne ce goût de
"reviens-y". Une sortie qui permet, enfin, à Non Opus Dei de sortir de la Ligue 2, dans laquelle il était enfermé depuis un sacré moment.
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