Peut-être vivez-vous actuellement une période d’isolement. Peut-être qu’elle est forcée, et que vous ne savez pas quoi en faire. Alors vous cherchez à remplir, à appeler vos proches, à regarder des séries, manger, lire des livres, boire, nettoyer votre domicile, manger encore, boire encore aussi, lire des histoires de gens qui vivent la même chose que vous et lisent et boivent et mangent et appellent leurs proches... Aujourd’hui, je vous propose autre chose. Je vous propose de faire de cette isolation forcée une occasion. De l’embrasser faute de mieux, de vous y plonger, de fermer les fenêtres vers le réel ou le virtuel. De faire le vide. Et pour embrasser le vide, on a rarement fait mieux que Sink.
J’ai déjà parlé longuement de ce groupe, injustement méconnu et aujourd’hui en pause jusqu’à nouvel ordre. Une formation qui fait honneur à toute l’étrangeté de son pays d’origine, la Finlande, son atmosphère irréelle, ses airs de bout du monde, où la solitude s’habille de son plus pur des blancs jusqu’à l’horizon. Compilant les deux volets sortis en vinyle en 2011 et 2013, l’édition CD de
The Holy Testament parue chez Svart Records montre bien ce jusqu’auboutisme qui a fait la marque de fabrique de Sink le long de sa carrière.
Car si l’indépassable
The Process reste la création par laquelle les Finlandais sont allés le plus loin dans ce sentiment de mort qui se terre derrière leurs peintures de lumière aveuglante,
The Holy Testament est sans doute l’œuvre-somme de Sink, celle où il marie l’ensemble de ce qui fait sa richesse quatre-vingt-cinq minutes durant. Un mélange entre drone, ambient et black metal que le projet manie comme un tout, faisant de lui un objet plus proche d’un double-album que d’une compilation. En effet, liées par des motifs musicaux allants et venants, se modifiant selon leurs mouvements (les orgues de « Descending Skies » rejouant l’introduction typée black metal aérien de « Into the Platinum Skies » par exemple), les deux parties réunies invitent à se plonger dans la totalité de l’exercice, du début à la fin.
Surtout que Sink offre assez de moments forts pour accrocher lors de l’heure et demie de
The Holy Testament. Son talent pour évoquer concrètement l’impalpable se retrouve pleinement ici, par des morceaux qui agrippent et ne lâchent jamais l’oreille, pris que l’on est dans une transe paraissant habiter ses membres. Si l’esprit ne peut s’empêcher de divaguer ici ou là, les nombreux apogées qui surviennent dans ce voyage particulier finissent toujours par nous arrimer de nouveau, que ce soit lors des abrasives « Ritual Transfigured » et « Justice », la lourdeur de « Necropolis » ainsi que durant ces sauvageries mystiques que sont, chacune de leur façon propre, « Joy of Life » et « Dominion ». Les Finlandais, loin des clichés attachés à ce type de musique, ne se basent pas sur quelques sons répétés, des silences maîtrisés, pour transmettre leur mystique de désert mental : ils la figurent avec un paysage, une réalité se déployant sous nos yeux confus et éteints, où les quelques respirations (« Parallel » ; « Ritual ») ne sont que des bouffées d’air ahuries, prenant pour base les expérimentations des musiques concrètes pour mieux torturer les sens.
C’est là que réside la particularité de cette œuvre de Sink, bien qu’on puisse voir en
Permanence, contenant des morceaux issus de la même période, un jumeau plus court en jambes.
The Holy Testament est une passerelle entre
The Process et les débuts black metal de la formation, mais aussi avec le dernier album en date du groupe, l’alien
Ark of Contempt and Anger. Il est également un passage entre le bruit environnant et le silence qui réside en toutes choses, accompagnant parfaitement la claustration. Un enfermement sensoriel qui pourtant contient énormément d’émotions diverses, entre recueillement, exaltation, anxiété et... une inhabituelle, singulière, énigmatique forme de paix. Une paix qui, dans cette compilation comme ailleurs, se mérite.
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