J'écoute beaucoup de musiques typées pop en ce moment. Peut-être est-ce dû à l'arrivée du beau temps (qui ne se marie pas très bien avec le black metal par exemple), la reprise du sport (essayez de faire de la course d'endurance avec du grindcore en guise d'accompagnement, vous comprendrez) ou simplement une envie passagère, toujours est-il que je prends plus mon pied ces derniers temps avec des albums de Beyoncé, Anohni ou Weezer que Cruciamentum, Dystopia ou Desolate Shrine. Et, malgré ce détour dans mes écoutes habituelles,
Ark of Contempt and Anger de Sink tourne constamment dans mon lecteur.
Car le Sink nouveau est pop. C'est-à-dire qu'il contient une grosse partie de ce que j'attends de ce genre d'exercice. Autrefois groupe de drone appréciant les expérimentations et longueurs pour mieux nous plonger dans son univers (le mot n'est pas usurpé pour qui s'est déjà fait alpaguer par le portail
The Process), il joue sur
Ark of Contempt and Anger des compositions semblant effectuer, au premier abord, un tour à 180 degrés par rapport à ses œuvres précédentes. Format resserré, accroche globale, plaisir direct... Si l'on pouvait sentir sur
The Holy Testament un retour en forme plus directement musical, rien ne laissait présager un tel virage, embrassant sans gêne le néofolk, les chants graves et enivrants ou encore les instrumentations organiques happant l'oreille dès leur découverte. Même lorsqu'ils paraissent renouer avec d'anciennes lubies (les sept minutes de « Crystal Ship », titre le plus long ici), les Finlandais attrapent par des rythmes répétés et des empilements de notes et voix qui font que l'on se retrouve rapidement sous leur pouvoir.
Oui, Sink semble avoir bien changé. Si chaque album se vivait auparavant comme une expérience (éprouvante), ce dernier est bien le seul que l'on peut avoir envie de s'enquiller dès le réveil, sans craindre de passer le reste de sa journée épuisé nerveusement. C'est d'ailleurs de cette manière que je l'ai abordé les premières semaines, par des sessions pratiquées en dilettante, me laissant bercer par « Enchant » et ses chœurs élevés, la grâce naturelle de « Pilgrimage » ou encore le magnifique « So We'll Go No More A-Roving » (dont je ne vais rien dire de plus intentionnellement – écoutez ce titre, il vous est indispensable). Les Finlandais n'ont pas fait les choses à moitié, d'une production cristalline à des mélodies taillées pour rester en mémoire. S'il est clair que la surface reste éloignée de toutes notions de « produit » et de « vente » – pop ne veut pas dire pré-fabriqué mais désigne tout bonnement une manière de retranscrire une musique, même folk, psychédélique ou ambient comme celle proposée ici –, aucun doute que ces trente-six minutes pourront plaire à un nouveau public que celui aimant se prendre la tête dans les mains de
The Process. Sink est mort. Vive Sink.
…
Mais alors, pourquoi ai-je tout de même la cervelle peinte en blanc de l'intérieur à l'extérieur quand je me décide à affronter
Ark of Contempt and Anger de face et non plus comme un accompagnement d'activités extérieures ? Pourquoi me donne-t-il envie de me déshabiller de mon corps et partir, délesté de tout, comme un héros d'un film réalisé conjointement par Pasolini et Jodorowsky ? Pourquoi entraîne-t-il le même bien-être irréel lors de sa lecture et la même douleur à son arrêt que durant
The Process ? Pourquoi un titre comme « Consolation » me dorlote autant qu'il m'aveugle, par des lignes électroniques où Vangelis aurait abandonné les buildings de Blade Runner pour aller voir ce qu'il se passe là-haut, dans la plus haute montagne sur Terre, celle où l'on se rend pour rejoindre le ciel ? Sink a muté mais Sink reste, au fond, cette chose qui mérite son nom, qui coule de psychédélisme et nous fait couler avec elle. Si l'on pourra trouver des exemples ici ou là plus probants que d'autres (comme la bien-nommée « Terminal » où chair et os s'effritent et se retrouvent transportés par le vent, encore conscients), c'est l'ensemble de
Ark of Contempt and Anger qui se révèle finalement constitué de tout ce qui fait de Sink une formation à-part. Certes plus facile à aborder sur le papier, ce quatrième longue-durée est en réalité d'une brutalité rare, aussi pure que chirurgicale, une fois placé sur l'échelle des émotions, prenant notre esprit pour l'emmener loin, très loin.
Il est triste qu'un groupe comme Sink (façon de parler : il n'y a pas de « groupe comme Sink ») ne soit pas plus connu. Toujours à côté de ce qui marche à toute blinde quand le metalleux se décide à aller voir ailleurs, nul doute qu'il sera une nouvelle fois le grand oublié des bilans de fin d'année et autres listes dictant quoi adorer. Point de « retro new wave » ici : ses sons electro à lui sont présentés dans tout ce qu'ils ont de plus minimaliste, nu, impitoyable. Pas de folk sexy pour amateur de King Dude et de la première saison de
True Detective non plus : son monde à lui est une Finlande vue comme le bout du monde terrestre, la planche où faire le grand saut vers l'univers. Rien de bien connu, concret, descriptible, à se mettre sur la dent : juste une beauté étrange, en lévitation, aride et semblant sans limite, un désert où se promener et rêver malgré une soif permanente (inutile, au regard de sa durée, de dire que le disque se termine à chaque fois trop vite, aussi abondant en atmosphère puisse-t-il être). Je me demande depuis quand ressentir de pareilles sensations n'intéresse plus personne...
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