Sink - The Process
Chronique
Sink The Process
« Imaginez donc, hommes, une chose impossible, absurde, démentielle, incroyable et terrible. Imaginez que le monde entier s'arrête subitement, à un moment donné, et que toutes choses demeurent en l'état où elles sont, que tous les hommes s'immobilisent telles des statues, dans l'attitude qui était la leur à cet instant, dans l'acte qu'ils allaient effectuer […]. Voyez-les dans leurs postures les plus répugnantes et les plus ridicules, les plus fatigantes et les plus sottes ; voyez l'homme surpris dans son pesant sommeil, la bouche entrouverte, pareil à un cadavre ivre […]. Et maintenant, si vous en avez encore la force, imaginez les pensées de tous ces hommes condamnés au même instant à avoir conscience de leur mort. Croyez-vous qu'il s'en trouvera un seul – un seul homme, vous m'entendez bien – un seul qui soit ravi et satisfait de cet instant où le destin l'a ainsi figé ? Croyez-vous que pour un seul de ces hommes ce soit là le moment de Faust, l'instant beau que nous souhaiterions arrêter, fixer, conserver pour l'éternité ? Vous ne le croyez guère, vous ne pouvez pas le croire ! » (Papini, Le miroir qui fuit)
Une mort consciente. Voilà ce que propose Sink avec The Process. Ce groupe originaire de Finlande – pays dont quelqu'un a justement dit qu'il était « le Japon de l'Europe » – peut paraître une bizarrerie de plus d'une contrée qui en a déjà apportées beaucoup. Pourtant, le trio a avec cet album franchi une toute autre dimension, entre doom, ambient et drone.
Une pensée. Celle que décrire une musique faisant autant passer Unholy ou Fleshpress pour des choses terrestres est un rêve. Celle qu'une expérience rappelant autant la mort – non pas son rituel ou sa tristesse comme on peut en avoir l'habitude en musique, mais son état, indifférent et inéluctable – puisse être transmise est un objectif que je laisse à de meilleurs scribouillards que moi. The Process ne se décrit pas, ne se vit pas non plus : il se subit, prenant pour départ une envie d'introspection qui va trop loin, trop loin dans le délitement, trop loin dans l'intention de se replier sur soi-même, enlevant chaque couche de vie, chaque mouvement à notre personne, la rendant statique trente-neuf minutes durant et dont on se réveille à chaque fois étrangement nerveux, étranger au monde physique encore quelques instants. Mais point d'onirisme, de décors merveilleux ici : plutôt une dureté d'une blancheur aveuglante, muette, totale.
Un souvenir. Celui d'une crise de nerf. D'un lendemain de journée à trop travailler et de nuit sans sommeil. D'un jour d'été où je regarde par la fenêtre. Une lumière intense, âpre, qui renforce temporairement la couleur des arbres avant de l'engloutir. Des jambes qui ne me tiennent plus. Une minute passée sur un parquet froid sans envie de me relever, de penser, rien. Une « absence ».
Une peur. Celle que cela se renouvelle. Non pas de simplement mourir – j'avoue ne pas faire grand cas du mien – mais, de nouveau, de n'avoir rien à en penser, rien à en ressentir, d'être insensible à cette idée. L'erreur de Papini : croire que rester statique et horrifié soit la chose la plus terrible. Ne rien avoir à en faire, comme Sink nous le transmet sur The Process, est la véritable terreur.
Un avertissement. Celui usuel quand on parle de musique aussi stérile, cruelle, minimale : elle n'intéressera pas tout le monde. Elle ennuiera certains. Qu'ils se considèrent chanceux.
| lkea 4 Février 2015 - 1430 lectures |
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