The Poisoned Glass - 10 Swords

Si je vous dis « Burning Witch », vous pensez à quoi ? Comment ça, « à Sacré Graal » ? Alors, d'abord, ils clament « Burn the witch » et ensuite, j'y pense plutôt quand j'entends le mot « canard ». Non, la réponse que j'attendais était : « un groupe de sludge/doom jusqu’au-boutiste des années 90, parti trop tôt mais tout de même culte, notamment en raison d'un chant extrême au possible que je suis triste de ne pas avoir rencontré davantage » (oui, et cela d'un seul trait). Hé bien, réjouissez-vous, car deux anciens membres de la défunte sorcière se sont remis ensemble, G. Stuart Dahlquist (qui a également joué dans Sunn O))), Goatsnake ou encore Asva) et Edgy 59 (les hurlements créant des acouphènes en série sur Crippled Lucifer, c'était lui !) ayant décidé de reprendre des affaires en commun.

Pour les plus méticuleux, The Poisoned Glass (puisque c'est le nom du projet) ne sera pas inconnu. Longtemps annoncé (on avait déjà pu apprécier en avant-première l'étendue de ses capacités sur un morceau de la compilation Falling Down de 2010), le duo a fait récemment parler de lui lors de sa prestation à la dernière édition du Roadburn, visiblement remarquée. D'autant plus étrange qu'on ne cause pas plus de 10 Swords dans nos contrées, son line up de choix ainsi que son label réputé dans le milieu (Ritual Productions, décidément dans les bons coups après Ghold) laissant croire qu'il a tout pour réussir. Peut-être est-ce dû au style pratiqué par les deux Ricains, borderline à plus d'un titre ? Impossible en effet de placer ce disque dans une catégorie traditionnelle sans avoir la sensation de le faire au doigt mouillé. Minimaliste, l'album évite les clichés habituels, de l'amplifier worship à la répétition précédant le feu d'artifice, préférant travailler sur les textures et les ambiances que rendre une copie propre d'un genre prédéfini.

Clairement, 10 Swords laisse longtemps désarçonné, au point que le duo semble avoir capitalisé sur un mystère permanent. Nul doute que cela dérangera certains, la patience, même en terre Drone, ayant ses limites. Ce serait sans compter sur cette fascination qui, dès la première écoute, naît de ces guitares étranges, de ces notes irréelles prenant tout l'espace, de cette voix assez éloignée de Burning Witch mais autrement aigre, infernale. The Poisoned Glass donne le long de ces quarante-cinq minutes (les possesseurs de la version CD auront droit à un titre supplémentaire, comme c'était le cas pour Ghold, parfaitement à sa place ici) une impression paradoxale, apaisante et pourtant dérangeante, comparable à celle d'un tueur en série au repos. Un peu comme dans cette bande dessinée de Derf Backderf (Mon ami Dahmer) où l'on suit un futur meurtrier dans ses loisirs récréatifs, disséquant des animaux dans l'acide comme d'autres vont au cinéma, contemplant les passants de sa maison, des idées morbides dans la tête, sans toutefois passer à l'acte. Que ce soit lors de ces lignes vocales androgynes sur le point de hurler ou ces instruments semblant au bord de l'explosion pure et simple, une atmosphère malade et enveloppante se laisse palper, tout en restant dans la suggestion plutôt que la révélation. Une perte de repère que j'ai arrêté de déplorer au fur et à mesure de mes écoutes pour apprécier le voyage, simplement.

Une certitude, cependant : bien que très différent sur la forme, The Poisoned Glass est bien un descendant de Burning Witch sur le fond. Sombre sans être agressif, fou-à-lier sans chercher à le prouver par une violence incontrôlée, il décrit un état mental particulier, ne songeant pas encore à détruire mais hypnotisé par le mal, faisant que l'ennui ne pointe jamais le bout de son nez malgré une brume constante. Certes, à aucun moment, le duo ne donne le sentiment d'évoluer. Mais 10 Swords est, à mon sens, plus à voir comme l’œuvre d'un groupe pouvant très bien devenir phénoménal dans le futur et encore en gestation actuellement, demandant de se laisser noyer et d'imaginer, guidé par le son. Quelque part, c'est ce qu'on attend de ce type de musique, non ?

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