Oui, hein ? Je te comprends, j'ai eu la même réaction - bouche-bée, sur le cul, appelle ça comme tu veux. Ce que tu regardes, c'est
"Vajrabhairava", une toile de Kaneko Tomiyuki, judicieusement choisie par Neptunian Maximalism pour illustrer leur nouvel album,
"Éons". Judicieux, parce qu'elle illustre à merveille ce qui se joue sur ce monstre de plus de deux heures, étalé sur trois disques : un joyeux boxon enfiévré, tantôt tribal, tantôt mystique, piochant, à droite chez Magma, à gauche chez Zu, tout le nécessaire pour faire entrer l'auditeur en transe. Une bestiole à milles facettes, menaçant, qui serpente entre les effluves d'encens.
Qu'est ce que tu me dis ? Tu tiques sur la niche musicale dans laquelle j'ai choisi de ranger Neptunian Maximalism ?
Drone et
Free Jazz ? Qu'est ce que c'est que ce bordel ? De deux choses l'une :
"Éons" est un peu trop turbulent pour qu'on puisse l'immobiliser, et coller une étiquette sur son front - de toutes façons, ce serait réducteur. Autant être honnête avec toi, je me suis posé la même question au fil de mes écoutes : qu'est-ce qui peut bien faire de Neptunian Maximalism un groupe
extrême et, de ce fait, lui faire mériter une place dans nos colonnes ? Est-ce que c'est son écurie, I, Voidhanger Records (que j'aime de plus en plus), toujours à la recherche de pépites métalliques qui sortent de l'ordinaire ? Est-ce que c'est sa durée colossale, qui fera fuir bon nombre d'entre vous (et m'a également collé un haut-le-cœur à sa découverte) ? Pour moi, en tout cas,
"Éons" est
extrême dans ses parti-pris comme dans ce qu'il donne à écouter : il est si jusqu'au-boutiste, si dense, difficile à appréhender, que ce sont les réactions à son sujet qui seront tranchées : celui qui ne parviendra pas à percer l'univers de Neptunian Maximalism restera, immanquablement, sur le carreau. L'autre, qui s'abandonnera complètement au disque, se surprendra à y revenir, plus que de raison.
Rien n'est orthodoxe, que ce soit dans le groupe ou dans son bébé. Articulé autour de Guillaume Cazalet, Neptunian Maximalism change constamment de line-up, accueillant cuivres, toms et cordes au gré de ses envies. Ambitieux,
"Éons" raconte une évolution fantasmée de l'espèce humaine, partant de l'ère Anthropocène jusqu'à celle du Probocène, où nous serions dominés par des éléphants doués de raison. Rien que ça. Mieux, ses grognements et passages scandés le sont en
proto-langage, emprunté au professeur (et artiste) Pierre Lanchantin. Tu as déjà mal au crâne ? Ce serait comme avoir mal aux jambes au pied de l'Everest, avant son ascension... Un peu de courage !
Un sacré sommet que cet
"Éons". Presque impossible à décrire, finalement. Aux cuivres d'une richesse peu commune, qui s'épanchent en nappes diffuses, hantant des compositions qui savent prendre leur temps (entre 4 et 16 minutes), il faut ajouter la section rythmique, répétitive, saccadée (ce charleston !), qui vient rythmer le cortège, paré d'atours criards. Trois disques dans les mêmes teintes, mais pourtant si différents.
"To The Earth (Aker Hu Benben)" s'impose comme le plus accessible, un visage humain, presque familier, mais dont on ne parvient que difficilement à en discerner les traits. Parfois très construit, mais sonnant plus souvent comme de longues improvisations, menées de main de maître par des artisans qui connaissent leurs instruments sur le bout des doigts.
"To The Moon (Heka Khaibit Sekhem)", toujours solidement cadencé, laisse plus de place à la basse et aux longues plages quasi-bruitistes ("Vajrabhairava Part Ii - The Rising"), le rendant,
de facto, autrement plus sombre, plus sentencieux, bourré d'échos qui désorientent.
"To The Sun (Ânkh Maât Sia)" va finir de t'achever : son ouverture, "Eôs - Avènement De L'éon Evaísthitozoïque Probocène Flamboyant" (à tes souhaits), s'apparente à une longue marche en plein désert, interminable. Mais tu prendras plaisir à te faire brûler le derme par l'astre ardent qui illumine ce dernier disque. Mieux, tu vas complètement t'abandonner, te laisser frapper par ses rayons, épuisé par les deux gros morceaux qui l'ont précédé. Un chemin de croix, certes, éprouvant, mais dont on ressort, d'une certaine manière, grandi.
Extrême,
"Éons" l'est, indéniablement. Parce qu'il a refusé tout compromis, de durée, comme de forme. Neptunian Maximalism fait comme bon lui semble, s'affranchissant de toute étiquette, toute norme, empruntant au Noise Rock, aux musiques religieuses, psychédéliques, pour construire, pierre après pierre, un univers d'une richesse impressionnante... Et surtout hermétique. Parce qu'il nécessite de poser une RTT pour l'écouter d'une traite, parce qu'il est tout sauf
orthodoxe,
"Éons" risque d'en laisser plus d'un sur le bord de la route - mais, si perdus seront-ils, tous ne pourront que saluer la prise de risque, tout comme l'étendue du talent des petites mains qui l'ont façonné.
"Éons" s'apprécie comme une toile abstraite. On ne sait pas comment l'expliquer de façon rationnelle, mais il saura toucher ceux qui accepteront de jouer le jeu, et de se faire dévorer tout entier par l'
Oni menaçant de la pochette, véritable gardien du temple. À vos risques et périls, donc. En tout cas, moi, j'y retourne !
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