Oublier tout espoir d’écouter un retour au son de
Nothing but the Whole ; ne pas s’attendre à retrouver ce metal que le groupe semblait prêt à abandonner pour de bon sur
Not for Music ; ne pas se focaliser sur ce qu’on appréciait auparavant chez les Belges, comme cette plongée dans un monde de fantasmes acclamant la nouvelle chair de Cronenberg ou une déroute délicieusement lynchéenne... Faire le vide, comme Emptiness le fait avec
Vide.
C’est compliqué de faire le vide. Même dans les lieux communs où l’on est le moins stimulé, à savoir les salles d’attente, il y a une notion d’arrêt temporaire avant l’activité, d’attendre « le moment où », de mouvement en devenir. L’arrêt ne se définit que par rapport à l’action, la vie comme un taquin, où l’on ne se sert d’une case inexistante que pour faire bouger les autres et créer un motif. Emptiness, lui, ose ne proposer que le vide – et rien d’autre. Pas d’attente de quelque chose, pas de préparation au lendemain, pas de programme à définir : uniquement le vide ou, du moins, comment s’en approcher le plus possible musicalement.
C’est cela qui choque, davantage qu’un changement de style qui, une fois accepté, devient un prolongement logique de la direction prise par les Belges depuis leurs deux précédents longue-durée.
Nothing but the Whole gardait du metal sa force et quelques mouvements, lorgnant avec avidité vers l’industriel ;
Not for Music sautait la barrière vers des rythmes hybrides, jouant des codes conventionnels pour désenchanter et créer un imaginaire de perdition sans fin :
Vide, son titre qui affiche nettement son intention jusqu’à la répétition absurde, son français délavé et presque incompréhensible dans sa diction grave et réverbérée, ses instruments lointains et impalpables, baignant de leur entier dans un air cotonneux, fait avec naturel le pas supplémentaire, celui d’une pop que l’on n’appelle comme telle qu’à défaut tant elle est travaillée et douce, rythmique tranquille et minimalisme qui silhouette plus que forme, touchant aussi bien la mélancolie de The Cure que les difformités de Blut Aus Nord. Une pop jouée depuis le plat pays brumeux et aigre qu’est la Belgique, ses rooftops gris, ses trois-pièces étriqués, murs blancs aux fenêtres montrant l’étendue longitudinale d’une ville morte car confinée, le sentiment de manque comme seule constante, l’absence comme seule atmosphère. Une musique de creux plus que de montées.
Et pourtant, il se révèle que dans ce vide affiché, mille choses fourmillent. Là est son paradoxe : faire le vide, c’est laisser la possibilité de tout accueillir. S’immobiliser, c’est s’ouvrir aux mouvements extérieurs à soi. Le respirateur artificiel ouvrant l’album sonne alors comme une invitation à chercher son souffle ailleurs, dans les soubresauts mous de ces notes qui fluctuent, les refrains de « Un corps à l’abandon » et « Ce beau visage qui brûle », la basse de « Vide, incomplet », ce contraste où les timides entrées d’instruments s’invitent comme des montagnes d’émotions attrapées par des mains pâles, les visions croquées à la volée deviennent des volutes aux significations multiples. Une mélodicité de chaque instant se découvre alors derrière cette pâteuse musicale, mélodicité lente, aplanie et cependant vibrante, un moniteur qui paraît éteint et qui pourtant oscille, dans une langueur étrangement sensuelle (« Plus jamais » et son final caressant et vaporeux) jusqu’à une conclusion qui quitte définitivement toute existence concrète pour se laisser porter vers « L’ailleurs ».
MoRT ? C’est bien à lui – et à lui seul – que l’on pense au final, cet énigmatique album d’une noirceur opaque de Blut Aus Nord, auquel
Vide s’attache comme un frère d’une blancheur sans nuance, sexuel au lieu de macabre, aqueux au lieu d’électrique, environnemental au lieu de mental. Si quelques moments – étonnamment les plus concrets, cf. « On n’en finit pas » et ses ritournelles un brin crispantes – laissent une impression de chef d’œuvre manqué de justesse, Emptiness a signé ici un album d’une intransigeance rare, une anomalie qui devient au fur et à mesure une amie quotidienne, son inquiétante étrangeté résonnant avec celle que l’on vit chaque jour. La vie, dans ce
Vide, se confine mais vibre au loin, pour qui veut l’entendre.
Aux abasourdis et ulcérés par ce qui peut sembler tenir du retournement de veste ou de l’accident industriel, un conseil : si quelque chose semble vous manquer, tendez l’oreille. Ces échos-ci y trouveront une chance de devenir d’assourdissantes obsessions.
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