Emptiness - Nothing But The Whole
Chronique
Emptiness Nothing But The Whole
Une nuit interminable ; une église de centre-ville crasseuse, secrète, à l'architecture ancienne ternie par le temps ; un air vicié ; un silence pesant, seulement interrompu par l'avancée d'insectes s'approchant du lieu de culte ; un écho du futur prévenant des horreurs à venir de façon énigmatique, sous des traits féminins brouillés ; une infection qui s'étend malignement chez les personnes se capitonnant dans le temple ; la peur la plus obsédante qui soit : celle d'avoir peur, de ne rien voir de frontalement hostile et horrible et pourtant ressentir dans ses os que « quelque chose ne va pas ».
Cela est une description des choses parcourant le film Prince of Darkness (l'un des plus sous-estimés de la filmographie de Carpenter) mais convient parfaitement au nouvel album d'Emptiness, Nothing but the Whole. Parti d'un Black/Death typique, le groupe composé de membres d'Enthroned a pris un virage étonnant avec Error, essai de 2012 qui cassait les structures classiques du style pour tendre vers quelque chose d'autre. Cependant, rien de ce que les Belges ont créé jusqu'à cette année ne laissait présager de cet OVNI qu'est leur quatrième longue-durée.
En effet, Nothing but the Whole est tellement à mille lieux de toutes catégorisations qu'il est impossible de lui trouver un équivalent. De nombreux noms surgissent durant l'écoute, passant du The Cure des années cold sur certaines leads rachitiques (« Go and Hope » ; « Lowland ») à des moments évoquant les passages les plus éteints du The Destroyers of All d'Ulcerate, le tout pratiqué avec une rigoureuse simplicité dont les seuls à même de la rappeler sont les Français d'Ataraxie. Il y a même un passage trip-hop maussade sur « All Is Known » qui titille Blut Aus Nord, je vous le cale entre les autres articles dans votre caddie ?
Des formations si différentes les unes des autres que les comparaisons aidant à définir la musique d'Emptiness deviennent rapidement vaines. Retenez cependant ceci : Emptiness est un groupe belge, comme Daggers, AmenRa ou Alkerdeel et pour qui s'est déjà confronté à ces groupes, il n'y a aucun besoin de dire à quel point ce pays a le chic pour offrir des disques de musiques extrêmes tous différents les uns des autres et pourtant liés par la même capacité à tenir le Morne d'une main experte. Nothing but the Whole n'y échappe pas, donnant dans la copie dérangée ayant gardé du black son atmosphère congelée et du death son sentiment de puissance, de plaisir à corrompre les choses terrestres pour se rouler dedans, dans la concupiscence. À la différence près que rien n'est infernal et tout est méthodique ici : le quatuor n'avance jamais à découvert, n'attaque jamais (aucun blast, solo et tutti quanti à l'horizon). Son objectif se réalise plutôt par les détours, le travail sur les ambiances et une application continue à dérouter pour mieux envahir. Trente-neuf minutes misant sur la fascination qu'elles procurent pour convaincre, et non une compilation de moments efficaces, tuants ou directs.
J'imagine que cela veut dire que Nothing but the Whole ne sera pas pour tout le monde. Seulement, comment résister à cette production laissant champ-libre à la voix posée et gutturale de Phorgath, donnant un sentiment de force contrebalançant le rythme d'escargot sur lequel se calent les autres instruments ? Comment ne pas se sentir enivré par la langueur des guitares, tantôt rampantes, tantôt acharnées ou par un titre comme « Behind the Curtain » où tout s'élève soudainement, se fait majestueux et véhément, jusqu'à l'arrivée d'une basse montrant qui exulte et qui est cimenté jusqu'à l'étouffement ? Emptiness fonctionne selon une logique propre, qui laissera beaucoup sur le carreau ; cela ne veut pas dire qu'il n'en a aucune. Le but est bien d'hypnotiser pour mieux détruire.
Un principe que Nothing but the Whole conserve jusqu'au bout, même si le final « Lowland » fait regretter qu'Emptiness n'ait pas fait une exception, sa conclusion laissant un peu frustré de ne pas avoir l'explosion que le morceau se plaît à annoncer en bout de course. Bien sûr, il s'agit d'une œuvre tirant son pouvoir de la suggestion mais cela montre également que les Belges en gardent encore un peu sous le coude.
Finalement, si l'on m'obligeait à rapprocher Emptiness de quelques entités connues, je dirais qu'il ne peut considérer comme frère que Wrest, plus particulièrement les derniers albums de Leviathan et celui de Lurker of Chalice. Pareillement sensuel, malade, urbain et sadique, Nothing but the Whole s'inscrit comme la surprise de l'année, ainsi que comme un sérieux prétendant au trône de 2014 (malgré de nombreuses écoutes, je n'ai toujours pas le sentiment de l'avoir totalement percé à jour). « Unique », on peut décidément employer le mot pour qualifier cette œuvre ambitieuse ne voulant assujettir rien d'autre... que l'ensemble.
| lkea 30 Juin 2014 - 3481 lectures |
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