Sovereign, un Neurosis mineur ? Si vous entendez par là le fait de creuser éternellement des tunnels sous les montagnes, les ongles noircis en guise de traces d’un effort quotidien, les mains dures comme la terre perpétuellement retournée ; si cela vous sert à évoquer son identité âpre, la moins apprêtée, celle qui a toujours fait le sel du projet, si porté aux nus pour sa beauté mystique qu’on en oublierait presque qu’il contient en son sein des rustres amateurs de hardcore ayant puisé une inspiration nouvelle chez les Swans et leur goût pour la méchanceté industrielle ; si cela vous sert à rappeler que Neurosis n’est pas un groupe sympa, mais bien un groupe qui porte en lui un chemin que l’on oublie devoir prendre quand on cherche à se dépasser : celui de la douleur… Alors, nous tomberons d’accord.
Par contre, si cela vous sert à prosaïquement renvoyer
Sovereign au rang des disques dispensables de Neurosis, voilà qui risque de créer quelques tensions entre nous. Car cet EP, certes bien trop court, certes gâché en partie dans sa réédition par cette foutue piste supplémentaire qu’est « Misgiven » – il y a des bonus qui sont des malus –, n’en reste pas moins une œuvre où la bande menée par Scott Kelly et Steve Von Till développe un ton particulier, où la discographie à venir nous montrera qu’il est bien plus qu’un pont entre les deux longue-durées l’encerclant,
Times of Grace et
A Sun That Never Sets (que j’apprécie tous deux finalement moins que le ci-présent). Telle rudesse, telle économie d’effet, telle envie d’en découdre d’homme au monde malgré les membres usés, semblent présager des heures aux tempes grises cachant des veines battantes de
Given to the Rising,
Honor Found in Decay et
Fires Within Fires.
Une période mal aimée de la formation mais qui, chez moi, donne à voir une beauté nouvelle chez ces porteurs d’une apocalypse tour-à-tour globale, aérienne et, sur
Sovereign comme plus tard, affreusement humaine. Une fin qui a déjà eu lieu, après laquelle nous suivons sur ces trente-trois minutes ses habitants aux vocables ressemblant à des grognements, ennemis d’un soleil qui a calciné leur territoire : il y a de ça dans ce « Prayer » qui paraît redécouvrir le langage, cet « An Offering » qui dessine la flamme particulière qui consumera Neurosis sur ses dernières œuvres – flamme compacte et brute, presque calcaire, dont la maussaderie de surface révèle des velléités de faire couler le sang. Et que dire de ce morceau-titre, également tranquille, trop, le coup arrivant sans crier gare, où se dessine l’angoisse des temps à venir, celui où ces meurtriers viendront cogner à la porte, rappelant que le hardcore des cataclysmes est décidément le terrain de jeu où les Ricains sont les plus ambigus et saisissants ?
On ressort de cet EP diablement expressif un brin frustré, oui, comme lors de la lecture d’une nouvelle à l’imaginaire si prenant qu’on voudrait en inventer d’autres feuilles. Mais
Sovereign rappelle savamment que, de tous les qualificatifs dont on a pu affubler Neurosis, « sinistre » est celui le définissant le mieux. Soyez prêts. Eux le sont.
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