Neurosis, ce n'est plus ce que c'était. Que les mecs d'Oakland nous fassent le coup de la totale introspection passe encore – encore que j'ai déjà ce disque et qu'il s'appelle The Eye of Every Storm
– mais après un Given to the Rising
qui m'avait déjà demandé des allers et des retours multiples pour l'apprécier, c'est la goutte d'eau. Un album de vieux pour vieux qui ne sait pas quand s'arrêter, voilà ce qu'est Honor Found in Decay
. Repose en paix Neurosis, tu nous auras donné quelques belles choses. Seulement, là, il faut songer à s'arrêter.
Ce paragraphe est, en substance, ce que pensait un chroniqueur à la con de
Honor Found in Decay lors de sa sortie : Ikea, toujours prêt à avoir un avis sur tout sans forcément prendre le temps nécessaire pour juger correctement ce qui se présente à lui. Ikea, ce con, c'est moi, coucou. Et j'ai, comme vous vous en doutez, tourné ma veste aujourd'hui (pas loin de quatre années et quelques kilomètres au compteur plus tard, on va éviter d'en parler car ça me déprime, merci).
Honor Found in Decay est pourtant bien un disque d'introspection. Un disque où l'on lâche les armes et les brûle. Un disque d'homme âgé, abouti, qui n'a plus rien à prouver. Qui n'a plus à combattre, à s'enflammer pour briller. Qui ne le veut plus. Qui ne le peut plus. Un disque où Neurosis établit une pause, s'arrête et nous arrête, dans un temps suspendu, dans une étendue d'herbe bordée d'un lac, dans une nuit fraîche, où s'asseoir, contempler et accepter de vieillir. C'est, à mon sens, la chose fondamentale guidant ce dixième album, présente jusqu'à son nom demandant de trouver de l'honneur dans le délabrement.
Une chose dure à accepter et dure à retranscrire, à laquelle pourtant s'attaque ici Neurosis. De ces guitares aériennes semblant faire du sur-place à ces assauts aux allures de descentes (bas, toujours plus bas, comme sur « At the Well »), le groupe paraît pris par cet objectif de retranscrire cet état particulier, cet affaissement de soi. Et il le fait d'une manière qui m'a certes déplu, mais qui désormais m'enchante. Bien sûr, il y a ces voix particulièrement expressives, rocailleuses et naturelles, ainsi qu'une production claire, chaude et puissante, parfaite pour ce type d'exercice tout en finesse. Il ne faut pas pour autant passer sous silence les nappes hallucinées développées par Noah Landis, ou encore cette batterie tribale, discrète tout en sachant se faire enivrante (« Bleeding the Pigs »). Un groupe qui atteint ici une certaine grâce, maîtrisant au mieux ses envies d'ailleurs, de préparation au sommeil vers une autre rive.
…Et la rage, alors ? Et cette bête humaine qu'est (était ?) Neurosis, où se cache-t-elle ? Avec le temps, force est de reconnaître qu'elle est toujours là, tapie dans l'ombre de cette musique dorée, vieillissante mais non moins alerte. Toujours là, dans ces explosions qui libèrent (« We All Rage in Gold » par exemple), dans ces notes qui sont comme l'eau, fluides et austères, aux mouvements semblant statiques si on les observe à un certain point, et cependant houleuses, dans lesquelles on trouve une profondeur où s'épancher.
Car Neurosis est cela, une formation d'une extraordinaire proximité, « simple », mais dont on ressort à chaque fois un peu sentimental (défi : écouter « My Heart for Deliverance » et « Casting of the Ages » sans sentir son cœur fléchir), connecté que l'on est à une sorte de... je ne vois pas d'autres mots que « humanité », pardon si ça fait sourire certains, encore que « dignité » va également bien à ces compositions posées, mentales, et néanmoins batailleuses, tenaces, fières malgré les fêlures et les rides qui commencent à trop se voir. Enfin, à la limite, peu importe ces impressions personnelles : après trente-et-un ans d'existence, des tours et détours, des révolutions, des consécrations, Neurosis reste capable d'étonner, quitte à décevoir au départ, et d'assujettir au final.
Honor Found in Decay, bien qu'exigeant à sa manière (il m'arrive de le trouver trop long encore actuellement), ne dérange pas ce constat, finissant même par avoir sa place bien à lui dans une succession d'albums forts en caractère. Ses airs d'enterrement (impossible de ne pas y penser durant la conclusion de « Raise the Dawn ») m'ont d'ailleurs fait l'imaginer comme un point final de premier choix. Ce qu'il est d'une certaine manière mais chut ! L'occasion de parler de
Fires Within Fires arrivera bien assez tôt. En attendant, je vais siffloter les présentes paroles de « Bleeding the Pigs » : « When the serpent swallows its tail... ». Oh. Juste comme ça.
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