Terra Odium - Ne Plus Ultra
Chronique
Terra Odium Ne Plus Ultra
Les super-groupes dans le metal progressif, voilà une histoire longue comme le bras. Qu'ils soient combos formés de toute pièce par la volonté d'un membre ou d'un label le temps d'un album ou association de talents durable, vouée à tourner pour devenir un acteur majeur de la scène, il y a toujours quelque-chose à retirer de ces projets auxquels l'histoire laisse une place variable, de l'événement majeur qui bouleverse le paysage à la note de bas de page qui tombe rapidement aux oubliettes. Où se situe Terra Odium ? Force est de constater qu'avec son Ne Plus Ultra au titre évocateur, le quintet international bombe le torse et affiche ses muscles saillants. Pilotée par le label italien Frontiers Records, cette sortie affiche un line-up qui a tout pour intriguer n'importe quel auditeur averti du genre. Ce n'est pas l'illustre Steve DiGiorgio (Death, Testament, Control Denied), au poste de bassiste, avec son jeu en « fretless » si caractéristique, qui me fera mentir. Il est accompagné par trois Norvégiens ayant écumé les projets cultes depuis les années 1980 (Manitou ou encore Spiral Architect notamment) : Asgeir Mickelson, à la batterie, a fait ses armes dans plusieurs groupes de black metal chroniqués sur votre webzine préféré, comme Borknagar ou encore Ihsahn, qui a les deux pieds dans le prog depuis belle lurette. Sacrée section rythmique. Deux artificiers viennent compléter ce tableau de chasse, avec Bollie Fredriksen (guitare) et Øyvind Hægeland (voix, guitare). Le Britannique Jon Phipps saupoudre sur cet ensemble maousse claviers et orchestrations bien senties. Un tel line-up laisserait presque présager un véritable « game changer » !
Sur le papier, seulement. En effet, Ne Plus Ultra n'est pas tout à fait le nec plus ultra du metal progressif en 2021. Le full-length présente pourtant des qualités évidentes, à chercher notamment du côté des lignes de basse, exécutées d'une main de maître par l'impérial Steve DiGiorgio. Son jeu virtuose, toujours très libre, surplombe systématiquement les riffs lourds et agressifs des guitaristes, leur offrant un supplément de maestria évident que j'aurais tort de ne pas célébrer. Il est tellement mis en avant dans le mix qu'on pourrait presque penser qu'il guide la mélodie plutôt que de l'accompagner. En effet, notre poisson pilote ne se plie que rarement au joug de ses guitaristes ! À tel point que ceux-ci sont parfois relégués au second plan, avec des accords qui ne font que souligner les envolées magistrales du virtuose cinq-cordiste. En tout cas, ses notes chaudes et langoureuses habillent magistralement les morceaux de cet album et participent à la technicité qu'il entend éclabousser à la face du monde.
Au moins, Ne Plus Ultra est cohérent. À l'image de la belle pochette qui l'orne, tous les morceaux de cet album proposent une atmosphère sombre, rampante, qui renouvelle bien le genre sans pour autant le transcender. Dès « Crawling », l'auditeur est plongé dans une fournaise suintante qui fonctionne plutôt bien. Cette incandescence apparaît clairement sur « Winter », qui pilonne les esgourdes avec sa rythmique martiale avant d'évoluer vers un mid-tempo alambiqué pour exploser, après un éphémère moment épique, dans une déferlante de technique un peu stérile tout de même : on aura cette impression récurrente, durant tout l'album, que chaque musicien cherche à tirer la couverture à soi. Il en va de même pour « The Shadow Lung », avec ses puissants « palm mutes » qui lancent prestement les hostilités dans un feeling qui ne manquera pas d'évoquer le Death période Individual Thought Patterns (1993) aux initiés. Il ne pouvait en être autrement, avec Steve DiGiorgio en tête de proue ! Il faut dire que le quintet utilise habilement son bagage issu de la scène extrême pour sculpter un metal progressif aussi racé que pugnace, capable par moments de happer ses auditeurs dans sa mansarde sinistre, renforcée par certaines orchestrations habilement distillées par Jon Phipps qui ajoutent à la noirceur ambiante. Son usage des violons et des instruments à vent remplit particulièrement bien son office. La production offre à ces compositions très complexes une puissance et une pesanteur tout à fait pertinentes.
La pochette, décidément fort à propos, révèle autre chose des prétentions de Terra Odium : un riffing labyrinthique, qui part dans tous les sens, où « leads » de guitare rivalisent de technique décapante et de passages qui se veulent emblématiques. La montée qui introduit « The Road Not Taken » est très représentative de cette technicité, tout comme son break dissonant qui bat le fer tant qu'il est chaud. Le quintet parvient également à proposer des passages bien épiques, comme l'assaut bas du front qui métamorphose « The Clouded Morning », à 2'43'' et transforme ce morceau alambiqué en brûlot heavy le temps de quelques riffs où la succession de soli vient opportunément rappeler le talent des musiciens dans leur faculté à composer des motifs capables de rester en mémoire. Tout comme l'évolution doom du même morceau, qui propose enfin des lignes de chant enfin à la hauteur, capables d'emporter les suffrages. C'est un fait, Terra Odium finit très bien son premier opus.
Pourtant, cet empilement de couches successives ne fait pas de Ne Plus Ultra un grand album. Le manque de spontanéité de ses compositions donne l'impression d'une équipe de football trop individualiste, où chaque joueur essaye de sauver la patrie à lui tout seul. Le premier d'entre eux est Øyvind Hægeland, dont les lignes de chant visent trop souvent la virtuosité sans saisir l'immédiateté nécessaire, surtout dans une telle déferlante de technique. Alors qu'il aurait pu servir d'arbitre pour contenir et policer cette avalanche de virtuosité, il tombe dans le sempiternel piège des vocalistes de metal progressif : il en fait des caisses, ajoutant à cette déferlante un peu indigeste sa propre couche, jusqu'à devenir crispant sur certains passages. De fait, ses intonations complexifient les mélodies du combo alors qu'elles auraient dû leur apporter la simplicité et l'évidence qui manquent cruellement à plusieurs morceaux. Notre homme se vautre systématiquement dans l'exagération, notamment dans les passages qui avaient vocation à être épiques. La rythmique prometteuse en « palm mutes » de « The Thorn », par exemple, devient agaçante lorsqu'il accentue les fins de vers avec des tremoli qui manquent de naturel (avec une mention spéciale pour les « ... hill of moss » et « … when to cross ») :
« Now would you see this aged Thorn
This pond, and beauteous hill of moss
You must take care and choose your time
The mountain when to cross
For oft there sits between the heap
So like an infant's grave in size
And that same pond of which I spoke
A Woman in a scarlet cloak »
Ce passage est symptomatique des défauts de cet album, avec ses trop nombreux moments dans lesquels le vocaliste cabotine à mort. Non seulement ils ne le mettent pas particulièrement en valeur, mais ils ont tendance à gâcher les belles promesses offertes par les riffs incisifs du quintet. Même le début de « It Was Not Death » est affecté par sa performance lourdingue, d'abord dans la retenue sur les accords de guitares acoustiques puis dans la surenchère au moment où retentissent les puissants « power chords ». Lorsque les duels techniques se voit ponctués par une énième envolée lyrique du chanteur, il y a matière à décrocher. C'est aussi la raison pour laquelle Terra Odium souffre cruellement, à l'échelle de sa première offrande, d'une carence en passages emblématiques capables d'emporter les foules. En revanche, Ne Plus Ultra regorge de passages expérimentaux ambitieux qui traînent en longueur et ont tendance à faire soupirer et lever les yeux au ciel avec l'approprié : « Oh shit, here we go again ». Le comble pour un album d'une telle virtuosité technique!
Alors, note de bas de page, Terra Odium ? Il est beaucoup trop tôt pour l'affirmer, mais sa succession de défauts rédhibitoires, proportionnelle à l'étalage de technique avec laquelle il s'illustre sur Ne Plus Ultra semble l'y condamner. Alors certes, ce premier full-length remplit parfaitement le cahier des charges d'un solide brûlot de metal progressif avec sa virtuosité éclatante, ses multiples changements de signature rythmique et son riffing aussi complexe qu'exigeant qui saura certainement séduire les initiés, qui y décèleront certainement bien plus de qualités que je n'ai pu le faire. Pour l'heure, la lassitude l'emporte : si cette histoire était vouée à avoir une suite, il faudrait que notre combo international redescende un peu de son perchoir pour retrouver les fondamentaux du genre.
| Voay 11 Juillet 2021 - 848 lectures |
|
DONNEZ VOTRE AVIS
Vous devez être enregistré(e) et connecté(e) pour participer.
AJOUTER UN COMMENTAIRE
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo