Zero Hour - Agenda 21
Chronique
Zero Hour Agenda 21
Il est l'heure. L'heure de découvrir Zero Hour, combo américain ayant écumé les travées de l'underground depuis le début des années 1990 et ayant disparu des radars depuis 2008 après un dernier opus acclamé par les connaisseurs, Dark Deceiver. Deux frères, deux fauves, Jasun (guitare) et Troy (basse) Tipton, étaient à l'origine de la formation de ce groupe qui s'est distingué par plusieurs sorties marquantes, notamment l'éminent The Towers Of Avarice (2001), justement considéré comme un classique du metal progressif grâce à sa complexité qui emprunte autant au Dream Theater des débuts qu'à son versant plus extrême, avec notamment des lignes de basse baladeuses qui évoquent l'oeuvre d'un Steve DiGiorgio chez le Death période Individual Thought Patterns (1993). Leurs albums épousent les codes du genre avec une dévotion sans faille, comme en témoignent cette culture des « épiques » qui repoussent les limites de la complexité et de la virtuosité (« Demise and Vertige », « Metamorphosis ») avec cette signature vocale impulsée par la présence habitée d'Erik Rosvold depuis le premier opus éponyme (1999). Mais une vilaine blessure au bras empêcha Troy Tipton de continuer à propulser ses doigts sur la basse qui a défini les contours du style de Zero Hour, provoquant ainsi la dissolution du groupe et sa disparition... jusqu'à l'année 2020, maudite sur bien des plans mais pas sur celui de la créativité. Ce fut le moment de retrouvailles entre le guitariste et son chanteur qui décidèrent de reformer leur groupe en s'appuyant sur le batteur Roel van Helden (Powerwolf), rencontré lors d'une première partie effectuée pour Liquid Tension Experiment. C'est en croisant la route du combo suédois Seventh Wonder, également signé chez Frontiers Music Records, que Zero Hour s'est finalement adjoint les services de l'excellent bassiste Andreas Blomqvist, tremplin leur permettant de reformer leur assemblée et de composer de nouveaux morceaux. Il n'en fallait pas moins pour répondre à l'ambition dévorante des deux membres originels qui avaient les neurones en ébullition.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Agenda 21 reprend les choses exactement là où Zero Hour les avait laissées. Avec un percutant morceau épique en ouverture, « Democide », le groupe réaffirme avec force son style, comme si rien n'avait changé depuis 2008. C'est d'ailleurs le seul reproche objectif que je suis en mesure d'adresser à ce retour : le groupe compose encore comme s'il était encore dans les années 1990, comme si le sombre Awake (1994) de Dream Theater ou encore le mélancolique A Pleasant Shade Of Gray (1997) de Fates Warning étaient les références les plus actuelles du style. Mais est-ce vraiment un reproche ? Absolument pas, finalement, tant ce metal progressif alambiqué correspond totalement à mes attentes. En effet, ces structures complexes qui évoluent en permanence, ralentissent, accélèrent, se chamboulent totalement à la faveur d'un break de batterie bien senti et ne s'expriment qu'à travers des signatures rythmiques exotiques font tout le sel de la musique des Américains qui est bien plus marquante et personnelle que celle de bon nombre d'autres soldats issus de cette chapelle antique. D'autant plus que cette fois, contrairement à leurs précédentes sorties qui avaient tendance à tousser leur production plastique, le passage aux studios Kohlkeller et Cross Back a fait un bien fou à l'amplitude de leur son. Leur metal progressif n'a jamais aussi bien sonné, à l'image de la percussion massive qu'apporte la batterie de Roel van Helden, notamment sa double pédale et sa cymbale ride cliniques qui viennent opportunément rouler sur le bouillonnement constant des guitares de Jasun Tipton et la subtile sérénade envoyée par Andreas Blomqvist, dont la basse illumine chaque riff de sa célérité. Tout y est d'une limpidité magnifique. Donc...
« Damn You ! Damn You All ! Damn You ! Hear Our Call ! »
… Zero Hour, « old school » jusqu'à la garde, fera rapidement taire ces vaines critiques. Et livre hardi petit cinq morceaux drapés d'une coloration sombre et mélancolique très cohérente qui vient hanter chaque recoin d'Agenda 21. Cette atmosphère est catalysée par la présence magnétique du frontman Erik Rosvold, dont la voix rongée par les années porte avec une authenticité touchante ces nouveaux hymnes. S'il évoque à plusieurs moments le regretté Ronnie James Dio dans ses saillies aériennes, il officie dans une tessiture globalement grave et sait se montrer doux comme un agneau dans les passages intimistes qui viennent opportunément ralentir la mitraille. Dans le contemplatif « Memento Mori », il s'exprime pleinement, apportant une touche suave à la boucle d'arpèges de Jason Tipton subtilement soutenue par la caisse claire fragmentée de Roel van Helden et la basse totalement indépendante d'Andreas Blomqvist. Mais le chanteur a bien des tours dans son sac, notamment lorsqu'il va chercher ce grain agressif au fond de sa gorge et répandre des tremoli possédés sur les riffs totalement emblématiques forgés par son compère de toujours. Le morceau-titre, par exemple, étale toute la palette de son talent, avec des lignes de chant extrêmement variées, de la diatribe hurlée « poing levé » aux paroles apaisantes et réconfortantes de sage abîmé par la vie. Cette balance parfaitement équilibrée contribue de manière très pertinente aux changements d'atmosphère permanents, parrainant des morceaux qu'Erik Rosvold sublime toujours par sa performance pleine de rage et de conviction. Une performance qui ne triche pas, tant on ressent la sueur de son engagement total dans les envolées épiques et hargneuses qu'il offre à cette gemme, à l'image de ce refrain au goût d'urgence :
« Shatter the lights ! Come on me!
Serve the heart... with an heartache !
Mess with the mass... while we can !
Twist the true 'till the wind breaks... »
D'épique, Agenda 21 n'en manque assurément pas. Il émerge de cet album une ribambelle de riffs instantanément cultes qui lui auraient permis de se hisser, s'il était sorti une vingtaine d'année plus tôt, au panthéon des classiques du metal progressif. Dès les 2'15'' de l'excellentissime « Democide », massive ouverture « in media res » de près de quinze minutes, il y a de quoi être saisi à la gorge par ce groove dantesque qui ne relâche jamais son étreinte. Bon nombre d'autres motifs en forme de gradation viennent relancer cette machine décapante : outre l'anthologique morceau-titre, le très efficace « Technocracy », premier extrait du disque, remplissait déjà fort bien cet office et dévoilait avec acuité des qualités évidentes que ce quatuor exprime pleinement sur ce nouvel album. Il y déploie ses considérables moyens techniques pour en illuminer chaque recoin avec un duo guitare basse qui fait à peu près ce qu'il veut, en oubliant jamais de se mettre au service d'une mélodie prenante et cohérente malgré quelques transitions capillotractées. Zero Hour excelle autant dans les passages calmes, dans lesquels la basse d'Andreas Blomqvist apporte systématiquement un supplément de charme (les passages mid-tempo qui encerclent le grand final « Patient Zero », le break de milieu de morceau chez « Democide ») que dans les assauts frontaux qui voient le guitariste et le bassiste se livrer un duel de tous les instants. Le compositeur Jasun Tipton ne manque pas convoquer les années 1990 avec une jouissive révérence dans plusieurs passages, à l'image de « Stigmata » et de ses « palm mutes » salvateurs vers 5'54'' qui viennent faire souffler un revigorant vent de nostalgie. Alliés à une nouvelle ligne de basse démentielle, ces salves martiales qui résonnaient également dans « Democide » filent systématiquement la chair de poule. Pas besoin de solo dans la musique de Zero Hour, tant les riffs d'une complexité bien souvent ébouriffante se suffisent déjà à eux-mêmes : exit les structures classiques, seule l'inspiration débordante de son maître à penser règne ici sans partage. Ce septième full-length ne connaît donc aucun temps mort mais comporte quand même quelques éphémères passages décousus. Même ces égarements sont excusables, tant on sent que Jasun Tipton a voulu faire rentrer dans les cinquante minutes de cette nouvelle œuvre toute la frustration des années passées loin du monstre créé avec son frère, quitte à bourrer un peu les tiroirs...
Il serait tout de même bien dommage que les amateurs du genre manquent ce petit chef-d'oeuvre qui n'a de moderne que sa date de sortie. Si Agenda 21 ne fait aucune concession à l'actualité, il accomplit tout de même le tour de force d'être une – si ce n'est la – porte d'entrée idéale vers l'arborescence complexe de Zero Hour. En effet, en se dotant de deux recrues de luxe et en exploitant toutes les capacités offertes par leur label, ce groupe historique a au moins fait l'effort de devenir encore plus accessible sans renier la complexité et la touche si séduisante de son metal progressif. C'est donc davantage qu'un retour réussi que nous proposent les Américains. À l'image de la criarde pochette qui l'illustre, c'est un véritable portail dimensionnel vers le passé qui transportera de joie tous les aficionados en recherche de sorties de cette trempe. Magique.
| Voay 13 Mai 2022 - 937 lectures |
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